Ce livre, issu d’une thèse, porte sur la réception de la Querelle d’Homère déclenchée en 1715 à l’occasion de la traduction de l’»Iliade« par Houdar de La Motte et de la publication des »Causes de la corruption du goût« par l’helléniste Anne Dacier. Cette controverse constitue le deuxième épisode de la Querelle des Anciens et des Modernes et s’est structuré autour de ces deux auteurs. S’y joue la question de l’authenticité des épopées attribuées à Homère, débat qui opposait ceux qui considéraient qu’il était leur auteur à ceux qui soutenaient la position inverse.
L’originalité de l’ouvrage est de présenter cette Querelle à travers un périodique qui a joué un rôle fondamental dans la République des lettres dès sa parution en 1672, le »Mercure galant« (également désigné comme »Le Nouveau Mercure galant«). Au moment de la Querelle d’Homère, le »Nouveau Mercure galant« se trouve sous la responsabilité de Hardouin le Fèvre de Fontenay. Entre le printemps 1714 et l’automne 1716 vingt-neuf numéros paraissent, dans lesquels il est question de la Querelle.
Le travail de David D. Reitsam se présente comme une étude de réception dont l’objectif est d’évaluer la concurrence des idées anciennes et modernes au moment de la Querelle. La méthode s’inspire de l’analyse des discours de Michel Foucault tout en la conciliant avec l’histoire des idées. La société d’ordres, la glorification du roi, la mort du Roi-Soleil, le rôle de la femme dans le paysage littéraire constituent les arrière-plans de cette étude.
Dans une première partie, David D. Reitsam se penche sur la dimension politique de la Querelle, reconstruite à l’aide des contributions du »Nouveau Mercure galant«: il se livre à un minutieux travail de généalogiste sur les articles publiés afin d’identifier les auteurs de la revue. Leur analyse et leur classification selon les positionnements affichés sur des thèmes politico-sociaux lui permettent de mettre en lumière la diversité des points de vue adoptés dans la revue. Cette palette renvoie à l’une des caractéristiques structurelles du »Nouveau Mercure galant« à savoir qu’il est écrit par de nombreuses mains: contributeurs officieux réguliers, lecteurs-auteurs, contributeurs occasionnels. Cette variété est à l’origine de l’expression employée – »salon de papier« – pour qualifier le périodique.
La deuxième partie s’attache à définir dans quelle mesure le »Nouveau Mercure galant« a joué un rôle dans la diffusion des idéaux et des genres littéraires à partir d’une analyse de textes très poussée. Du point de vue de la méthode, il s’est agi pour l’auteur de déchiffrer les concepts esthétiques des Anciens et des Modernes dans la revue puis, de traquer la présence des concepts qu’ils emploient dans d’autres types d’articles. Malgré une nette dominance des Modernes, les points de vue des Anciens sont également exprimés, ce qui fait du périodique un véritable »forum«. Vu sous cet angle, le périodique s’apparente davantage à un recueil qu’à un journal avec une ligne éditoriale clairement définie.
Dans la dernière partie, épistémologique, l’auteur part à la recherche des sources utilisées par les contributeurs: l’enjeu est d’identifier dans quelle mesure les auteurs grecs et latins bénéficient toujours d’une certaine autorité, puis à quel point la méthode géométrique, et notamment l’idée du progrès ont réussi à s’implanter. On s’aperçoit alors que les thèmes évoqués ne sont pas exclusivement scientifiques mais concernent tout autant l’astronomie, la philosophie, les qualités d’un homme de lettres.
Au terme de l’ouvrage, on apprécie la modestie et l’honnêteté de son auteur qui souligne l’impossibilité d’établir une frontière absolue entre les Anciens et les Modernes et préfère pour cette raison parler de continuum. Sa volonté de replacer les arguments échangés dans le »Nouveau Mercure galant« dans une perspective plurifactorielle – politique, esthétique et épistémologique – est louable. Son analyse exhaustive de la revue sur une période définie constitue par ailleurs une contribution indéniable à la connaissance de la presse d’Ancien Régime.
On ne peut cacher cependant que derrière une érudition éblouissante et des capacités analytiques réelles, l’ouvrage contient des longueurs et des répétitions qui nuisent à la qualité du texte et nous amène parfois à nous interroger sur la pertinence de l’angle choisi et la structuration des arguments. Il n’est pas impossible de ce point de vue que le découpage de l’ouvrage selon trois thématiques – politique, esthétique, épistémologique – ait abouti à segmenter de manière artificielle des discours qui n’étaient pas prévus pour l’être, ce qu’une approche plus historique de l’objet aurait pu éviter.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne Saada, Rezension von/compte rendu de: David D. Reitsam, La Querelle d’Homère dans la presse des Lumières. L’exemple du »Nouveau Mercure galant«, Tübingen (Gunter Narr Verlag) 2021, 470 S. (Biblio 17, 225), ISBN 978-3-8233-8479-3, EUR 88,00., in: Francia-Recensio 2023/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101530