Dans cet ouvrage, Kate M. Craig se propose d’étudier les voyages de reliques, entendus comme des déplacements temporaires, dans un espace septentrional comprenant le nord de la Francie occidentale et la Flandre, au cours du Moyen Âge central (mi‑XIe siècle–mi‑XIIe siècle), période caractérisée par une »explosion« de ce type de translations. Le propos de l’autrice n’est pas de s’attacher à leur dimension politique et culturelle, déjà largement traitée par ailleurs (P. Héliot et M. L. Chastang, M. Heinzelmann, P.-A. Sigal, R. Kaiser, E. Bozóky, S. Vanderputten, N. Dessaux entre autres). Il s’agit davantage de souligner les spécificités de voyages qui ne rentrent ni dans la catégorie des pèlerinages, ni dans celle des déplacements marchands, ainsi que leurs conséquences pour les restes saints, envisagés en tant qu’»objets«, pour les participants ou encore pour les contrées traversées.

Pour ce faire, la réflexion de Kate M. Craig est organisée en trois parties. La première d’entre elles est consacrée aux préparatifs de départ et aux interrogations soulevées par l’absence temporaire des reliques de leur lieu d’origine. L’autrice revient alors sur la dimension matricielle de textes tels que les »Translationes et miracula sancti Philiberti« d’Ermentaire ou les »Miracula sancti Germani« d’Aimoin. Ceux-ci, en leur temps, se sont questionnés sur la relation des reliques à leur lieu d’origine, sur les effets de l’absence de restes saints ainsi que sur le pouvoir de ces derniers une fois transportés en territoire étranger.

La seconde partie porte sur le voyage proprement dit et s’intéresse en particulier aux aspects logistiques de telles entreprises. Il est essentiellement question de contingences matérielles: comment déplacer un contenant relativement lourd sur une longue distance? Sur quels critères choisir les participants et en particulier les porteurs de la châsse? Quels sont les éventuels dangers rencontrés? Au cours de ces trajets, les reliques ainsi transportées sont amenées à croiser le chemin d’autres restes saints: comment évaluer les mérites des uns et des autres dans le processus miraculeux et, au besoin, comment les départager ou régler les conflits pouvant résulter d’une éventuelle compétition? C’est également dans ce cadre que la place et le rôle joué par les laïcs dans ces déplacements sont envisagés, que sont scrutées leurs réactions, éventuellement leur hostilité, face au départ et à l’absence de saints dont la présence leur est familière. À l’inverse, les voyages de reliques constituent aussi pour les laïcs un moyen inespéré d’approcher ces dernières et de solliciter une intervention miraculeuse par leur intermédiaire. Un tel empressement peut d’ailleurs ne pas être du goût des religieux présents et entraîner des tensions.

Quant à la troisième partie qui porte sur les lendemains de ces déplacements, elle envisage leurs conséquences, en particulier la manière dont ils contribuent à redéfinir les liens entre le saint, la communauté qui possède ses reliques, les bienfaiteurs de cette dernière et son patrimoine. Ce type de voyages permet de produire un espace sacré et de le structurer autour de sites dans lesquels les restes saints ont séjourné et qui conservent depuis la mémoire de ce passage. Ces lieux ne sont généralement pas choisis au hasard et peuvent renvoyer à des endroits fréquentés par les saints de leur vivant et mentionnés par leurs vitae ou leurs passiones.

La réflexion de Kate M. Craig repose sur un corpus composé de sources hagiographiques, en particulier sur un dossier comprenant huit textes jugés significatifs de ce que peut être un voyage de reliques. Ceux-ci relatent les translations des restes de sainte Lewinna (à partir de Saint-Winnoc, 1058), de saint Ursmar (à partir de Lobbes, 1060), de saint Amand (à partir d’Elnone, 1066 et 1107), de saint Marculf (à partir de Corbény, 1102), de saint Taurin (à partir de Gigny, 1158) et d’objets détenus par le chapitre cathédral de Laon dont certains se rattachent à saint Marian (1112–1113). Si ces différents récits ont été retenus par Kate M. Craig, c’est qu’ils présentent des caractéristiques communes: ils reviennent tout d’abord sur la préparation des déplacements, relatent ensuite les miracles qui se produisent sur le passage des reliques ainsi que lors des stations de ces dernières et comportent enfin un certain nombre d’informations logistiques. Kate M. Craig complète également ponctuellement ces données à l’aide de quatre coutumiers composés à Cluny (990–XIe siècle), les reliques de Taurin y étant apportées en 1158. D’autres sources, en revanche, sont négligées. Ainsi, utilisées avec méthode et précaution comme a pu le faire Charles Mériaux dans sa thèse portant sur le même espace, les dédicaces d’églises auraient apporté de précieux renseignements sur la mémoire de ces translations et sur la fabrique d’un espace sacré. Il en va de même des calendriers liturgiques qui, parfois, conservent la trace de telles entreprises.

Kate M. Craig propose ainsi un ouvrage de synthèse utile sur la question des voyages temporaires de reliques. Les aspects les plus intéressants de ce travail portent sur la dimension logistique, matérielle et très concrète de ces translations. Néanmoins, cette étude ne renouvelle pas en profondeur le sujet. Les sources retenues ont déjà largement été analysées par d’autres (G. Koziol, M. Heinzelmann, S. Vanderputten entre autres). Le corpus documentaire a d’ailleurs été défini par P.-A. Sigal. Un certain nombre de problématiques traitées ont également déjà été abordées, là encore certaines de manière précoce par P.-A. Sigal. Il aurait été intéressant, dans la partie consacrée aux conséquences de ces translations, de s'interroger sur le rôle éventuel de ces dernières dans la constitution de réseaux de confraternité comme a pu le faire Isabelle Cartron dans son étude consacrée aux pérégrinations de saint Philibert, de Noirmoutier à Tournus1. Enfin, l’ouvrage aurait gagné à être enrichi d’un véritable travail cartographique pour les différents voyages analysés et la fabrique d’espaces sacrés, la seule carte de synthèse proposée (p. 12) n’étant pas d’une grande lisibilité.

1 Isabelle Cartron, Les pérégrinations de Saint-Philibert. Genèse d’un réseau monastique dans la société carolingienne, Rennes 2009

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Lucile Trân-Duc, Rezension von/compte rendu de: Kate M. Craig, Mobile Saints. Relic Circulation, Devotion, and Conflict in the Central Middle Ages, Abingdon (Taylor & Francis) 2023, 208 p. (Studies in Medieval History and Culture), ISBN 978-0-367-70563-3, GBP 44,57., in: Francia-Recensio 2024/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103050