L’étude du paysage historique est devenue un thème central de la recherche dès le début du XXIe siècle, en accord avec une sensibilité accrue pour l’écologie. Dans le présent ouvrage Jordi Bolòs s’intéresse, au nord-est de la péninsule Ibérique, à celui de la Catalogne médiévale. Il rappelle, dans son introduction, que le paysage porte la trace des habitants qui, au cours des siècles, se sont succédés dans une région qu’il définit selon des frontières »historiques«. La Catalogne, dont il est question ici, et dont l’auteur évite de mentionner l’appartenance à l’Espagne, inclut ainsi une partie du sud de la France (le Roussillon, le Conflent, le Vallespir et la Haute Cerdagne) ainsi que la principauté d’Andorre et la partie orientale de la région d’Aragon, la langue servant de critère à l’espace étudié. Il s’agit d’une région majoritairement montagneuse, bordée par la Méditerranée à l’est, et divisée depuis le Moyen Âge en Vieille Catalogne au nord d’un petit fleuve côtier, le Llobregat, et Nouvelle Catalogne au sud de celui-ci, c’est-à-dire la région reconquise sur les musulmans au XIIe siècle.
Conquise par les Francs au début du IXe siècle, la Vieille Catalogne resta dans la mouvance du monde carolingien pendant deux siècles avant d’obtenir une indépendance de fait sous l’égide des comtes de Barcelone, et de s’étendre vers le sud aux dépens des taifas musulmanes. L’auteur souligne donc l’intérêt que présente une région occupée par des populations différentes et à des époques distinctes, et termine son introduction en rappelant des publications antérieures portant, pour la période médiévale, sur les villages créés autour d’un bâtiment ecclésiastique, les châteaux, les villages installés autour des châteaux, les nouveaux villages ou bastides, les hameaux, les grosses fermes, les villes, et les cités; il y ajoute les travaux qui ont étudié les champs, le lit des cours d’eau, la création de terrasses, les champs allongés, l’irrigation, les moulins, les forêts, les pâtures et la transhumance, ainsi que les routes. Avant d’entreprendre son étude de la Catalogne, Jordi Bolòs signale enfin l’importance des travaux consacrés aux limites et aux frontières, aux grands et petits espaces, à la topographie et à la cartographie.
Treize chapitres permettent ensuite à l’auteur de développer, pour sa région, chacun des thèmes abordés. Utilisant aussi bien l’archéologie que les documents historiques, la géographie et l’étude du terrain actuel, et offrant de nombreux plans et cartes, il étudie dans tous les détails et depuis les origines romaines ou préromaines quatre villages créés autour de villae dans les Pyrénées, six agglomérations formées autour d’une église ou d’un monastère, huit châteaux et les villages qui s’y adossèrent, six implantations nouvelles dans les terres reconquises, le maintien d’un habitat dispersé avec sept exemples, et six villes et cités, ces dernières se caractérisant par la présence d’un siège épiscopal. Chaque ville ou village fait l’objet d’une étude particulière, historique, morphologique, sociale, parfois même artistique (dans le cas des églises romanes), et d’autres lieux sont également abordés dans chaque chapitre, qui s’achève sur une conclusion.
Les champs cultivés, avec deux exemples développés, puis les combes, les terrasses et la forme des parcelles cultivées, avec neuf exemples, et l’utilisation de l’eau – rivières, lacs, canaux, irrigation – pour les cultures maraîchères ou la pêche, complètent l’étude du paysage médiéval de la région. L’auteur y ajoute celle des moulins, horizontaux ou verticaux qui, comme les norias d’origine orientale, jalonnent les cours d’eau. Des mines de fer et d’argent, avec les forges qui les accompagnaient, font également partie du paysage, ainsi que des pressoirs, des fours de potiers et des puits de neige. Le sel, pour sa part, était extrait de mines, de rivières ou de marais salants. L’exploitation des forêts et les pâturages font l’objet d’un chapitre, suivi par l’étude du réseau de voirie qui articulait ces paysages: routes, grandes routes, ponts, gués, etc. Les voies de communication servaient parfois de limite entre deux terroirs, mais ceux-ci étaient aussi administrativement regroupés en »comtés«, en diocèses, en paroisses, en districts castraux, ou dépendaient d’une ville. Chacun de ces thèmes est amplement développé.
Les deux derniers chapitres sont consacrés à l’étude de la toponymie – toponymes préromains, romains, germaniques, arabes –, et à la cartographie dont l’importance est soulignée. Jordi Bolòs conclut cette analyse extrêmement détaillée de la Catalogne en signalant que l’étude des paysages historiques est un projet de longue durée qui requiert des comparaisons avec d’autres régions, voisines ou non. Dans le cas présent, ces comparaisons n’incluent ni l’Espagne – Aragon, Navarre, Castille –, ni le Portugal, faisant ainsi de la région étudiée un appendice isolé de l’Europe continentale, une sorte d’îlot au sud des Pyrénées orientales. Ce parti-pris ôte à l’ouvrage présenté une grande partie de sa valeur, la recherche menée semblant n’avoir pour but qu’une revendication politique.
Un glossaire, une très longue bibliographie et des index, onomastique, topographique et de thèmes, couronnent l’ensemble. Le lecteur qui parcourra la région ou cherchera des informations spécifiques sur un village, un château ou une exploitation minière trouvera indubitablement dans cet ouvrage une réponse à ses questions.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Adeline Rucquoi, Rezension von/compte rendu de: Jordi Bolòs, The Historic Landscape of Catalonia. Landscape History of a Mediterranean Country in the Middle Ages, Turnhout (Brepols) 2023, 400 p., (The Medieval Countryside, 23), ISBN 978-2-503-60305-6, EUR 110,00., in: Francia-Recensio 2024/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103044