Avec la crise de l’accueil migratoire de 2015, le sujet de la migration de fuite et de l’asile en Allemagne a connu un nouveau point culminant. Les discours sur l’accueil, la répartition et l’intégration des réfugiés, sur leur statut et sur l’obligation morale et politique de l’aide d’urgence, qui ont marqué le débat public, ont ainsi fait resurgir des topoï qui caractérisaient déjà le discours sur la migration depuis l’après-guerre. Une participante active au discours entre 1949 et 1993, mais qui n’a guère été prise en compte dans la littérature de recherche, est l’Église protestante. Ainsi, dans le cadre de la migration de fuite germano-allemande des années 1950, de l’immigration d’asile chilienne et vietnamienne des années 1970 et d’un discours sur les réfugiés fortement influencé par les évolutions nationales et internationales dans les années 1980, certains acteurs protestants ont durablement marqué le débat public.

Contrairement à la richesse des travaux historiques et en sciences sociales et culturelles sur les sujets du droit et de la pratique d’asile dans la recherche sur la fuite et les réfugiés1, le travail d’analyse du discours de Jonathan Spanos sur »l’accueil des réfugiés comme question d’identité« se consacre à la contribution du protestantisme dans les débats sur l’accueil et la reconnaissance des réfugiés en République fédérale d’Allemagne (RFA). Spanos met l’accent sur cinq césures qu’il traite chronologiquement et met en comparaison directe: les réfugiés de la guerre froide entre 1949 et 1973, l’accueil des réfugiés chiliens et vietnamiens au début et à la fin des années 1970, le débat de plus en plus controversé sur l’asile dans les années 1980 ainsi que le »compromis sur l’asile« de 1992/93. En se concentrant sur les acteurs protestants qui déterminent le discours, sur les formes et les modèles d’argumentation qu’ils façonnent et utilisent de manière stratégique, ainsi que sur leur influence dans la sphère politique, le travail de Spanos n’apporte pas seulement une contribution innovante à la recherche historique sur les migrations. En situant en même temps sa recherche dans l’histoire contemporaine de l’Église, il comble aussi un manque dans la recherche, où le rôle de la confession et de l’Église dans la politique d’asile n’a jusqu’à présent pas été examiné en détail2.

En quatre chapitres analytiques – adaptés aux périodes d’étude choisies – Spanos reconstruit les débats sur l’accueil et la reconnaissance des exilés sur la base d’un corpus de sources publiées et archivées ainsi que de textes contemporains et de »littérature grise«. Outre le positionnement des participants au discours, il analyse les définitions du »politique«, de la »fuite politique« et du »›vrai‹ réfugié« et met en évidence les stratégies d’argumentation des acteurs protestants à l’égard des stéréotypes négatifs et dans la catégorisation des motifs de fuite. Il met également en lumière le lien entre le discours protestant et l’influence de ses participants sur les processus de décision politique.

Parmi les nombreux résultats que Spanos expose dans les chapitres d’analyse très complets, il y en a trois à mettre en avant, qui caractérisent la contribution particulière de cet ouvrage à la recherche sur la fuite. Premièrement, en plus de se concentrer sur les acteurs discursifs tels que Karl Ahme, Helmut Frenz ou Jürgen Micksch, qui jouissent d’une grande influence dans le débat protestant, Spanos parvient également à mettre en évidence la diversité des opinions qui ont marqué le discours protestant sur l’asile au cours des différentes décennies. Outre deux grandes positions, le modèle »advocatoire«, qui défendait les intérêts des réfugiés (Anwaltschaft, advokatorisches Modell) et se caractérisait par une critique parfois virulente de la société et de la politique, et le modèle équilibrant-modérateur, appliqué par exemple par le Conseil de l’Église protestante en Allemagne à l’égard des acteurs de l’État, on y trouve aussi des priorités personnelles comme l’accent mis par Micksch sur l’enrichissement interculturel. L’analyse différenciée permet en outre d’expliquer des évolutions comme la perte d’importance de la confessionnalité dans le discours sur l’asile des années 1980, où la critique de la société et de la politique passe nettement au premier plan et où les arguments chrétiens ne sont ajoutés que pour »encourager et guider l’action«3.

Deuxièmement, l’étude historique du discours protestant sur l’asile révèle des schémas d’argumentation et des topoï qui marquent le discours jusqu’à nos jours. Il s’agit notamment de la stratégie de subjectivation et de victimisation, qui déplace le focus d’une masse menaçante vers des destins individuels parfois tragiques, ou encore de la pondération entre les »vraies« personnes à protéger et les »fraudeurs d’asile« suspects. L’analyse historique du discours ne permet cependant pas toujours de distinguer clairement les cas où il s’agit d’un discours proprement chrétien et ceux où les acteurs chrétiens ne font que reprendre des topoï récurrents du discours sur l’asile. Certes, Spanos attribue clairement les modèles d’argumentation au protestantisme par le choix des sources et des participants au débat. Il convient toutefois de se demander si l’on peut parler d’une argumentation résolument chrétienne. Une distinction plus précise entre les deux serait souhaitable, car de nombreux arguments identifiés sont encore présents aujourd’hui dans le discours sur l’asile et sont généralement mobilisés par les participants au discours sans référence à leur propre foi pour légitimer un programme ou une exigence politiques.

Troisièmement, la comparaison diachronique permet d’esquisser l’évolution du discours sur l’asile, y compris ses apogées et ses tournants. La mise en relation des évolutions discursives avec les événements politiques réels – parfois au-delà du contexte national – est particulièrement réussie. Par exemple, Spanos souligne que l’orientation de la solidarité s’est ouverte dès les années 1950, passant d’une société nationale allemande à une communauté œcuménique et occidentale. Dans les années 1970, l’émergence des organisations internationales et le débat mondial sur les droits de l’homme ont en outre déclenché un changement discursif en RFA, mettant en avant l’obligation morale et humaniste d’une action politique. La couverture médiatique très imagée des boat people a par ailleurs permis aux réfugiés vietnamiens de bénéficier d’un large soutien politique et social, contrairement à la tendance générale à la fermeture qui prévaut dans la politique d’asile de la RFA.

Alors que l’ouvrage s’adresse clairement à un public spécialisé par le biais de certains faits présumés être des connaissances générales, il s’efforce également à la compréhensibilité interdisciplinaire. La discussion réfléchie de ses résultats avec des connaissances issues de disciplines apparentées témoigne d’une minutie scientifique fondée.

1 Sur les réfugiés de la zone soviétique et de la RDA dans l’après-guerre cf. entre autres Volker Ackermann, Der »echte« Flüchtling. Deutsche Vertriebene und Flüchtlinge aus der DDR 1945–1961, Osnabrück 1995 (Studien zur historischen Migrationsforschung, 1); Helge Heidemeyer, Flucht und Zuwanderung aus der SBZ/DDR 1945/1949–1961. Die Flüchtlingspolitik der Bundesrepublik Deutschland bis zum Bau der Berliner Mauer, Düsseldorf 1994 (Beiträge zur Geschichte des Parlamentarismus und der politischen Parteien, 100). Le tournant de la politique des réfugiés dans les années 1970 a été abordé, entre autres, dans les travaux suivants: Patrick Merziger, The »Radical Humanism« of »Cap Anamur«/»German Emergency Doctors« in the 1980s. A Turning Point for the Idea, Practice and Policy of Humanitarian Aid, dans: European Review of History/Revue européenne d’histoire 23 (2016), p. 171–192; Frank Bösch, Engagement für Flüchtlinge. Die Aufnahme vietnamesischer »Boat People« in der Bundesrepublik, dans: Zeithistorische Forschung 14 (2017), p. 13–40. En ce qui concerne le débat sur l’asile des années 1980, il convient de souligner, outre Ulrich Herbert, Geschichte der Ausländerpolitik in Deutschland, München 2001, les travaux en sciences sociales de Ursula Münch, Asylpolitik in der Bundesrepublik Deutschland. Entwicklung und Alternativen, Opladen 1993 et de Simone Wolken, Das Grundrecht auf Asyl als Gegenstand der Innen- und Rechtspolitik in der Bundesrepublik Deutschland, Frankfurt am Main 1988 (Europäische Hochschulschrift, 120).
2 Ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que des travaux ont été consacrés au discours migratoire lui-même. Cf. par exemple Martin Wengeler, Topos und Diskurs. Begründung einer argumentationsanalytischen Methode und ihre Anwendung auf den Migrationsdiskurs (1960–1985), Tübingen 2003 (Germanistische Linguistik, 244); Niklaus Steiner, Arguing about Asylum. The Complexity of Refugee Debates in Europe, New York 2000.
3 Kirchenamt, cit. p. 345.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Viktoria Sophie Lühr, Rezension von/compte rendu de: Jonathan Spanos, Flüchtlingsaufnahme als Identitätsfrage. Der Protestantismus in den Debatten um die Gewährung von Asyl in der Bundesrepublik (1949 bis 1993), Göttingen (V&R) 2022, 392 S. (Arbeiten zur Kirchlichen Zeitgeschichte, Reihe B, Darstellungen, 85), ISBN 978-3-525-55847-8, EUR 90,00., in: Francia-Recensio 2023/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.100001