Oradour-sur-Glane représente bien au-delà des frontières françaises un symbole pour les atrocités commises par des différentes forces armées allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré cet important statut mémoriel, une monographie scientifique ne lui avait jamais été consacrée outre-Rhin1. Avec la thèse de doctorat d’Andrea Erkenbrecher, soutenue à l’université de Munich et publiée en 2023, cette lacune est il convient toutefois de désormais comblée. Pour ne pas susciter de faux espoirs, il convient de préciser d’emblée qu’Erkenbrecher ne lève pas les derniers doutes sur le processus décisionnel qui avait mené au crime au sein de la 2e division SS »Das Reich« (voir l’autrice elle-même p. 68). Sa description du massacre proprement dit est brève et se fonde principalement sur l’ouvrage désormais classique de Jean-Jacques Fouché2. Certes, elle discute en détail la littérature existante (p. 74–91), mais ceux qui s’attendaient à une clarification des responsabilités exactes et à la révélation de la raison définitive pour laquelle Oradour fut la cible du plus grand crime de guerre commis sur le sol français restent sur leur faim.

Cet ouvrage de plus de 600 pages est centré sur la manière dont l'épineuse question la question d’Oradour a été gérée en Allemagne (Est et Ouest) depuis 1949. Erkenbrecher analyse la relation des Allemands avec Oradour sous quatre angles: l’historiographie révisionniste principalement rédigée par d’anciens officiers de la division en question; la poursuite pénale des coupables – ou mieux l’absence presque générale de celle-ci; l’indemnisation des rescapés et des familles des victimes du massacre; et enfin les gestes de réconciliation allemands.

Le révisionnisme historique commença immédiatement les jours suivant la tuerie par des narrations fortement embellies de la part de protagonistes allemands. Un révisionnisme surtout porté dans l’après-guerre par les récits du SS-Obersturmbannführer Otto Weidinger, commandant du régiment auquel appartenait la 3e compagnie (les auteurs directs du carnage) et du commandant adjoint de la division, SS-Sturmbannführer Albert Stückler. Se basant exclusivement sur leurs propres souvenirs ou les témoignages de leurs anciens camarades souvent déjà décédés au moment de leurs publications, ils avaient pour but de blanchir la grande majorité de ceux qui avaient été impliqués soit sur place soit dans les différents quartiers généraux de la division »Das Reich«. On peut y lire que la Résistance aurait détenu un officier de la division à Oradour, afin de le brûler vif. Pendant ce qui devient ainsi chez Weidinger et Stückler une opération de sauvetage, les SS se seraient même heurtés à une résistance armée. Les Allemands n’auraient pas non plus incendié l’église d’Oradour, où 350 femmes et enfants ont trouvé une mort particulièrement atroce dans les flammes, mais la fournaise aurait été causée par l’explosion d’un dépôt de munitions des maquisards cachées dans la maison de Dieu (p. 102). Seul Adolf Diekmann, commandant du premier bataillon auquel appartenaient les hommes de la 3e compagnie et qui dirigeait l’opération sur place, aurait porté une certaine responsabilité; Diekman fut le coupable parfait car il tomba en Normandie quelques semaines après son crime ce qui empêcha toute opposition de sa part contre les versions de ses supérieurs.

Le but de ces récits consistait aussi et surtout à innocenter les 21 anciens de la division qui se trouveront au début des années cinquante sur le banc des accusés du procès de Bordeaux pour leur participation au massacre. Leur portée exacte est difficile à juger, mais ils circulaient dans les plus hautes sphères de l’État allemand et influençaient en partie aussi la justice allemande qui ne faisait déjà pas de zèle pour retrouver les coupables. Erkenbrecher compte pourtant 11 informations judiciaires entamées en RFA, mais aucune ne mena à un véritable procès. Les juristes se retranchèrent derrière une interprétation commode de l’accord de transition (Überleitungsvertrag, ratifié en 1955) qui interdisait la poursuite devant la justice allemande des 44 SS condamnés par contumace à Bordeaux. Dans d’autres cas la justice allemande conclut très vite que l’accusé potentiel ne serait certainement pas coupable au motif qu’il aurait été dans l’obligation d’obéir aux ordres (le soi-disant Befehlsnotstand).

Ainsi un seul soldat impliqué dans la tuerie comparut devant un juge en Allemagne, et cela en RDA: déjà condamné à mort par contumace lors du procès de Bordeaux, l’Obersturmführer Heinz Barth, y vivait sous une sorte de fausse identité. Son passé découvert, il est arrêté et condamné à la prison à perpétuité par un tribunal de Berlin-Est en 1983. Erkenbrecher ne s’en tient cependant pas à une critique facile de la justice allemande; elle démontre aussi l’extrême difficulté de la justice à juger un crime collectif au-delà d’une campagne d’étouffement à laquelle même des membres du gouvernement allemand se joignirent.

Moins sombre semble être le jugement portant sur les dédommagements. 50% des survivants et des ayants-droits des victimes furent ainsi indemnisés (indirectement) par l’Allemagne de l’Ouest même si ces indemnisations se limitèrent dans les meilleurs cas à huit salaires mensuels moyens. Un fait peu connu en France. Erkenbrecher nous apprend aussi que nombre de citoyens allemands se rendirent à Oradour dès les années soixante afin de demander pardon à ses habitants et d’ouvrir une sorte de dialogue. La réconciliation au niveau politique fut bien plus compliquée et Erkenbrecher nous décrit en détail le chemin sinueux qui aboutit en 2013 à une accolade entre les présidents Gauck et Hollande ainsi que Robert Hébras, dernier survivant du massacre, dans les ruines de l’église d’Oradour – finalement une des images les plus fortes de la réconciliation franco-allemande.

La recherche et l’analyse de Erkenbrecher sont minutieuses, mais comme de nombreuses thèses de doctorat converties en publication, l’ouvrage n’est pas toujours d’une lecture aisée et le lecteur se sent parfois submergé par la profusion de détails. La véritable maladresse demeure pourtant l’abus de citations directes. Un résumé de celles-ci et un usage maîtrisé de la paraphrase auraient bien mieux servi un travail de recherche néanmoins excellent.

1 Les ouvrages offrant une vue d’ensemble des crimes allemands commis en France touchent évidemment la question; voir les plus éminents: Peter Lieb, Konventioneller Krieg oder NS-Weltanschauungskrieg? Kriegführung und Partisanenbekämpfung in Frankreich 1943/44, Munich 2007, p. 368–376; Ahlrich Meyer, Die deutsche Besatzung in Frankreich 1940–1944. Widerstandsbekämpfung und Judenverfolgung, Darmstadt 2000, p. 149–168 (compte rendu dans Francia: DOI: 10.11588/fr.2007.3.45106, p. 289–290).
2 Jean-Jacques Fouché, Oradour, Paris 2001.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Steffen Prauser, Rezension von/compte rendu de: Andrea Erkenbrecher, Oradour und die Deutschen. Geschichtsrevisionismus, strafrechtliche Verfolgung, Entschädigungszahlungen und Versöhnungsgesten ab 1949, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2023, 400 S. (Quellen und Darstellungen zur Zeitgeschichte, 126), ISBN 978-3-11-063363-4, DOI 10.1515/9783110637960, EUR 54,95., in: Francia-Recensio 2024/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103871