B. Rossié a publié en 2022 un travail consacré aux églises de la région de Berlin sous le IIIe Reich, une somme de près de 470 pages et 1700 notes qui devrait faire date. L’autrice part du constat que les constructions religieuses ont été trop peu étudiées comme potentiels témoins de l’idéologie nazie. Or, il n’y a pas de raison, selon elle, que les églises aient échappé à l’emprise totalitaire du régime. Pour mettre cette idée à l’épreuve, B. Rossié suit un plan aussi simple qu’efficace, se penchant successivement sur la construction des églises (»L’architecture religieuse au temps du national-socialisme«, p. 31–208), sur les nombreux chantiers de rénovation (»Les modernisations d’églises au temps du national-socialisme«, p. 209–276) et enfin sur »L’art religieux« (p. 277–392), avant de conclure en évoquant l’après-1945 (p. 393–404). L’ensemble est complété par un répertoire topographique des lieux de culte évoqués (p. 405–426) et différentes annexes.

Les deux premières parties abordent systématiquement tous les projets importants, les constructions urbaines ou rurales, les lieux de culte catholiques et protestants, étudiant le rôle des commanditaires aussi bien que celui des architectes. En elles-mêmes, ces deux parties constituent un ensemble très dense et pratiquement sans angle mort puisque toutes les constructions religieuses et rénovations importantes de la région de Berlin sont passées au crible de l’hypothèse de départ de l’autrice, selon laquelle un régime politique, a fortiori totalitaire, ne peut pas ne pas avoir eu d’impact sur l’architecture religieuse de son époque. Dans la plupart des cas, l’autrice emporte sans souci la conviction: manifestement, le régime nazi a souvent cherché à imposer sa marque à de nombreux projets d’architecture religieuse. Il ne s’est en tout cas, explique B. Rossié, que rarement désintéressé de ce sujet, même après le début de la Seconde Guerre mondiale. Sa parfaite connaissance des archives permet à B. Rossié de lever les ambiguïtés visibles sur les nombreux plans et photos d’églises reproduits dans son livre: l’architecture religieuse berlinoise des années 1933–1945 n’est que rarement qualifiable de »nazie«, mais les protagonistes des chantiers ont souvent cherché à construire des lieux de culte en harmonie avec le nazisme ou, pour le moins, à ne pas heurter frontalement les principes du régime. Il ne pouvait d’ailleurs probablement pas en être autrement, compte tenu de sa nature totalitaire englobant, par définition, la société dans toutes ses dimensions y compris, donc, religieuse.

La troisième partie du livre enfonce le clou, tout en marquant certaines limites de la démarche de B. Rossié. En effet, la plupart des édifices construits ou rénovés à Berlin pendant le nazisme sont encore debout: il est donc tout à fait possible de nos jours, même si c’est difficile, de tenter de repérer des signes de rattachement à l’idéologie nazie, pas uniquement dans les archives mais bien sur et dans les édifices eux-mêmes. S’agissant des ensembles décoratifs et des programmes iconographiques, la tâche s’avère plus complexe: parce qu’ils étaient plus fragiles, plus soumis aux évolutions liturgiques et aux modes, ces ensembles ont souvent été ultérieurement endommagés, remplacés, recouverts ou escamotés, parfois délibérément, notamment quand ils témoignaient d’une adhésion au nazisme, chose compromettante dans le contexte de l’après-guerre. Cependant, grâce aux archives à nouveau, B. Rossié montre bien que le régime nazi a tenté d’imposer son idéologie, dans l’iconographie des décors plus évidemment que dans l’architecture proprement dite, probablement parce que cela pouvait se faire de façon plus directe et à moindres frais.

Au terme de sa minutieuse étude, qui se perd parfois trop longuement dans des comparaisons avec d’autres régions d’Allemagne, B. Rossié a clairement fait la démonstration que le régime nazi n’a pas négligé les constructions religieuses à Berlin, qu’il n’a cependant pas vraiment réussi à leur imposer un style uniforme, faute probablement d’une doctrine esthétique cohérente et, par ailleurs, d’une ligne directrice claire concernant les relations avec les églises chrétiennes. Son livre prouve aussi, au-delà de certains cas de soumission enthousiaste au nazisme, que les autorités paroissiales et les artistes se sont souvent accommodés des demandes du régime ou les ont anticipées, afin de ne pas s’en attirer les foudres et de bénéficier de ses subventions…

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nicolas Padiou, Rezension von/compte rendu de: Beate Rossié, Kirchenbau in Berlin 1933–1945. Architektur – Kunst – Umgestaltung, Berlin (Lukas Verlag) 2022, 468 S., 112 Abb., ISBN 978-3-86732-387-1, EUR 36,00., in: Francia-Recensio 2023/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.100000