L’ouvrage de Luke Giraudet est le résultat de ses travaux de thèse, soutenus à la fin de l’année 2019 à l’université de York et se concentrent sur les modalités de la communication politique et sur celles de l’opinion publique dans la société médiévale parisienne de la première moitié du XVe siècle. Pour cela, l’auteur prend pour source principale le très célèbre »Journal d’un Bourgeois de Paris«, œuvre anonyme présentant le récit pratiquement quotidien de la vie parisienne entre 1405 et 1449. L’auteur s’inscrit ainsi dans une longue lignée d’études internationales et françaises sur le sujet, dont l’une des non moindres est celle de Bernard Guenée sur l’opinion publique en 2002. Il participe, dès l’introduction, aux débats entourant l’identité du Bourgeois et procède à une évaluation critique des copies manuscrites existantes du texte, dont il se sert par la suite dans le corps de l’analyse.

Celle-ci vise plusieurs objectifs, dont le premier est d’examiner la manière dont la population urbaine se construit une opinion publique, en relation avec les stratégies de communications employées par les autorités ainsi que les voies que celle-ci prend pour exprimer ces opinions. Les relations décrites se veulent réciproques, les autorités, royale, bourguignonne ou anglaise, réagissant et adaptant leurs dispositifs de communication en fonction de la réaction de la population parisienne. Ainsi, l’auteur cherche à fournir par l’exemple du »Journal d’un Bourgeois de Paris«, une méthode d’analyse de texte, en vue de discerner les communautés d’opinion, à la fin du Moyen Âge. Le résultat est souvent convaincant et bien argumenté, à l’aide d’une importante bibliographie internationale.

L’analyse se décompose en plusieurs chapitres, chacun abordant un aspect particulier de cette construction de l’opinion publique. Dans le premier chapitre, consacré au Bourgeois de Paris et sa communauté (»The Bourgeois of Paris and his Community«), Luke Giraudet revient plus en détails sur le Bourgeois lui-même. Poursuivant l’hypothèse, déjà esquissée par ailleurs, d’un clerc vivant sur la rive droite, plutôt que d’un universitaire ou d’un chanoine de Notre-Dame, l’auteur place clairement le public de destination du »Journal« autour du quartier des Halles. Si l’on peut regretter que cette affirmation ne soit pas accompagnée de plus de citations de la source ou d’un décompte précis des lieux cités dans le »Journal« (ex. p. 54–55), il n’en reste pas moins que cela paraît cohérent avec l’orientation pro-bourguignonne du Bourgeois. Le quartier est, en effet, connu pour héberger une population plutôt favorable à ce parti.

Les chapitres suivants explorent ainsi différentes facettes de cette communication politique. Tout d’abord, un chapitre consacré aux communications officielles et aux réactions populaires (»Official Communication and Popular Reactions«): les stratégies de communication des autorités, municipales et ecclésiastiques, par la rhétorique ou le développement de discours sur l’autorité morale conduisant à la condamnation populaire d’attitudes et de pratiques déviantes. Ensuite, vient une étude des rumeurs et des phénomènes de résistance à celle-ci (»Rumour and Resistance«). Le Bourgeois laisse souvent une place importante au témoignage oral, bien plus qu’aux sources écrites dont il a pourtant, du moins pour certaines d’entre elles, sûrement eu connaissance. Luke Giraudet met ainsi en évidence un choix délibéré de la part du Bourgeois de privilégier l’expression d’une opinion publique, ne passant pas nécessairement par l’écrit, principalement le fait des autorités.

Le chapitre suivant déplace le regard vers l’espace public et l’expression de la contestation politique au sein de celui-ci (»Public Space and Political Contest«). L’analyse ne présente pas tant les difficultés traversées par Paris, capitale sans roi d’un royaume tourmenté par la guerre civile, que l’analyse des Parisiens eux-mêmes sur l’isolation progressive de la ville après 1422. Les expressions politiques se concentrent autour de certains espaces publics évoqués par le Bourgeois, ainsi que par l’importance des symboles, vestimentaires ou monumentaux, visibles par tous. Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur poursuit son analyse de la spatialité urbaine par celle des cérémonies publiques et du centre royal (»Civic Ceremony and the Royal Centre«). Les symboliques entourant les entrées royales dans Paris, les processions solennelles des élites urbaines, entraînent nécessairement une réflexion sur la représentation de la ville de Paris, vis-à-vis d’elle-même et des autres pouvoirs en présence.

À certains endroits, il est possible de regretter que l’analyse mette de côté le fait que l’auteur du »Journal« ne présente qu’un point de vue partial et nécessairement incomplet des événements parisiens du début du XVe siècle. Si cet aspect est bien appréhendé concernant le positionnement pro-bourguignon du Bourgeois, cela manque parfois concernant les expressions et réactions de la population urbaine. Les derniers chapitres pallient efficacement cela en faisant dialoguer de manière pertinente le »Journal« avec les autres sources contemporaines conservées et un usage modéré des actes de la pratique.

L’ouvrage présente une contribution tout à fait importante à l’étude de l’opinion publique à la fin du Moyen Âge ainsi qu’un nouvel examen intéressant d’une source médiévale très bien connue. L’inclinaison politique de Bourgeois pour le parti bourguignon apparaît ainsi nuancée, bien loin d’un soutien monolithique à la présence anglaise à Paris.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Pauline Spychala, Rezension von/compte rendu de: Luke Giraudet, Public Opinion and Political Contest in Late Medieval Paris. The Parisian Bourgeois and his Community, 1400–1450, Turnhout (Brepols) 2022, 300 p., 8 fig. (Studies in European Urban History [1100–1800], 60), ISBN 978-2-503-59386-9, EUR 104,00., in: Francia-Recensio 2024/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103057