Le cœur de l’ouvrage est la publication de 26 documents relatifs au rôle joué dans le royaume angevin de Sicile par Robert II, comte d’Artois (1248–1302). Neveu de Saint Louis et de Charles d’Anjou, Robert d’Artois a été, entre 1270 et sa mort en 1302, le principal chef de guerre de la famille capétienne, au service de la branche »française« (de Saint Louis à Philippe le Bel) comme de la branche »angevine« (Charles Ier et Charles II, rois de Sicile). Après le déclenchement de la guerre des Vêpres siciliennes (printemps 1282), Robert d’Artois a été appelé à la rescousse par Charles Ier d’Anjou. Sous divers titres, au cours d’un séjour qui a duré près de dix ans (1282–1291), le comte d’Artois a exercé une influence déterminante dans la destinée du royaume de Sicile, en tant qu’homme de guerre et administrateur (une annexe, p. 155–165, reconstitue son itinéraire dans le royaume angevin de 1282 à 1291). Bien documenté par les chroniques contemporaines et par les actes de la série des »registres de la chancellerie angevine«, détruits en 1943 mais reconstitués peu à peu depuis lors, le séjour du comte d’Artois a laissé une trace importante dans la série A des archives départementales du Pas-de-Calais, à Arras.

Sans qu’on en sache plus sur les conditions concrètes du transfert, Robert d’Artois est rentré en France en emportant avec lui une série de documents de toute nature. De cet ensemble, qui était sans doute à l’origine plus fourni, il reste aujourd’hui les 26 documents dont Jean-Marie Martin propose ici l’édition, dans l’ordre chronologique. Ce sont tout d’abord trois lettres de Clément IV relatives à des marchands siennois adhérents du parti guelfe (1267–1268) et une lettre de Charles d’Anjou (1267) avec le même objet, les quatre documents appartenant visiblement à un même dossier, dans leur sujet comme dans leur forme: il s’agit en effet de vidimus établis, le 3 juillet 1268, par l’official de l’archidiacre de Paris.

Une autre lettre de Charles d’Anjou, sous forme originale cette fois et en français, est adressée au comte de Boulogne; le roi de Sicile agit ici au nom de son neveu Robert d’Artois (1284). Pour les années 1288–1292, un dossier est formé par une série de mandements (ordres) adressés par Charles (dit Martel), héritier du royaume de Sicile, seul ou en compagnie du comte d’Artois; celui-ci est par ailleurs l’auteur de trois autres mandements; un dernier ordre est donné par Jean de Montfort, camérier du royaume de Sicile. Conservés en originaux, ces documents apportent un éclairage précieux sur l’administration du royaume angevin, tout autant que sur les relations entre les princes. Pleine d’effusion, la lettre du 5 juillet 1292 adressée par Charles Martel, alors vicaire général du royaume de Sicile, à Robert d’Artois rentré en France, montre bien la profonde reconnaissance que les Angevins avaient envers ce dernier, principal artisan de leur maintien sur le trône.

Deux autres ensembles de documents sont sans doute encore plus intéressants. Il s’agit tout d’abord d’une enquête, réalisée en 1286 sur les faits de trahison reprochés au comte d’Acerra, Adenolfo d’Aquino, à laquelle s’ajoute le texte de la sentence prononcée par Robert d’Artois à l’encontre de ce dernier. Longtemps délaissée, cette affaire a été étudiée récemment par Jean Dunbabin, Xavier Hélary et Alain Provost, et Jean-Marie Martin y a également consacré une étude, parue en 2016. Les dépositions des témoins, vivantes et détaillées, retiennent en effet nécessairement l’attention, et disposer du texte de l’enquête, avec l’identification, dans une annexe prosopographique, des 83 individus mentionnés, est une excellente nouvelle. C’est une pièce d’importance à verser au dossier des »procès politiques« de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle. Puisque Robert d’Artois revint avec ce dossier, en fit-il usage ensuite? Dans la floraison des procédures politiques engagées par Philippe le Bel, le procès du comte d’Acerra a-t-il servi?

Le volume comprend également l’édition d’un ensemble de documents relatifs aux biens offerts par les Angevins à Robert d’Artois dans le royaume en récompense de ses services: une »apodixe« (quittance), datée de 1297; deux attestations de livraison de grains pour les fermes du comte (1297–1298); un cahier portant la reddition des comptes des fermes (massarie) du comte d’Artois (1300); enfin, une lettre de Charles II d’Anjou (1302) et deux mandements du même (1303), ces trois documents étant tous relatifs aux sommes dues au comte d’Artois. Dans ce dossier, la pièce la plus intéressante, sous des abords austères, est la reddition des comptes des fermes, que vient éclairer l’étude d’Amedeo Feniello (p. 135–153): on comprend ainsi dans le détail le fonctionnement de ces grands domaines qui assurent la prospérité économique du royaume de Sicile; un utile glossaire permet d’élucider les termes techniques.

Très variés dans leur nature, les documents publiés dans ce volume sont d’autant plus intéressants que les riches archives angevines ont été détruites en 1943. On ne peut que souhaiter que l’exemplaire publication donnée par Jean-Marie Martin soit imitée pour d’autres fonds où se conservent des actes, sous forme originale ou en copie, de la dynastie angevine.

Directeur de recherches au CNRS, Jean-Marie Martin a disparu en 2021. Le volume que publie l’IRHT rend un nouveau témoignage à ses qualités bien connues d’historien de l’Italie méridionale et d’infatigable éditeur de sources.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Xavier Hélary, Rezension von/compte rendu de: Jean-Marie Martin, Amedeo Feniello, De la Pouille à l’Artois. Documents italiens concernant le comte d’Artois Robert II conservés aux archives départementales du Pas-de-Calais (1266–1303), Paris (CNRS Éditions) 2022, 208 p. (Documents, études et répertoires, 92), ISBN 978-2-271-14032-6, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101294