Placée sous le titre de »La diversité culturelle au prisme de la mondialisation et la (re-)nationalisation: une analyse du discours socio-politique en France, en Allemagne et au Québec (2015‑2019)«, cette thèse de doctorat se propose d’étudier la notion de diversité culturelle qui est au cœur des enjeux socio-politiques occidentaux de notre société contemporaine. Pour ce faire, l’autrice analyse des discours lors de débats parlementaires de trois grandes nations sur la période allant de juin 2015 à mai 2019. Elle indique que cette période a été le théâtre d’un changement profond des discours politiques dans les trois pays concernés, phénomène lié avant tout à des changements de législatures politiques. L’autrice justifie en partie son choix des nations examinées (France, Allemagne, Québec), par le fait qu’elles sont au cœur d’une hétérogénéité culturelle par des procédés liés à la globalisation et à l’européanisation en essor.

Son travail se concentre tout spécifiquement et exclusivement (comme indiqué par l’autrice dans son introduction générale) sur la diversité culturelle inspirée par les sciences anthropologiques. Elle associe les notions de nationalisme et diversité entre 1990 et 2015, situant ainsi son sujet historiquement et permettant aux lecteurs d’établir les liens nécessaires à la compréhension de cet ouvrage très bien documenté. Elle exprime également le fait que la notion de »nation« doit être redéfinie en raison d’une mondialisation croissante (p. 34–43) et qu’une émergence et une conceptualisation de la notion de »diversité culturelle« s’impose (p. 44–48). Après avoir introduit ces notions, l’autrice se focalise sur la façon dont les trois pays essaient de penser la diversité culturelle.

Cette partie contextuelle et historique répondant tout à fait aux attentes d’une thèse de doctorat est suivie par une partie méthodologique (p. 143–166) reprenant les bases de l’analyse du discours (selon Foucault et Jäger), la présentation de son corpus et des principes d’une analyse comparée pour développer une perspective transversale. L’analyse critique du discours est ainsi la base de son analyse de corpus reflétant non seulement les actions politiques mais également l’impact des discours politiques sur la population. Le tout selon une approche herméneutique comparée cherchant à percevoir les ressemblances transnationales et les différences propres à chaque nation. Cela lui permet d’établir des parallèles et d’observer des tendances internationales formant ainsi possiblement d’autres sociétés occidentales.

De plus, les cinq étapes (p. 160–166) auxquelles elle a procédé minutieusement dans l’analyse permettent d’obtenir des données fiables:

L’étape 1 contient la sélection du corpus conséquent comparable et sa préparation. Pour ce faire, un créneau temporel a été sélectionné dans les archives parlementaires permettant d’obtenir 81 débats parlementaires dont 28 du parlement français, 31 du Bundestag, et 22 de l’Assemblée nationale québécoise. Elle a ainsi pu créer une base de données avec un référencement quantitatif. L’étape 2 correspond à une analyse structurelle, par laquelle l’autrice relève les moyens stylistiques rhétoriques et les arguments qui se remarquent de par leur fréquence. L’étape 3 élargit l’analyse par une étude détaillée du discours permettant de confirmer les éléments retenus dans l’étape 2. C’est par cette analyse (de deux débats sélectionnés) que les pratiques individuelles vont pouvoir être observées. L’étape 4 consiste à résumer les analyses structurelles et détaillées en mettant en évidence les éléments typiques du discours qui permettent d’établir une vue d’ensemble.

Pour la France, l’autrice indique avec justesse que l’identité politique repose avant tout sur le modèle de la nation politique qui considère la communauté nationale comme une réunion de l’État et du peuple contribuant ensemble au bien-être général. Ainsi, tous peuvent s’intégrer s’ils respectent la culture dominante et s’intègrent à l’ordre social dans le domaine public.

L’autrice remarque une rupture discursive significative car le cadre de valeurs français est utilisé pour normaliser la diversité sociale globale en tant que caractéristique particulière de la République. Cette diversité sera ensuite reconnue comme positive à différents niveaux. L’opinion générale des parlementaires vise avant tout non seulement la transmission d’une image positive de la France, mais aussi d’une économie et d’une société française adaptées à la globalisation.

En Allemagne, l’analyse permet à l’autrice de constater un changement conséquent à partir de 2015 concernant la diversité culturelle. En effet, la thématique de la diversité culturelle était d’après elle jusqu’en 2015 en arrière-plan des discussions. Ce changement ne serait pas seulement dû à des éléments discursifs significatifs (tels que la crise des réfugiés en 2015 ou encore l’entrée de l’AfD au Bundestag) mais bien à une adaptation à une structure sociétale en changement à l’époque d’une hétérogénéité culturelle grandissante.

Ainsi, l’autrice affirme que l’analyse des débats parlementaires démontre que la diversité culturelle est reconnue comme fait établi par tous les représentants politiques du corpus et ce, malgré la forte hausse du nombre de réfugiés et les problématiques s’y associant (4.2.4). Les questions liées à l’intégration passent ainsi au premier plan. Les discussions des politiciens semblent également se porter plus spécifiquement sur la problématique idéologique de l’Other (p. 344) représentant les différentes formes de l’extrémisme. L’intégration y est également vue comme une adaptation mutuelle dans laquelle chacun doit faire sa part d’efforts (p. 345).

Au Québec, il s’agit avant tout, d’après l’autrice, de la volonté d’avoir un discours tourné vers l’avenir de la diversité culturelle qui est devenue une part constitutive de l’identité québécoise. La phase de changement, dès 2015, est à mettre non seulement en parallèle avec un grand changement politique mais également avec une tendance globale à considérer la diversité culturelle comme la bienvenue. En effet, il semblerait que l’identité québécoise ne repose pas seulement sur le concept de la laïcité ou encore de la langue française mais que son cadre de valeurs reposerait sur la pluralité de la société. Les parlementaires expriment donc, dans les discours analysés par l’autrice, la considération de l’exclusion des minorités comme étant une contre-valeur dans un premier temps puis en contrepartie le refus d’un Other idéologique. Elle affirme ensuite que l’inter-culturalisme québécois a réussi sa convergence culturelle (p. 426).

L’étape 5 correspond à une mise en commun critique des résultats d’analyse. Cette partie comparative sert également à souligner dans quelle mesure des positions minoritaires plus radicales dans les trois parlements peuvent contribuer à un changement dans le discours sur la diversité.

Madame Lühr considère que le discours sur la diversité en France se présente comme la continuation de l’universalisme républicain qui détermine l’ordre social depuis la Révolution française. L’Allemagne se heurte à des difficultés avec un modèle d’intégration problématique. La nation du Québec, bien qu’ayant une identité propre la démarquant du Canada, a gardé une position ouverte (cf. interculturalisme et intégration) face à la diversité culturelle et ce, jusqu’au XXIe siècle (p. 428).

Les nations examinées par l’autrice de cet ouvrage présentent à ses yeux des systèmes de valeurs similaires telles que la démocratie ou l’État de droit, comme principe suprême garantissant la cohésion sociétale. Ainsi les résultats lui apparaissent, avec justesse, comparables. Malgré des origines différentes, elles arrivent au même résultat, guidées par un système de valeurs comparable: la normalisation de la diversité (p. 430).

Madame Lühr a largement rempli la tâche qu’elle s’était donnée, à savoir celle d’accomplir cette thèse de doctorat avec minutie et une grande rigueur scientifique et analytique. Les résultats permettent effectivement d’établir des comparaisons et pronostics intéressants. L’ouvrage gagnerait cependant à exister en une version épurée et résumée afin d’être accessible de manière concrète à une lecture approfondie par un plus large public.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marie-Anne Berron, Rezension von/compte rendu de: Viktoria Sophie Lühr, Kulturelle Diversität im Spannungsfeld zwischen Globalisierung und (Re-)Nationalisierung. Eine Analyse des soziopolitischen Diskurses in Frankreich, Deutschland und Québec (2015–2019), Würzburg (Königshausen & Neumann) 2023, 561 S. (Saarbrücker Beiträge zur vergleichenden Literatur- und Kulturwissenschaft, 93), ISBN 978-3-8260-7914-6, EUR 80,00., in: Francia-Recensio 2024/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.1.103880