Ce livre contient huit contributions de longueur variable présentées par une introduction. Trois sont consacrées à la Scandinavie (Danemark, Norvège, Finlande), trois à l’Italie (Nord, Sud, Rome), une à la Pologne et une à l’Allemagne (Westphalie). Cela fait le très grand prix de ces études qui abordent à la fois des espaces déjà bien connus pour l’histoire canoniale (même s’il est vrai que le Sud de l’Italie l’est moins que le Nord et que la collégiale Saint-Pierre de Rome mérite tout autant d’attention que la cathédrale Saint-Jean de Latran), et des régions du Nord et de l’Est européens qui sont mises ainsi en lumière, en complément d’éléments déjà connus pour la Hongrie et la Croatie. Mais il aurait fallu être plus pédagogique dans l’explicitation des réalités canoniales locales, il n’y a par exemple aucune carte dans les articles sur le Danemark, la Finlande, la Pologne. De même, aurait été utile une liste des chapitres, de leur localité, date de fondation, fondateurs, particulièrement dans l’article sur le Danemark (A. Minara Ciardi) où l’on saisit mal la nature des chapitres, séculiers ou réguliers.

L’introduction (A. Otto) pointe l’approche problématique de l’étude des chanoines séculiers: biographique, familiale et prosopographique, en souhaitant regrouper des terrains d’enquête divers. Les questions sont simples: quels sont les milieux qui produisent des chanoines? La noblesse, les gens éduqués, les prêtres? Comment devient-on chanoine? Quelles règles régissent le recrutement des chapitres? Son auteur les synthétise grâce à l’expression »Canonize Yourself« qui fut celle d’une session du congrès de Leeds en 2018, mais il est dommage qu’elle ne soit pas plus commentée: d’où est-elle prise dans le corpus documentaire? Que signifie-t-elle exactement, alors que le terme latin se canonicare est bien employé dans le Midi de la France mais souvent appliqué à des laïcs.

Sur les problématiques liées aux interventions pontificales, traitées de manière détaillée pour la Finlande (K. Salonen), les rouages administratifs de demande des grâces et de production des lettres de collation sont finement décrits mais rien n’est dit sur les accords de concordat entre la monarchie et la papauté. Pourtant, cela détermine la latitude laissée aux uns et aux autres pour intervenir dans le processus bénéficial. Dans ce domaine, entre autres, l’historiographie française, très fournie notamment pour la période de la papauté d’Avignon, est largement ignorée. Sa lecture aurait permis de partir de constats établis depuis longtemps, notamment celui que les chanoines les mieux insérés dans les réseaux pontificaux sont aussi les moins investis localement.

Il est vrai que le champ de l’histoire sociale pour mieux connaître les milliers de clercs qui ont poursuivi une carrière canoniale en Europe, rien qu’au Moyen Âge, est très vaste et la question problématique est absolument pertinente. Les études fines proposées sur les carrières dans les collégiales polonaises, dans les cathédrales de Trente et du Midi italien ont nécessité une approche très pointue des sources et forment un terrain de comparaison très fécond entre elles et avec d’autres espaces.

On regrette un peu, dans le développement, le manque d’attention aux modalités concrètes de la vie canoniale, dans le cadre du cloître, ce qui aurait répondu à la question introductive sur les occupations quotidiennes des chanoines. En cela, il est très intéressant de repérer que les chanoines de Saint-Pierre de Rome (J. Johrendt) dorment en dortoir encore au début du XIIIe siècle alors que par ailleurs, plusieurs d’entre eux sont encore mariés dans le courant du siècle (notamment dans la famille Sant’Eustachio où l’on est chanoine de père en fils). Et de voir l’attention portée par les évêques de l’Italie du Sud à la restauration de la vie liturgique des chapitres après les années de fer 1239–1266 où l’interdit a sévi partout (A. Antonetti).

Mais l’introduction aurait dû mettre en perspective les territoires étudiés, certains étant des terres de très ancienne chrétienté caractérisées par de très petits diocèses (Mezzogiorno italien), d’autres, des terres de christianisation bien plus récente. La question se posait de savoir quelles fonctions y endossent les chapitres, forcément différents dans leur constitution d’une région à l’autre. La Scandinavie et la Pologne (A. Kowalska-Pietrzak) n’ont pas connu les chanoines de type carolingien et ne disposent pas de cet héritage. Cela pose aussi la question des modèles: lesquels ont servi pour dupliquer des institutions voisines plus anciennes, notamment dans le Nord et l’Est européens? Dans la structuration des chapitres et le rôle des dignitaires, on remarque la place particulière des archidiacres et archiprêtres (à Turku, à Brindes, à Canne, etc.) et l’article sur le Midi italien parle précisément du mode français (ad modum Francie) qui comprend un doyen, un archidiacre, un trésorier et un chantre. Qu’en est-il de ce modèle? Quelles répercussions ont eu ces emprunts, ces circulations sur les chapitres du lieu? Cela vaut aussi pour la réforme canoniale: Guillaume, ancien chanoine de Sainte-Geneviève de Paris, entre en contact à l’université de Paris avec l’évêque de Roskilde au Danemark qu’il suit en Scandinavie vers 1162 pour réformer selon la vie canoniale régulière, le chapitre Saint-Thomas d’Eskil. Il en devient l’abbé et meurt en odeur de sainteté en 1202.

Le sous-titre du livre introduit la notion de droit canon qui aurait unifié la diversité du monde canonial, mais cela n’est pas du tout repris dans le volume. En cela, la définition juridique de ce qu’est un chapitre aurait pu permettre de mieux caractériser les institutions étudiées et d’éviter de prendre pour chapitre tout le clergé d’une cathédrale, qui par ailleurs distingue bien, hiérarchiquement, les membres du chapitre et les clercs auxiliaires (d’où l’intérêt d’une carrière comme celle du chanoine Vigil de Trentre qui transcende les frontières institutionnelles, E. Curzel). D’ailleurs, la hiérarchie sociale, qui est l’un des thèmes privilégiés par le livre, s’y retrouve sans cesse et sans surprise, surtout en terre d’Empire où le nombre de quartiers de noblesse nécessaires à l’entrée dans un chapitre (comme à Paderborn, J. Wunschhofer) exclut absolument tout individu d’une catégorie sociale inférieure et ne peut que le cantonner à d’autres fonctions dans l’Église. En revanche, la notion de diversité est réelle, vu l’ampleur des régions étudiées; cependant ce qui frappe aussi est le caractère incroyablement unificateur de la vie canoniale séculière et des chapitres qui semblent s’être installés sans peine dans les régions de christianisation plus récente.

En somme, l’une des conclusions saillantes de la réunion de ces études est que le monde canonial absorbe les élites de la société qui l’entoure, quelles qu’en soient les composantes: grande noblesse dans l’Empire, agents de l’administration royale dans le Sud de l’Italie et en Pologne, monde marchand aisé dans le Nord, milieux urbains et ruraux favorisés à Nidaros en Norvège (S. Høgetveit Berg) et parfaitement connectés aux réseaux commerciaux. Et effectivement, comme le souligne l’introduction, que les chanoines sont des hommes de réseaux et qu’ils tiennent en équilibre plusieurs intérêts: dynastiques, individuels et collectifs.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne Massoni, Rezension von/compte rendu de: Sigrun Høgetveit Berg, Arnold Otto (ed.), Secular canons in Medieval Europe. Diversity under Common Canon Law, Berlin (Akademie Verlag) 2023, 184 p., 8 fig. (Studien zur Germania Sacra. Neue Folge, 14), ISBN 978-3-11-102713-5, EUR 124,95., in: Francia-Recensio 2024/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103041