La dimension religieuse des processus de dialogue et de réconciliation dans l’Europe de la guerre froide est encore peu étudiée par les historiens, à la différence des figures de l’anticommunisme en milieu chrétien. C’est dire l’importance de l’enquête de l’historienne Urszula Pękala qui propose d’étudier les relations de l’épiscopat catholique allemand avec l’épiscopat polonais d’un côté, et l’épiscopat français de l’autre, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la réunification allemande. L’autrice se situe dans une perspective transnationale pour comparer les processus bilatéraux et les penser en dépassant une historiographie encore largement déterminée par l’approche séparée des deux Europe nées des fractures de l’après-guerre. La posture de fidélité à l’unité allemande, jamais totalement abandonnée par les évêques de la RFA et de la RDA, malgré leur insertion dans des systèmes politiques et sociaux antagoniques, incite du reste à promouvoir cette démarche. Il faut dire d’emblée la qualité et la richesse de l’étude réalisée qui repose sur la mobilisation d’un nombre impressionnant de sources, collectées dans près de vingt-cinq fonds d’archives des trois pays concernés, en premier lieu les archives des diocèses. La bibliographie n’est pas moins importante, avec toutefois une nette prédominance des publications de langue allemande, au détriment des travaux français ou italiens utiles notamment pour la mise en contexte des stratégies du Saint-Siège ou de l’internationale démocrate chrétienne.

Les échanges des épiscopats allemand et français reprennent peu après la fin de la guerre en lien avec la création et le développement du mouvement Pax Christi, présidé sur le plan international par Mgr Théas, évêque de Tarbes et Lourdes, puis le cardinal Feltin, archevêque de Paris. Ils s’intensifient avec la décennie 1960 à l’heure du traité de l’Élysée (1963) et du concile Vatican II (1962–1965). C’est au même moment que les relations reprennent vraiment entre l’épiscopat allemand et l’épiscopat polonais mobilisé par la célébration du millénaire du baptême de la nation. Après un premier échange de lettres entre les épiscopats allemand et polonais en 1965, elles se développent avec la reconnaissance des frontières par la RFA et la Pologne lors du traité de Varsovie (1970) dans un contexte européen qui évolue. Urszula Pękala montre cependant la distanciation de la sphère politique et de la sphère religieuse, par-delà les interactions.

Au total, même s’il faut se garder d’un effet de sources possible, les rencontres apparaissent plus nombreuses entre les évêques allemands et les évêques polonais qu’entre les évêques allemands et les évêques français, une distorsion dont rendent compte sans doute la conscience d’un passé de violence encore plus prégnant qu’avec la France et l’ombre portée de la frontière orientale sur toute la vie allemande. Les Allemands de l’Ouest sont au premier rang des échanges, sans surprise pour la France, mais ils jouent aussi un rôle déterminant dans les relations avec la Pologne. Il est vrai que l’Église catholique est-allemande est petite et dispose de peu de ressources, à la différence de sa puissante consœur. Aucune différence majeure n’apparaît toutefois dans le discours entre les évêques allemands de part et d’autre de la frontière, malgré leur insertion dans des contextes différents.

L’autrice, attentive aux inflexions chronologiques, met en évidence ces conclusions dans un plan thématique en cinq chapitres. Le premier met en place le contexte autour des héritages de la guerre, des effets de l’abaissement du rideau de fer et des évolutions des relations franco-allemandes et germano-polonaises. Vient ensuite la présentation des principaux acteurs et des modalités des échanges (voyages, liturgies, prédications, participation aux Katholikentage allemands, rôle des organisations laïques comme Pax Christi, etc.). Le troisième chapitre aborde les soubassements théologiques de la réconciliation (unité, pardon, paix) et les situe dans le contexte politique européen. Le chapitre suivant étudie les enjeux discutés comme le rapport au passé récent (guerre mondiale, nazisme), la question de la culpabilité et les problèmes de territorialité et de frontières. Enfin, Urszula Pękala se penche sur les connections entre les processus bilatéraux à l’heure de la construction d’un conseil des conférences épiscopales d’Europe pour achever son enquête autour du douloureux dossier du Carmel d’Auschwitz dont la résolution implique les épiscopats des trois pays.

L’apport du livre est considérable, même si l’on peut signaler des points qui pourraient faire l’objet d’approfondissements à l’avenir. C’est le cas en premier lieu de la question de l’adhésion et des réserves des catholiques devant le processus de réconciliation, l’autrice notant bien du reste que les paroles et les gestes des évêques ne sont pas toujours bien reçus et qu’ils doivent se contenter de dessiner un cadre. Il serait intéressant aussi de mieux évaluer l’interaction entre les dirigeants de la démocratie chrétienne et les évêques, en France comme en Allemagne, du moins dans les années 1950. Cet aspect recoupe en partie l’analyse des positions de la papauté (partage idéologique de l’Europe, construction européenne, Ostpolitik) de Pie XII à Jean XXIII puis Paul VI, une démarche qui pourrait être poussée plus avant, notamment grâce à l’ouverture des archives du pontificat de Pie XII en 2020.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christian Sorrel, Rezension von/compte rendu de: Urszula Pękala, Versöhner Europas? Die Rolle katholischer Bischöfe im deutsch-französischen und deutsch-polnischen Versöhnungsprozess (1945–1990), Göttingen (V&R) 2023, 511 S. (Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, 267), ISBN 978-3-525-57351-8, EUR 90,00., in: Francia-Recensio 2023/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.4.101591