Dans la lignée d’historiens comme Julian Swann, Frédéric Bidouze a contribué au renouvellement de l’histoire des parlements, les plus hautes cours de justice dans la France d’Ancien Régime, qui jouaient également le rôle de tribunaux constitutionnels. Grâce à ce courant historiographique, les parlements ne sont plus perçus de nos jours comme des institutions réactionnaires qui s’opposaient à un État monarchique modernisateur. Dans cette petite brochure au prix modique, qui constitue un premier volume d’une série d’ouvrages – dont ni le but ni l’architecture ne sont expliqués par l’auteur –, Bidouze élargit le propos en proposant une étude sommaire des pamphlets et discours politiques depuis l’été 1788 jusqu’en juin 1789. Dans cet ouvrage, Bidouze semble surtout vouloir retrouver la pluralité des voix, et éviter tant l’anachronisme que le discours apologétique. Il s’agit notamment de ne pas surestimer les propos de Sieyès, et d’éviter une téléologie qui conduirait inéluctablement au triomphe du tiers état.

Ce programme est louable, mais malheureusement ce petit livre ne tient pas réellement ses promesses, pour plusieurs raisons. Le propos manque souvent de clarté et n’est pas exempte de grandes phrases sur la spécificité française (p. 29), »l’éclosion de la nation« (p. 46), ou la Révolution, volontiers transformée en actrice (»Ce fut à la Révolution d’exprimer […] toute la pensée du siècle«, p. 64). Les acteurs concrets (auteurs, imprimeurs, gazetiers, patrons aristocratiques ou ministériels), quant à eux, y sont souvent effacés à la faveur de catégories vagues, voire de la nation française elle-même, dont les écrits politiques exprimeraient les sentiments foncièrement contestataires (»toute la France conteste«, p. 34; »les Français mécontents«, p. 39; »au fond, tous les Français sont révolutionnaires en 1788«, p. 102). L’auteur ne fournit alors aucune analyse des partis en présence, de leurs programmes, de leurs stratégies, des concepts ou des langages politiques auxquels ils recoururent. Il récuse tout à la fois l’existence de clivages (p. 42) et affirme qu’on voit dès cette époque la naissance »des deux Frances«. On retrouve certains stéréotypes douteux, par exemple sur les Lumières »laïques« (p. 68) ou sur les supposés Rousseau des ruisseaux (p. 73).

Ces manquements sont probablement à relier au fait que plusieurs études majeures sur la question ne semblent pas avoir laissé de traces dans ce petit ouvrage. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la biographie, bien maigre, est d’ailleurs – à une seule exception près – exclusivement francophone! Une intégration des conclusions de Kenneth Margerison sur les pamphlets de la Société des Trente (et de l’ouvrage de Daniel Wick sur cette société si essentielle dans la naissance du parti patriotique), des résultats des études bibliométriques de Simon Burrows, Gary Kates ou Alicia Montoya, ou de la vaste littérature sur l’histoire des idées politiques (par exemple de Dan Edelstein ou de Richard Whatmore, pour ne citer que deux historiens parmi tant d’autres), sans parler des études germanophones comme celle de Bernd Klesmann sur l’Assemblée des notables, aurait permis de concrétiser le propos et de prendre position dans des débats historiographiques.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Damien Tricoire, Rezension von/compte rendu de: Frédéric Bidouze, Littérature et États généraux (1788–1789). Vol 1. Politique: préludes à la gauche et à la droite, Pau (Presses universitaires de Pau et des pays de l’Adour) 2023, 130 p. (Anthroposocius, 6), ISBN 978-3-11-074787-4, EUR 7,00., in: Francia-Recensio 2024/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103653