Les recensions bibliographiques universitaires sont souvent consacrées aux ouvrages de qualité publiés par des chercheurs issus de leur milieu et oublient parfois les travaux des passionnés d’histoire locale dont certains réalisent des études d’un niveau équivalent. Dans cette catégorie, il est possible de citer cette monumentale histoire de l’abbaye de Lessay dont l’abbatiale est un des chefs d’œuvre de l’art roman normand. Son auteur est natif du lieu, enseignant retraité d’histoire-géographie au collège local: il nous livre le fruit d’une collecte documentaire de plus de cinquante ans. Michel Pinel est sans conteste un des érudits les plus pointus du département de la Manche dont les publications ont contribué à mettre à la portée de tous l’histoire de ce dernier. La qualité du travail n’a pas échappé à la médiathèque du patrimoine et de la photographie qui l’a soutenu et dont le directeur, Gilles Désiré dit Gosset, conservateur général du patrimoine, en a réalisé la préface.

Comme tous travaux historiques, le travail est lié aux sources. L’honnêteté de l’auteur permet de savoir que les originaux sont peu nombreux. Entre les pillages anglais de la guerre de Cent Ans, des protestants, de la Révolution, sans oublier de la Seconde Guerre mondiale et les bombardements américains qui ont détruit la totalité des archives départementales si ce n’est une charte de Guillaume-le-Conquérant qui se trouvait à Laval: la moisson est plutôt maigre. Pourtant, outre les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France, nombre d’actes ont été recopiés par des érudits locaux et des fac-similés ont été réalisés dont celui de la charte de fondation. Les archives diocésaines antérieures à 1905 ayant été conservées à l’évêché, l’auteur a bénéficié de l’aide active des directeurs des archives départementales successifs et de ses employés, sans oublier des documents empruntés ou sauvegardés, ici et là, par quelques-uns qui ont alors refait surface. Le tout est répertorié avec la bibliographie que l’on peut considérer comme complète à la date d’édition.

Ce travail de fonds trouve sa réalisation dans la composition du volume. En effet, à chaque fin de chapitre, l’auteur a édité une bonne partie des sources écrites qu’il a utilisées. Travail minutieux qui, certes, n’a pas les apparaux scientifiques d’un chartiste mais constitue une base impressionnante utile à ceux s’intéressant à l’histoire des abbayes. Ce travail n’a d’ailleurs pas semblé suffisant à Michel Pinel qui dans un supplément édite l’inventaire quasi-complet de 1906, l’inventaire du mobilier de l’église paroissiale du 1er juin 1944 et les sceaux des abbés de Lessay ainsi que l’inventaire détaillé des inventaires des archives paroissiales (300 J 443) et des actes notariés se trouvant aux archives départementales de la Manche (5 E 5483–5647, 32 484). Cette observation vaut aussi pour les photographies et les plans qui illustrent abondamment le volume et soulignent les propos.

Cette collecte permet de suivre l’histoire de l’abbaye Sainte Croix avec un regard depuis sa fondation vers 1080 au départ des religieux en mai 1790, suite à la loi du 13 février supprimant les congrégations religieuses et les vœux perpétuels. Comme toutes les études en la matière, on y retrouve l’étude de la charte de fondation, du patrimoine et les différentes étapes dont le pillage du monastère par les Anglais en 1356. Il faut à la communauté un demi-siècle pour réparer les dégâts faits à l’abbatiale, la mise en commande en 1484, le passage des protestants et l’arrivée des mauristes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le plus de cette étude, malgré quelques redites, est de s’intéresser à la vie religieuse locale et aux bâtiments du monastère avant et après que l’abbatiale ne devienne l’église paroissiale, en 1791: l’ancienne église paroissiale tombant en ruine est détruite.

Dans cette suite postrévolutionnaire, l’auteur laisse une large place aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Le bourg et l’église sont bombardés le 6 et 9 juin par l’aviation américaine. En partant les Allemands, pour une raison inconnue font exploser l’abbatiale, les bâtiments conventuels ne sont pas en meilleur état. La question est alors de savoir si l’un et l’autre doivent être restaurés. Grâce à, entre autres, la volonté d’Yves-Marie Froidevaux, alors architecte des monuments historiques, il est décidé de la reconstruire à l’identique: les travaux sont achevés en 1959. Quelques éléments ont été modifiés: le clocher retrouve probablement son aspect d’origine, l’ossature de la toiture a été réalisée en béton armé, comme à la cathédrale de Chartres, et les ardoises ont été remplacées par des tuiles en schiste local. De fait, les habitants du lieu restent fortement attachés à leur église et à une abbaye dont le témoignage ultime est la foire Sainte-Croix quasi millénaire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Michel Pinel, L’abbaye de Lessay. Mille ans d’histoire d’un monastère bénédictin du Cotentin et notes historiques sur les paroisses de Sainte-Opportune et de Lessay, (Michel Pinel Éditions) 2022, 638 p., ill. en n/b et en coul. (Histoire), ISBN 978-2-9583458-0-8, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101310