Ouvrage issu d’une thèse de doctorat, »L’État à la lettre« de Jérémie Ferrer-Bartomeu propose de questionner les écrits politiques durant une longue seconde moitié du XVIe siècle, celui des guerres de religion1. L’étude porte sur un groupe faisant profession de l’écrit au service de l’État. Pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage, ces individus forment une »société administrative«. L’ouvrage aborde cette vaste question au prisme de l’humain. Un individu retient l’attention: Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy. Il est celui qui, au-delà des violences religieuses qui marquent les grandes scansions de la période, en définit les bornes: l’ouvrage s’ouvre sur sa prise de fonction comme secrétaire de Charles IX en 1567 et se termine à sa mort en 1617 (p. 22–23). Sa longévité et sa bonne insertion au service de l’État en fait un témoin précieux (p. 102). L’auteur s’intéresse aux »rapports de force et de pouvoir au sein du champ qu’est l’État dans le contexte spécifique des guerres de Religion« (p. 19). Pour réaliser son étude, il s’appuie sur des sources riches et nombreuses: correspondances politiques, mémoires, actes, écrits personnels. L’auteur s’appuie aussi sur une riche bibliographie disponible uniquement en notes.

Le livre s’organise en trois parties. Une première partie dresse une typologie des acteurs. L’auteur y livre le portrait-type de l’administrateur. Il apporte une réelle réflexion sur la construction de l’État monarchique au prisme de ses serviteurs (chapitre 1): secrétaires d’État, commis, ambassadeurs, mais aussi grands officiers et membres de la famille royale, notamment durant la régence de Catherine de Médicis2 (p. 49). Apparait ici un groupe dont la composition se pérennise, bien que les courriers ne soient perçus comme des serviteurs de l’écrit (p. 47). Au cœur de ce groupe s’établissent des membres d’une même parentèle, dont les papiers montrent surtout »la stratégie programmatique d’ascension familiale« (p. 56), à l’instar de Louis Ier le Pelletier; des familles organisées en véritables clans3 qui gèrent l’ascension sociale de leurs membres. L’auteur pose la question de la spatialité physique de l’écrit (chapitre 2), maintenu »dans l’espace du palais« (p. 77). Cet écrit est par sa difficulté d’appréhension l’un des »leviers principaux de la construction sociopolitique de la réalité« (p. 78). L’auteur met toutefois en garde contre une tentation biographique de Villeroy en mobilisant des sources qui sont une trace de son action politique. Pour la plupart écrites lors de sa disgrâce (1588–1594) et son ralliement au camp ligueur, les sources confirment cette capacité justificatrice. Son retour en grâce par son ralliement au roi (p. 108) montre aussi comment dans cette France d’Ancien Régime, la faveur royale peut faire la carrière d’un individu4.

Une seconde partie met en avant les pratiques de l’écrit, questionnant la nécessité d’efficacité et celui du nombre d’individus à employer (chapitre 3). S’appuyant sur les travaux de Filippo de Vivo, l’auteur reprend l’idée de la diffusion et la conservation de l’information comme un acte politique. Les secrétaires apparaissent comme des acteurs spécifiques de »la circulation de l’information« (p. 129). Dans une période de tensions récurrentes, l’écrit politique se développe parallèlement au rapport nécessaire entre les villes et le pouvoir royal. Une dynamique bureaucratique où Henri III joue un rôle important et dont bénéficie Henri IV. Le rappel de Villeroy en 1594 en témoigne (p. 194). L’auteur pose également la question de l’autonomie (chapitre 4) et de la dangerosité des transports. Une problématique bien connue des études sur la diplomatie moderne que l’auteur explique par un paradoxe: l’autonomie repose sur le contexte difficile où l’éloignement rend la prise de décision obligatoire, faisant naître l’expertise. La norme vient alors de »l’adaptation, au prisme de l’autonomie des agents, des règles de la pratique« (p. 195). L’internationalisation des dynamiques conflictuelles de la seconde moitié du XVIe siècle renforce par ailleurs cette idée. L’auteur aborde la question de la mise en circulation de l’information politique et de l’apprentissage de ses codes (chapitre 5). Il en ressort une maîtrise empirique, construite au contact de réseaux familiaux et personnels que l’auteur explique par un »habitus d’administrateurs« (p. 210). Ces différents codes et cette autonomie prise par les serviteurs de l’État se confrontent à un mouvement de contrôle de l’administration par le pouvoir royal, notamment à partir des années 1580.

Une troisième partie traite du rapport avec le roi dans la mise en place d’une monarchie administrative (p. 227). Au prisme de représentations iconographiques, il est question de la représentation de l’écrit et du secrétariat (chapitre 6). Le courrier des Gravelines, détail du cycle de la salle des Batailles de l’Escurial, témoigne de »l’importance symbolique […] que le personnel des institutions de l’écrit acquiert« (p. 236). Cette importance discrète se retrouve dans d’autres tableaux analysés par l’auteur, montrant que le »papier d’État vient fixer les enjeux et les cadres politiques« (p. 245) du temps. Durant les guerres de Religion, l’écrit est un moyen d’exercer le pouvoir pour le souverain (chapitre 7). L’auteur insiste sur ce contexte spécifique (p. 255) où l’intermédiation des secrétaires devient nécessaire, ces derniers étant des »hubs qui confèrent une centralité au souverain« (p. 265). Une action qui participe à repositionner le roi comme le cœur de l’action politique. Ainsi, la »médiation de l’office« (p. 294) joue un rôle majeur sous Henri III et Henri IV: le roi est au centre, entouré par des officiers. L’auteur aborde la manière dont une décision politique se prend dans un contexte d’internationalisation entre France, Angleterre et Espagne (chapitre 8). Le chiffre a alors acquis une »dimension socio-politique importante […] en même temps qu’il est une pratique administrative connue et partagée« (p. 330) dont témoignent plusieurs cas comme celui de Thomas Morgan. Circulation de l’information et prise de décision permettent de voir que l’autonomie acquise par Villeroy en a fait un »maître d’une complète information« (p. 301).

»L’État à la lettre« se concentre sur les humains donnant vie et les écrits donnant corps aux institutions d’Ancien Régime. Étudiant l’écrit et ses plumes dans un contexte où le renforcement de l’État est rendu nécessaire par les troubles civils du temps, Jérémie Ferrer-Bartomeu analyse finement comment ces éléments participent à la structuration d’une société administrative experte. »L’État à la lettre« est un ouvrage essentiel pour qui désire comprendre le champ historiographique de l’administration, des institutions et de la nature de l’État durant la première modernité.

1 Nicolas Le Roux, Les guerres de religion 1559–1629, Paris 2009.
3 Damien Fontvieille, Le clan Bochetel. Au service de la couronne de France (XVe–XVIIe siècle), Paris 2022.
4 Cédric Michon, François Ier, un roi entre deux mondes, Paris 2018, p. 297–309.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Clément Desgrange, Rezension von/compte rendu de: Jérémie Ferrer-Bartomeu, L’État à la lettre. Écrit politique et société administrative en France au temps des guerres de religion (vers 1560–vers 1620), Ceyzérieu (Champ Vallon) 2022, 368 p. (Époques), ISBN 979-10-267-1085-1, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101515