Après avoir étudié Barcelone et le grand commerce d’Orient au Moyen Âge. Un siècle de relations avec l’Égypte et la Syrie-Palestine (1330‑1430 environ) pour sa thèse de doctorat (1999, publiée sous le même titre en 2004), Damien Coulon a choisi de compléter sa recherche dans la région (Catalogne-Roussillon) avec Perpignan pour son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, Grand commerce, groupes urbains et individu dans un centre intermédiaire de Méditerranée occidentale. Perpignan à la fin du Moyen Âge (2011), aujourd’hui revu et publié sous un titre différent.

L’introduction (1–12) commence avec une description du tableau de 1489 représentant la Loge de Mer de Perpignan (mais pourquoi l’éditeur ne l’a-t-il pas reproduit en frontispice?). L’auteur poursuit avec la présentation des sources – une »énorme masse documentaire (…) largement restée inexploitée« –, dont le fonds Datini à Prato, la bibliographie et l’annonce de son plan en trois parties, du général au particulier. Précisons d’emblée que la période étudiée s’étend plus précisément de 1335 à 1451 (cf. annexe I, p. 213–227).

Dans la première partie, »Cadres généraux, données matérielles et essor commercial« (13–74), D. Coulon délimite les fondements de l’essor commercial de la ville de Perpignan, capitale continentale du royaume de Majorque de 1276 à 1344 avant d’être rattachée à la Couronne d’Aragon. On pensait qu’elle connut alors un déclin, mais il montre que c’est le contraire, avec une production drapière, écoulée via le port de Collioure, à une trentaine de kilomètres au sud-sud-est, et le commerce du Levant à partir des années 1320 et avec un apogée entre les années 1380 et les années 1410 (cf. notamment le graphique p. 41), dans une étroite collaboration avec Barcelone. Les importations consistaient en épices (gingembre, poivre, cannelle, clous de girofle, sucre, cf. le tableau p. 56–57); notons la diffusion, peu après 1380, des cartes à jouer, d’origine mamelouke.

Le cadre spatio-temporel et l’évolution du commerce étant posés, l’intérêt se porte sur les »Groupes et réseaux marchands« (74‑142). D’abord quelles catégories professionnelles passaient-elles des contrats de commende? On trouve en premier lieu les »pareurs«: le Dictionnaire du Moyen Français (en ligne) indique »Celui qui est chargé de toutes les manipulations destinées à convertir une toile de laine en un drap propre à la vente«, définition qui synthétiserait la discussion p. 79, note 1, donc des personnes très intéressées à la vente de leur produit. En deuxième lieu, ce sont les changeurs et les bourgeois, enfin les artisans, qui investissaient dans le commerce; il faut relever la présence de cinq femmes. En dehors de Perpignan, les contractants étaient bien sûr de Collioure, mais aussi de Barcelone et de Narbonne, et d’autres lieux voisins. Les associations et compagnies commerciales avaient deux formes, la societas, qui pouvait lier ateliers de production et opérations commerciales, et la corona, pour des opérations commerciales à but souvent lointain. Perpignan attirait aussi des compagnies étrangères, de Toscane (la fameuse compagnie Datini), mais aussi, à partir de 1420, du Saint-Empire germanique (notamment la compagnie Runtinger de Ratisbonne, mais surtout la Grande compagnie marchande de Ravensbourg); les compagnies allemandes trafiquaient des métaux et des fourrures dans un sens et du safran, du corail et du sucre dans l’autre sens. À la fin de cette partie, D. Coulon s’intéresse à l’individu, comme personne dans ses relations marchandes (les liens de confiance) et dans les alliances familiales. Dans ces réseaux, il faut encore étudier les liens des négociants avec le pouvoir municipal (les consuls de Perpignan n’hésitaient pas à investir dans le commerce) et le pouvoir royal, tel Pere Tequi.

Ce dernier est justement l’objet de la troisième partie, »Essai d’approche individuelle: le cas de Pere Tequi« (143–202). Il s’agit en fait du Toscan Piero Tecchini, agent de la compagnie Datini, mentionné à Perpignan à partir de 1384 jusqu’à sa mort subite à Barcelone en 1409. D. Coulon distingue une phase d’ascension, des années 1380 à 1395, trace sa place dans le réseau Datini de 1395 à 1402, la dernière période pouvant être celle d’un déclin ou d’une plus grande autonomie. En tout cas, Pere Tequi a tissé des liens d’affaires avec l’Église, la noblesse du Roussillon, avec le pouvoir royal même en tenant une ferme des impôts sur le poisson à Perpignan ou sur les navires à Collioure. Puis D. Coulon essaie de cerner l’individu Pere Tequi par ses lettres autographes, son nom (Piero di Matteo, Piero Tec[c]hini, Piero Tecquini, Pere Tequi), sa marque, sa culture (sommaire?), même ses émotions et son caractère à travers les conflits, avec un certain goût du secret. Il eut la chance que ses fils Tomàs, Joan et Llorenç ont assumé son héritage, le lignage étant mentionné jusqu’au milieu du XVe siècle.

Dans sa conclusion, Damien Coulon revient sur le sentiment d’individualité de Pere Tequi et plus largement sur l’épanouissement du commerce de Perpignan dans la période étudiée. Suivent, en annexes (211–270), la liste des navires au départ de Collioure et de Barcelone, de 1335 à 1451, la liste des taxes levées sur les marchands allemands en 1425 et 1426 (on regrette de ne pas avoir d’autres années; je dirais que »Gassiot« p. 232 et »P. Gasia« p. 233 sont le même individu, et que »Baya« et »Bages« sont Bâgé, en Bresse, mais qui n’était pas encore un comté), et un échantillon de vingt-trois lettres de Pere Tequi de 1385 à 1409, complétés par les sources, la bibliographie et un index.

Damien Coulon, par ce livre dense sur le commerce et les commerçants de Perpignan à la fin du Moyen Âge, comble un vide et apporte une nouvelle pierre à l’étude des ports européens et méditerranéens initiée dès les années 1950: c’est un bel exemple de continuité historiographique.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Damien Coulon, Un port sans rivage? Grand commerce, réseaux et personnalités marchandes à Perpignan à la fin du Moyen Âge, Madrid (Casa de Velázquez) 2023, 315 p. (Bibliothèque de la Casa de Velázquez, 86), ISBN 978-84-9096-358-6, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2024/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.104910