Cet ouvrage publie les textes d’interventions qui auraient dû être faites lors d’un colloque de l’Institut d’études médiévales de l’Institut catholique de Paris, prévu initialement en 2020, un an après l’incendie de Notre-Dame de Paris, colloque qui fut reporté plusieurs fois, en raison de la pandémie de Covid-19, et qui eut finalement lieu après la publication de ces actes. Ces circonstances particulières expliquent sans doute la brièveté de certains textes, mais elles n’entachent pas la cohérence de l’ouvrage, dont le sous-titre, »Textes sur la nature de l’église cathédrale et les enjeux de sa restauration«, donne bien l’orientation principale. Plus exactement, c’est la notion de cathédrale comme bâtiment, et non comme institution, qui a été placée par les organisateurs et éditeurs, Pascale Bermon et Dominique Poirel, au cœur d’une réflexion pluridisciplinaire sur les enjeux de la restauration, à laquelle des médiévistes contribuent en nombre. Des textes d’historiens côtoient ainsi ceux de conservateurs, de musicologues, de théologiens, de liturgistes, de littéraires et de philosophes, ce qui confère à ce court volume (une introduction et treize contributions), certes, un aspect hétéroclite, mais un intérêt certain, puisqu’il rassemble des expertises scientifiques habituellement séparées les unes des autres. De plus, dans la masse des parutions éditoriales sur Notre-Dame qui a suivi l’incendie, ce livre se distingue par le rapprochement qu’il opère entre histoire, musique, pastorale, théologie et liturgie, un rapprochement que peu d’historiens sont, par formation, par habitus académique ou par tradition nationale, habitués à faire.

On peut ainsi souligner le profit tiré de la lecture croisée des textes de Dany Sandron, qui revient de manière très synthétique sur l’histoire architecturale du bâtiment, d’Andrea Pistoia, qui propose un commentaire ramassé du »Speculum ecclesiae« du Pseudo-Hugues de Saint-Victor, un manuel de liturgie contemporain du lancement de la construction de Notre-Dame, et de Sylvain Dieudonné, qui offre une étude lumineuse des pratiques du chant polyphonique avant et pendant le long chantier de la cathédrale gothique. La contribution de Jean Longère vaut pour l’édition, la traduction et le commentaire d’un sermon que Maurice de Sully, l’évêque commanditaire de la cathédrale, consacra à une fête de la dédicace d’une église, sermon révélateur de la vision qu’a l’évêque de l’édifice religieux. Le court article de Dominique Iogna-Prat réinsère la cathédrale parisienne dans l’histoire longue de l’idée de l’édifice du culte chrétien, une histoire qui, au milieu du Moyen Âge (entre 800 et 1200), a tourné le dos aux origines chrétiennes, les premiers disciples du Christ rejetant la notion d’un lieu matériel sacré. La riche communication de Patrick Demouy réinsère, quant à elle, l’incendie de 2019 dans une série médiévale d’incendies de cathédrales (54 sinistres pour 24 cathédrales) pour tenter de saisir les interprétations qu’en faisaient les contemporains et, plus largement, leurs réactions (financement des reconstructions, expertises des bâtiments sinistrés ...).

D’autres textes sont consacrés à la restauration du bâtiment. Jean-Michel Leniaud revient sur l’histoire de la restauration de la cathédrale par Viollet-le-Duc, en commentant trois textes que ce dernier a écrits ou co-écrits à partir de 1843, trois textes qui révèlent le caractère changeant des conceptions de l’architecte. Marie-Hélène Didier, conservatrice des monuments historiques en charge de la cathédrale en 2019, décrit les destructions, les opérations de sauvetage et de tri, et elle rappelle la réflexion engagée sur le projet de restauration et sa définition (réfection à l’identique de la toiture, de la flèche et de la charpente). Gilles Drouin, qui écrit en tant que »théologien de la liturgie«, clôt l’ouvrage en évoquant le projet diocésain, élaboré par l’Atelier Notre-Dame, à la demande de l’évêque de Paris, pour le futur aménagement de l’espace intérieur de la cathédrale (baptistère, ambon, sièges, éclairage, décor artistique ...). Partant d’une dialectique du neuf et de l’ancien, il articule deux fonctions du bâtiment, liturgique et missionnaire (auprès des touristes). Il en ressort une leçon révélatrice pour les lecteurs, et tout particulièrement pour les médiévistes: ce projet d’aménagement intérieur de la cathédrale mobilise des références antiques (les premiers siècles de l’Église) et contemporaines (l’héritage de Vatican II) et, pour ainsi dire, répudie les références médiévales, qui ont pourtant inventé le bâtiment au cœur des attentions depuis l’incendie de 2019.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Julie Claustre, Rezension von/compte rendu de: Pascale Bermon, Dominique Poirel (dir.), La cathédrale immortelle? Textes sur la nature de l’église cathédrale et les enjeux de sa restauration, Turnhout (Brepols) 2022, 223 p., 28 ill., ISBN 978-2-503-599-663, EUR 40,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101272