Dans l’introduction Catherine Vincent souligne que cet ouvrage reprend les communications d’un colloque tenu à Toronto en 2016 dans le cadre du projet scientifique »Anciennes abbayes de Bretagne«. Les contributions sont présentées en trois parties:

1. »Monastères bretons. Influences externes, conflits internes«

Caroline Brett, »Monastères, migrations et modèles«, constate un paradoxe: les Bretons de la »petite« Bretagne seraient arrivés avec des moines pour les encadrer; pourtant il n’existe presqu’aucune trace aussi bien dans des textes que dans les sources archéologiques des éventuels premiers monastères. Certes Samson est associé à Dol mais qui est un évêché; on peut citer Landévennec, Saint-Méen ou Saint-Gildas de Rhuys, puis Redon fondé au IXe siècle. Ce sont précisément les chartes de Redon qui permettent d’apercevoir un grand nombre de petits monastères dont les seules traces sont toponymiques.

Joseph-Claude Poulin, »Alet, Landévennec, Redon, trois ateliers d’écriture hagiographique vers 870«: Le diacre Bili travaille à Alet pour écrire la vie de saint Malo; Gurdisten rédige à Landévennec la vie de saint Guénolé; quant à saint Conwoion, le premier abbé de Redon, sa vie est certainement due à un moine breton de Redon. Ces trois vitae partagent en commun d’être issues d’auteurs bretons travaillant sur le lieu même du culte du saint dont ils écrivent la vita. Mais leur environnement culturel est bien plus continental qu’insulaire.

Yves Gallet, »Landévennec, Redon, le Mont-Saint-Michel, topographie et architecture des abbayes de Bretagne et de l’Ouest du monde carolingien«: Les fouilles archéologiques ont montré que la réorganisation topographique de Landévennec au IXe siècle s’est faite autour d’une cour qui évoque le cloître du plan de Saint-Gall. À Redon nous n’avons aucune connaissance archéologique des constructions carolingiennes mais des indices dans les textes laissent penser que le modèle carolingien était parfaitement respecté. Le Mont-Saint-Michel, pour des raisons topographiques, ne pouvait pas respecter ce schéma, mais »la déclivité du lieu« est utilisée »pour hiérarchiser espaces et fonctions«.

Joëlle Quaghebeur, »Les abbayes Sainte-Croix de Quimperlé et Saint-Sauveur de Redon aux XIe et XIIe siècles. Fraternitas, amicitia et calumnia«: Redon fut fondé vers 830 et Sainte-Croix de Quimperlé vers 1050 avec l’aide de Catwallon, abbé de Redon, qui envoya à Quimperlé un moine de Redon, Gurloës, qui devint l’abbé de la nouvelle fondation. Pourtant la fraternitas et l’amicitia, mentionnées dans le cartulaire de Quimperlé, firent place à une calumnia, un conflit, partie de Hervé, abbé de Redon entre 1107 et 1134, et qui concernait la possession de Belle-Île. Finalement Quimperlé, qui avait étendu ses domaines depuis Locronan jusqu’à Nantes, se vit reconnaître la possession de cette île.

Julien Bachelier, »Les abbayes en Haute-Bretagne aux XIe–XIIe siècles. Convergences et confrontations«: Dans les diocèses de Dol, Saint-Malo (Alet), Rennes et Nantes, le XIe siècle est marqué par la forte présence des abbayes extérieures à ces diocèses, notamment l’abbaye tourangelle de Marmoutier qui l’emporta sur Redon dans une calumnia sur Béré à l’origine de Châteaubriant, et qui avait aussi un prieuré à Fougères. Au XIIe siècle cependant les abbayes locales, Redon ou Saint-Melaine de Rennes, prirent plus d’importance, même si, dans le cas de Fougères, l’émergence d’une ville aiguisait les tensions entre Marmoutier et Pontlevoy, ou entre Marmoutier et des chanoines locaux.

2. »Tensions internes dans le monde monastique de l’Ouest«

Bernard Ardura, »Les chapitres généraux comme modèles de l’interaction entre le centre et la périphérie des ordres religieux au Moyen Âge«: Au contraire de l’ordre de Cluny dans lequel l’abbé de Cluny exerce un pouvoir centralisateur sur toutes les maisons affiliées désignées comme prieurés, l’ordre de Cîteaux maintient l’autonomie de chaque monastère affilié. C’est le chapitre général, sur la base de la »Carta Caritatis«, qui assure le lien indispensable et une commune observance. C’était aussi le cas des prémontrés; le charisme de saint Norbert assurait un lien entre des monastères demeurés autonomes. Ces assemblées élues, chez les cisterciens comme chez les prémontrés, ne dépendaient d’aucun modèle laïc antérieur. Bien au contraire, la »Magna Carta« leur est postérieure d’un bon siècle.

Guy Jarousseau, »Relations et ruptures au sein du courant réformateur monastique du Val de Loire et ses marges (vers 950–vers 1050)«: La fin du Xe siècle est marquée par des crises internes à certaines grandes abbayes: ainsi à Fleury en 985–988, à Marmoutier entre 993 et 998. La crise de 1004 à Saint-Père de Chartres est bien connue grâce à une lettre de Fulbert – qui n’était encore que l’écolâtre du diocèse. La tentative du comte de Blois, Thibaut II, pour contrôler Saint-Père grâce à l’ambition du moine Magenard a profondément bouleversé la communauté monastique. Dans un deuxième temps, Marmoutier s’affirme au premier rang dans le réseau monastique du val de Loire notamment avec l’abbé Evrard (env. 1015–1037).

Jean-Michel Picard, »Échanges et divergences, monastères doubles et conhospitae dans les pays celtes du haut Moyen Âge«: Vers 520 une lettre des évêques de Tours, Angers et Rennes adressée aux prêtres Lovocat et Catihern dénonce la présence des conhospitae, des femmes, qui administrent les sacrements. Le rôle de ces femmes serait typique des »chrétientés celtiques« – à cause des noms bretons des deux prêtres destinataires. En réalité, les bases de données permettent aujourd’hui de constater que le mot conhospita est un hapax. Par ailleurs, un vieux poème irlandais (»To Crinog«), invoqué comme témoin de la »femme celte«, n’est en réalité qu’un jeu littéraire sur la nature des livres. Au final, il ne reste rien du thème soi-disant original de »la femme celte«.

3. »Echanges, influences, convergences«

Catherine Vincent, »Monastères et pèlerinages aux trois derniers siècles du Moyen Âge, à travers quelques exemples de l’ouest du royaume de France«: Aux XIIIe–XVe siècles, il y a une évidente diversification des lieux de pèlerinage. Pourtant des sanctuaires anciens et prestigieux montrent une certaine capacité à maintenir leur rayonnement. Trois cas sont étudiés: Saint-Martin de Tours, Saint-Martial de Limoges et le Mont-Saint-Michel. À Tours, les chanoines entreprennent de reconstruire intégralement la basilique du tombeau, ce qui exige de gros revenus mais qui peut aussi ramener des pèlerins; parallèlement, l’un des chanoines, Péan Gatineau, rédige une adaptation en français de la vie du saint, non sans y introduire des données à la mode de son époque. À Saint-Martial, un moine de l’abbaye, resté anonyme, rédige un recueil de miracles à l’occasion de l’ostension de 1388. Les miracles soulignent l’enracinement du culte dans le Limousin. Les ostensions sont devenues septennales à partir du XVIe siècle. Enfin le Mont-Saint-Michel semble avoir non seulement conservé mais encore augmenté son prestige à la fin du Moyen Âge, en relation avec le culte de l’archange et avec des pèlerinages pénitentiels non sans risque: en 1318 treize pèlerins moururent étouffés dans la foule pressée dans le sanctuaire et une trentaine moururent noyés en mer ou dans les sables mouvants. Les nouveaux pèlerinages devaient être plutôt complémentaires des vénérables dévotions.

Marielle Lamy, »Sermons bénédictins et cisterciens pour la fête de saint Benoît au XIIe siècle«: Les sermons des uns et des autres n’ont pas été produits et conservés de la même manière et présentent donc une grande dissymétrie. Les bénédictins célébraient éventuellement saint Benoît sur plusieurs dates, 21 mars, 11 juillet et 4 décembre avec une grande solennité. Les cisterciens s’en tenaient à une seule date, 21 mars, et avec une solennité plus sobre. Inversement, les cisterciens ont transmis un nombre bien plus élevé de sermons que les bénédictins (trente contre six). Les »Dialogues« de Grégoire le Grand fournissaient plusieurs miracles de Benoît mais c’est la comparaison de Benoît avec Moïse qui s’impose, surtout chez les cisterciens.

Esther Dehoux, »Orate pro nostris, ut oravimus pro vestris. Échanges et solidarités de salut dans les abbayes de l’Ouest (Xe‑XIVe siècle)«: Les rouleaux des morts émis plusieurs mois voire années après le décès ne cherchaient pas à annoncer un décès mais à solliciter des prières pour les défunts. Ils ont abondamment circulé dans les régions de l’ouest, produits surtout par les bénédictins. Ces rouleaux manifestent le souci pour les âmes des défunts dans le contexte de la »naissance du purgatoire«.

Stéphane Lecouteux, »Une manière efficace d’appréhender les échanges entre monastères. L’étude des associations spirituelles et des réseaux de confraternité«: Les réseaux de confraternités monastiques sont étudiés sur le cas de la Normandie. Ils permettent de révéler et d’expliquer des phénomènes de diffusion de biens matériels, d’éléments d’architecture, de décors des livres, de contenus hagiographiques, de circulation des reliques, de notations musicales et de réformes monastiques.

Sébastien Barret, »Jeux d’influences et modèles diplomatiques. Deux chartes clunisiennes (910 et 1065)«: Les modalités d’écriture et de présentation des chartes ont joué un rôle souvent méconnu dans la signification même et l’efficacité éventuelle de ces chartes par rapport à leur environnement.

Ces deux dernières contributions, plus techniques, exposent aussi l’ouverture de nouveaux champs de recherche à l’aide d’instruments numériques, au-delà des méthodes critiques plus classiques. Au final, ce recueil, nécessairement lié aux contraintes d’un colloque, manifeste néanmoins de beaux fils conducteurs sur les relations entre monastères, sur leurs réseaux, sur les évolutions des pratiques de piété, et sur les perspectives offertes par les programmes de recherche en cours.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bruno Judic, Rezension von/compte rendu de: Claude Lucette Evans, Kenneth Paul Evans (dir.), Monastères, convergences, échanges et confrontations dans l’Ouest de l’Europe au Moyen Âge, Turnhout (Brepols) 2023, 387 p., 5 ill. en n/b, 2 en coul. (Collection Haut Moyen Âge, 45), ISBN 978-2-503-59985-4, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101284