Après avoir mené des recherches universitaires sur le renseignement, l’information et l’espionnage chez Philippe de Commynes, puis sur le renseignement dans les trois premières croisades, l’auteur propose une courte synthèse sur l’espionnage au Moyen Âge. Dans son introduction (p. 11–23), il évoque le champ lexical des termes espion, observateur, espionnage, indique ses principaux thèmes: acteurs, moyens, représentations, rappelle l’historiographie1, les sources, le choix du mot renseignement de préférence à espionnage (pourtant retenu pour le titre de l’ouvrage), et les aires et la période étudiées, la France et l’Orient du XIe au XVe siècle, ce qui n’empêche pas quelques excursus.

Le livre est divisé en trois parties, »Penser et représenter le renseignement au Moyen Âge« (p. 25–80), »La pratique diplomatique et militaire du renseignement au Moyen Âge« (p. 81‑120), et »Réseaux officiels, réseaux officieux: pratique du visible et de l’invisible à la fin du Moyen Âge« (p. 121–166).

La première partie est plus synthétique: l’auteur étudie la pratique de la construction (sic) de l’information, par les ambassadeurs, messagers et espions, en prenant comme exemples les croisades; aurait-il poussé un peu plus loin, il aurait pu englober les projets de croisade de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle. La source principale pour le Moyen Âge reste le »De re militari« de Végèce2, puis l’auteur fait un premier excursus à Byzance avec Constantin Porphyrogénète et Nicéphore Phocas et en Islam avec le maître espion de Saladin, al-Harawî, avant d’aborder les auteurs français vers 1400, Philippe de Mézières et Christine de Pizan (et non Pisan), et de la fin du siècle Philippe de Commynes. La »Broderie de Bayeux« permet de voir la représentation d’un espion et la »Chanson d’Antioche« de connaître l’action du traître qui a livré la cité à Bohémond de Tarente, Firouz (plutôt que Pirrus), non pas un émir turc, mais un Arménien converti à l’islam et qui avait la garde d’une tour.

Dans un deuxième temps, l’auteur s’intéresse au rôle de la diplomatie pour »construire (re-sic) une mémoire stratégique« en temps de paix: sont prises comme exemples les multiples ambassades envoyées par le duc de Bourgogne Philippe le Bon (de 1419 à 1467)3, celles du roi Jacques Ier d’Aragon, les missions de l’Anglais »Jean de Woume« sur le continent en 1337‑1338 (peut-on traduire nuncius par »espion«?), celle de l’agent bourguignon Bertrandon de La Broquère en Orient en 1432‑14334. L’auteur aurait pu ajouter le rôle des officiers d’armes, qui jouissaient de l’immunité diplomatique, comme collecteurs de renseignements. Pour le temps de guerre, on utilisait des éclaireurs ou des guides, des messagers, des espions. Les exemples vont de la première croisade, (mais peut-on qualifier de guide le général byzantin Tatikios?) à la Guerre folle (1485–1488) en France avec le cas passionnant du prêtre David, messager entre comploteurs à son corps défendant, et à la croisade du roi Richard Cœur de Lion.

Dans la troisième partie, l’auteur prend trois cas: Philippe de Commynes a tissé des réseaux, dont le nœud se trouvait à Lyon sous Louis XI et à Venise sous Charles VIII; les villes, italiennes qui ont développé tôt des services de renseignements: Sienne 1252, Bologne 1288–1294, Florence 1303 (il est remarquable que celle-ci ait confié le sien à des cisterciens), françaises comme Châlons, Mâcon ou Dijon (avec l’exemple du prêtre Étienne Charlot); Louis XI, qui lui aussi a tissé des réseaux d’informateurs notamment au moyen de l’argent, adepte du secret et des procès politiques contre ses adversaires.

Le livre se termine curieusement sans conclusion. Suivent les notes et une courte bibliographie; un index aurait été nécessaire.

L’ouvrage de Valentin Baricault ne recherche pas l’exhaustivité: il offre au lecteur des aperçus divers et éclairants sur l’espionnage et la collecte de renseignements et d’informations entre le XIe et le XVe siècle de l’Europe occidentale à l’Orient des croisades.

1 Notons l’existence d’un Centre français de recherche sur le renseignement, CF2R, qui publie des ouvrages sur l’histoire de l’espionnage et du renseignement, https://cf2r.org (08/11/2023).
2 Ajoutons qu’une des toutes premières mentions d’espionnage, plutôt de renseignement ou de reconnaissance, se trouve dans la Bible, Josué, 2.
3 Page 94, l’auteur fait erreur en écrivant que Philippe le Bon n’est pas entré en guerre contre l’Angleterre: il l’a fait en 1436, en tentant de prendre Calais; l’ouvrage de référence sur Hue de Lannoy est celui de Baudouin de Lannoy, Hugues de Lannoy, le bon seigneur de Santes, Bruxelles 1957.
4 Une petite rectification, p. 184, n. 32: l’auteur de l’introduction au récit n’est pas Hélène Basso, mais J. Paviot; une autre pour la n. 31: Ghillebert de Lannoy est retourné en Orient en 1446, et non 1442.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Valentin Baricault, L’espionnage au Moyen Âge, Paris (Passés composés) 2023, 224 p., ISBN 978-2-3793-3321-7, EUR 19,50., in: Francia-Recensio 2023/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101270