En ces temps où le latin disparaît peu à peu des programmes scolaires français, on ne peut que se réjouir de voir la collection Témoins de notre histoire proposer des traductions françaises de textes médiévaux, surtout lorsqu’il s’agit de récits du haut Moyen Âge, une période souvent moins privilégiée en la matière. Le siècle des saints, ouvrage collectif dirigé par les historiens lillois Michèle Gaillard et Charles Mériaux, contribue utilement à pallier cette lacune.
Les éditeurs de la célèbre collection des Monumenta Germaniae Historica (MGH) avaient fait le choix d’inclure dans leur série des Scriptores rerum Merovingicarum un grand nombre de récits consacrés à l’époque mérovingienne, même si ces textes avaient été écrits à une époque postérieure ou si leur héros n’appartenait pas aux royaumes mérovingiens mais y avait seulement séjourné. En suivant une logique comparable, les éditeurs du présent volume proposent une traduction française de quelques-uns de ces textes, qui ont pour point commun de célébrer des héros ayant vécu au VIIe siècle.
Sur les dix chapitres de l’ouvrage, signés d’auteurs différents, huit sont des récits hagiographiques consacrés à des Vies de saints personnages ayant vécu dans le monde franc: un évêque martyr (Didier de Vienne), deux évêques ayant fini leur vie au monastère (Arnoul de Metz retiré à Remiremont, Amand de Maastricht qui fut aussi abbé d’Elnone), un groupe de compagnons dont le premier fut évêque et les autres abbés (Omer, Bertin et Winnoc, au diocèse de Thérouanne), un abbé (Philibert de Jumièges), deux abbesses (Gertrude de Nivelles, Salaberge de Laon) et une reine ayant aussi fini sa vie au monastère (Bathilde de Chelles). Les deux autres chapitres concernent respectivement la Vie de l’évêque anglo-saxon Wilfrid d’York – qui fit quelques séjours dans le monde franc – et un texte non hagiographique, la Vision du moine Barontus de Longoretum (Saint-Cyran-en-Brenne) qui ne fut jamais vénéré comme saint. L’échantillon est donc hétéroclite, mais a le mérite de couvrir une aire géographique étendue: les tria regna (Neustrie, Austrasie, Burgondie) et l’Aquitaine, ainsi que la Britannia anglo-saxonne.
Les récits retenus ont été rédigés à des époques diverses (du VIIe au IXe siècle) mais éclairent, chacun à sa manière et toujours dans un style vivant et pittoresque, quelques pans de l’histoire politique de la Gaule du VIIe siècle. En effet, les héros dont il est question ont occupé des fonctions importantes et ont été activement impliqués dans les troubles qui ont agité les grands de leur temps: les textes sont donc truffés de querelles, de vengeances, d’assassinats ou de disgrâces. L’ouvrage permettra ainsi aux lecteurs francophones non latinistes de se familiariser avec cette époque et, plus généralement, avec des sources narratives du haut Moyen Âge qui restent souvent méconnues du grand public. Les traductions sont élégantes et agréables à lire.
Toutefois, le lecteur qui ne serait pas déjà familiarisé avec l’histoire de cette période risque d’éprouver une certaine frustration. Chaque dossier fait l’objet d’une brève introduction, souvent limitée à un simple état de l’art accompagné de quelques références bibliographiques. Quant aux traductions, elles sont assorties de notes explicatives qui semblent parfois avoir été délibérément réduites au minimum. Pour en savoir plus, le lecteur est invité à se référer aux éditions critiques des sources qui, pour la plupart, figurent dans les MGH et y sont introduites par des commentaires en latin … On regrettera donc l’absence d’annexes qui auraient pu fournir quelques repères chronologiques, généalogiques et géographiques bienvenus.
De fait, l’introduction générale du volume (9–15) se limite à une brève présentation du culte des saints et de l’hagiographie, sans évoquer le contexte historique dans lequel évoluent les protagonistes des récits. Elle est suivie d’une bibliographie générale de 40 titres portant sur le même thème, ainsi que d’une liste d’autres »Vies de saints mérovingiens« accessibles en traduction française ou anglaise. Si les traductions allemandes avaient été incluses dans cette liste, on y aurait notamment trouvé les deux belles études récentes consacrées respectivement à la Vie d’Amé de Remiremont et à celle de Loup de Sens, que nous nous permettons de mentionner ici pour leur apport majeur à notre connaissance de l’hagiographie et du contexte historique de la Gaule franque du VIIe siècle.1
Contrairement à d’autres volumes de la même collection, Le siècle des saints n’inclut pas les textes latins et ne contient aucun index. Toutefois, plusieurs chapitres contiennent des discussions scientifiques ou des interprétations nouvelles qui retiendront l’attention des spécialistes.
Ainsi, Marie-Céline Isaïa apporte son expertise aux discussions relatives à la datation et au contexte précis de rédaction des deux premières Vies et Passions de l’évêque Didier de Vienne, dont elle donne la traduction en s’appuyant sur la nouvelle édition de José Carlos Martín Iglesias. Elle se rallie aux datations proposées par ce dernier pour les deux textes, 613 et 617. Le dossier consacré à Gertrude de Nivelles par François-Xavier Caillet et Michèle Gaillard contient les traductions de quatre textes: la Vie, les Miracles, leur continuation carolingienne et l’Additamentum relatif à l’assassinat de l’Irlandais Feuillen de Fosses. Les auteurs intègrent à leur présentation d’utiles précisions sur le site du monastère de Nivelles en tenant compte de fouilles archéologiques récentes. La célèbre Vie de Wilfrid d’York écrite par Étienne de Ripon au début du VIIIe siècle est fort bien présentée et traduite par Michel-Lucien Belliart, dont l’introduction et les notes explicatives, ici particulièrement détaillées, permettent aux lecteurs de cerner la complexité des relations qu’entretenaient les Anglo-Saxons avec Rome, l’Irlande et le monde franc. Quant à la Vie de la reine Bathilde, elle bénéficie d’une bonne introduction par Mathilde Plaquet, qui appuie sur des arguments convaincants son hypothèse d’une datation resserrée aux années 687–691.
Ces quelques exemples suffiront à illustrer l’originalité de l’ouvrage qui, souhaitons-le, retiendra l’attention du public francophone et permettra peut-être de susciter de nouvelles vocations parmi les étudiants, car bon nombre des textes ici présentés mériteraient de plus amples recherches.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne-Marie Helvétius, Rezension von/compte rendu de: Michèle Gaillard, Charles Mériaux (dir.), Le siècle des saints. Le VIIe siècle dans les récits hagiographiques, Turnhout (Brepols) 2023, 258 p. (Témoins de notre histoire, 22), ISBN 978-2-503-59035-6, EUR 90,00., in: Francia-Recensio 2024/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.104920