Le deuxième registre des lettres du pape Innocent III, portant sur les troisième et quatrième années du pontificat (1200–1202), est bien attesté au XIII^e siècle, il est même utilisé par plusieurs auteurs, dont Sinibaldo Fieschi, le futur pape Innocent IV, mais il a été perdu, sans doute au XV^e siècle, à la faveur des nombreux déménagements de collections d’archives et de livres de la papauté à la fin du Grand Schisme d’Occident. Un fragment en a été retrouvé, vraisemblablement au XVI^e siècle, et tout d’abord relié avec un registre de lettres d’Alexandre IV, puis, au XVII^e siècle, relié avec le troisième registre des lettres d’Innocent III, portant sur les cinquième, sixième et septième années du pontificat. Il s’agit même en fait de deux fragments, puisque l’un (fol. 1–18) contient les lettres 170 à 215, et l’autre les lettres 260 à 275 de cette troisième année.

Ce sont les 62 lettres de ce fragment qui sont éditées dans ce volume, et il s’agit là de la première édition critique de ces lettres faites à partir du registre original. Une édition qui, cela va de soi, répond aux critères de qualité mis en place lors de la publication de la première année du pontificat d’Innocent III.

Parmi les thèmes abordés figurent des questions classiques, comme des élections épiscopales ou abbatiales disputées (n° 171, 215, 272), la lutte contre les hérésies (n° 172, 193), la provision de bénéfices (n° 173, 194), des conflits entre ville et évêque (n° 175, 176, 211, 212), entre deux villes (n° 202) ou entre abbaye et évêque (n° 195), entre les Templiers et un chapitre (n° 262), des conflits de juridiction entre ville et justice ecclésiastique (n° 190; voir aussi n° 206, 207, 208).

Les grandes affaires du pontificat ne sont pas absentes, qu’il s’agisse de la répudiation d’Ingeburge de Danemark (n° 180–187, 189, dont certaines lettres adressées au pape), des affaires de Sicile et des Marches (n° 191, 192, 198, 199, 263, 266–271) ou de la croisade, présente par une taxe de 2 % sur les revenus des abbayes prémontrées (n° 264, 265).

Il est des questions moins souvent traitées. Le n° 174 est une décrétale (entrée dans les collections) relative au droit d’asile: le pape fait la distinction, parmi ceux qui recourent à ce droit, entre les libres, qu’on ne peut arracher de force à l’église où ils se sont réfugiés, et les non-libres, qu’on doit remettre de force à leur seigneur. Dans la lettre n° 177 Innocent III prend la défense d’un moine diacre, appelé à devenir prêtre, mais dont on découvre qu’il n’est pas passé par l’acolytat. Il peut aussi admonester sévèrement un cistercien devenu évêque mais resté bien peu régulier (n° 179), pardonner à un chapelain qui par mégarde avait écrasé un enfant (n° 188; voir une affaire similaire au n° 205). Il charge aussi l’archevêque de Conza de régler le conflit latent entre Grecs et Latins dans le sud de l’Italie, rappelant les mots de saint Paul selon lesquels il n’y a plus ni juif, ni Grec (n° 196). Il ordonne une enquête au sujet de l’évêque de Bologne qui aurait ordonné simultanément diacre et prêtre l’élu d’Imola (n° 203), crée un cardinal (n° 261). Il est évidemment aussi question d’une fausse lettre pontificale (n° 209), et d’une autre dont l’authenticité est suspecte (n° 214). À côté de rares confirmations de biens, on relève une confirmation de la règle des Humiliati (n° 210), ou celle de l’accord conclu entre le comte de Flandre et la veuve de son prédécesseur (n° 213).

Innocent III montre aussi qu’il fait usage de ses registres pour vérifier les informations qu’on lui transmet (n° 178).

Malgré sa brièveté, due à son aspect fragmentaire, ce registre montre bien l’action du pape, entre grandes questions politiques et petites querelles. Sa lecture sera très instructive pour tout chercheur en histoire de l’Église médiévale.