»L’université de Halle et la cour de Berlin (1690–1740)«, ouvrage écrit à quatre mains, a son origine dans le programme de recherche interdisciplinaire »Lumière – Religion – Savoir« commencé en 2012 à l’université de Halle. De ce projet était sortie l’excellente thèse de Marianne Taatz-Jacobi (sous la direction d’Andreas Pečar), publiée en 2014 sous le titre de »Erwünschte Harmonie«, dans laquelle l’historienne revenait avec une grande acuité sur le mythe de la naissance de l’université de Halle comme université des Lumières à partir d’un retour critique sur la politique confessionnelle du Brandebourg-Prusse: à l’aide d’un corpus de sources inédites, Marianne Taatz-Jacobi mettait en cause la conception que les historiens se faisaient de la »tolérance« religieuse dans l’électorat, ce qui l’entraînait du même coup à revoir les origines de l’université de Halle.

Dans ce nouvel ouvrage, l’université de Halle reste au cœur du sujet en même temps qu’elle sert d’observatoire pour analyser la politique académique menée par l’électorat du Brandebourg-Prusse. L’ensemble des échelons du pouvoir impliqués dans la vie de l’université sont pris en considération: l’électeur du Brandebourg, son conseil privé, mais aussi les différentes autorités territoriales et locales engagées dans la gestion de l’université. Les relations entre Berlin – siège de la cour et de l’administration politique de l’électorat – et la ville de Halle – intégrée récemment au Brandebourg (avec l’ensemble du duché de Magdebourg) – servent ainsi de toile de fond à cette étude. Il faut savoir qu’Andreas Pečar a longtemps travaillé sur la »Herrschaft«, terme sans équivalent en français et qui désigne grossièrement les rapports de pouvoir en général. Le terme renvoie dans cet ouvrage au caractère négocié des rapports politiques en mettant au centre le concept de »akzeptanzorientierte Herrschaft« qui décrit les difficultés des pouvoirs pour se faire accepter. D’où l’importance donnée ici au processus de communication entre les acteurs impliqués dans l’histoire de l’université.

Ce double regard fait de ce livre un ouvrage incontournable sur les universités en général, sur celle de Halle en particulier et enfin, sur la thématique de la gouvernance. Les deux auteurs intègrent avec habileté la problématique qui domine actuellement le champ universitaire mondial: l’excellence peut-elle se décréter, c’est-à-dire peut-elle venir d’en haut? Cette interrogation implique d’évaluer le rôle exercé par les différentes instances de pouvoir sur l’université de Halle autour de 1700. Cette vision s’oppose à la conception classique selon laquelle quelques savants – Christian Thomasius et August Hermann Francke –, parce que »exceptionnels«, auraient eu une action tout aussi »exceptionnelle« sur l’université.

Dans un premier temps (qui correspond au deuxième chapitre), les deux auteurs reviennent sur la question de l’origine de l’université: doit-elle réellement sa naissance à Thomasius et à un désir de renouveau pour l’université? Un à un, tous les clichés sur l’institution sont démontés, au moyen de phrases incisives et percutantes. Au mythe, les deux historiens substituent l’histoire à l’aide d’un imposant travail d’archives, qui met au jour entre autres l’écart entre la représentation que Thomasius se faisait de la future université et la mise en œuvre réelle du projet.

Le chapitre suivant revient sur les années 1730, considérées comme celles de la »crise« de l’université de Halle: à l’aide d’une enquête très fouillée encore, les deux auteurs déconstruisent ce diagnostic en montrant précisément par qui il a été porté et comment.

Le quatrième chapitre aborde la question du recrutement des professeurs en dix portraits, une thématique entrée récemment dans le champ de l’histoire universitaire. Marianne Taatz-Jacobi et Andreas Pečar décomposent minutieusement les étapes du recrutement des professeurs en tenant compte des acteurs impliqués dans ces choix et de leur degré d’engagement. Cette étude leur permet d’étayer leur thèse – à savoir que l’université de Halle ne proposait pas un modèle nouveau – en montrant justement que les premiers recrutements ne rompaient pas avec la tradition.

Le cinquième chapitre décrit une série de conflits à l’intérieur de l’université, notamment autour de Thomasius d’une part, et de Wolff d’autre part. Cette analyse qui prend en compte l’ensemble des protagonistes intervenus dans ces querelles montre que Thomasius et Wolff avaient une position critique vis-à-vis de l’université: c’est leur désir de la faire évoluer qui est à l’origine de conflits avec leurs collègues et les autorités.

Le dernier chapitre étudie les relations entre l’université et la ville – les membres de l’université jouissant d’un certain nombre de privilèges. Ces conflits sont utilisés comme observatoire des rapports de force entre Berlin et Halle.

Ce livre sur l’université de Halle rompt avec l’historiographie sur le sujet car il ne l’aborde ni à partir d’une histoire des disciplines ou des savoirs (envisagés à partir des enseignements et des écrits publiés par les professeurs), ni en se fondant sur des sources normatives, mais au moyen d’une multitude d’archives qui ont également une dimension socio-politique.

Ce déplacement rend compte du parti pris de ne pas considérer l’institution comme un isolat, mais au contraire de l’intégrer dans la série de pouvoirs auxquels elle appartenait et de restituer ainsi son histoire en tenant compte des jeux d’influence entre l’électeur, le conseil privé, le conseil de la ville de Halle, etc. Ce n’est pas un des moindres résultats de ce travail que de mettre en évidence le rôle joué par le hasard dans l’histoire de cette université – c’est-à-dire ce qui échappe à la planification.

En résumé, un livre réussi, stimulant, qui vient renouveler en profondeur le champ de l’histoire des universités, l’historiographie sur Halle et qui permet également de revisiter la conception des relations politiques à l’intérieur d’un état phare du Saint-Empire – le Brandebourg-Prusse.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne Saada, Rezension von/compte rendu de: Andreas Pečar, Marianne Taatz-Jacobi, Die Universität Halle und der Berliner Hof (1691–1740). Eine höfisch-akademische Beziehungsgeschichte, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2021, 351 S. (Wissenschaftskulturen. Reihe III: Pallas Athene, 55), ISBN 978-3-515-12910-7, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101528