Professeur associée en histoire de la philosophie médiévale à l’université de Naples »L’Orientale«, Antonella Sannino est spécialiste des traditions hermétique et néoplatonicienne au Moyen Âge et au début des Temps modernes. C’est à ce titre qu’elle s’est intéressée à l’évêque et théologien Guillaume d’Auvergne († 1249), né à Aurillac entre 1180 et 1190, maître en théologie à Paris en 1225, évêque de Paris en 1228, conseiller du roi Louis IX, protecteur des nouveaux ordres mendiants, envoyé par les papes en diverses missions, prélat réformateur dans son diocèse, acteur majeur dans diverses querelles de son temps, notamment la grève universitaire de 1229–1231 et la condamnation du Talmud en 1240. Outre cette activité multiforme, Guillaume est l’auteur de commentaires de l’Écriture et de sermons, mais aussi d’ouvrages croisant théologie, philosophie et science, comme son Magisterium divinale et sapientiale, qui témoignent d’une étape majeure dans la réception latine, avant Albert le Grand et Roger Bacon, de la philosophie naturelle péripatéticienne.

Après une introduction brossant un tableau des travaux antérieurs sur Guillaume d’Auvergne (7–30), l’ouvrage se compose de trois chapitres, issus de publications antérieures retravaillées, qui abordent cependant un commun sujet: les relations causales entre Dieu, le monde et l’homme, étudiées selon trois points de vue différents. Le premier chapitre, »La providence de Dieu et le libre arbitre« (31–60), s’appuie sur le De universo creaturarum, première partie, pour décrire comment Guillaume défend, parfois avec éloquence, la divine providence aussi bien que la liberté humaine contre le déterminisme astrologique. Reprenant à Cicéron la notion de fatum, il la modifie suivant l’étymologie: le fatum c’est ce qui ordonné par la parole de Dieu.

Le deuxième chapitre, »Causalité naturelle et magie de l’image« (61–105) porte d’abord sur la distinction que fait Guillaume entre les »miracles«, qui sortent du cours ordinaire de la nature et sont directement produits par Dieu, et les mirabilia, qui relèvent au contraire de la nature et s’expliquent par des vertus naturelles occultes. À ce titre, les mirabilia relèvent de ce que Guillaume appelle la »magie naturelle«, qui concerne les propriétés occultes expérimentées dans la physique, l’alchimie ou la médecine et qu’il faut soigneusement distinguer des illusions démoniaques et de l’idolâtrie des images.

Le troisième et dernier chapitre, »L’âme à la frontière entre deux mondes« (107–150), met en lumière une évolution, entre le De Trinitate (1223) et le De bono (1228) d’un côté; le De anima (1240), de l’autre. Dans la seconde phase, Guillaume recourt à cette science mathématique qu’est la musique pour décrire les liens du corps et de l’âme sur le modèle de l’harmonie qui unit la musique mondaine à la musique céleste, ou de la relation qui existe entre la beauté visuelle et la beauté intérieure. En conclusion, l’auteur s’intéresse à la survie des idées de Guillaume d’Auvergne et repère les traces de son influence sur Marsile Ficin († 1499), Cornelius Agrippa († 1535), Bernardino Telesio († 1588) et Tommaso Campanella († 1639), touchant la notion de sensus naturae encore appelée spiritus ou virtus occulta, dans les théories de la prophétie ou divination naturelle.

L’ouvrage se conclut par six illustrations en couleur, tirées de manuscrits, par deux listes de manuscrits de deux de ses ouvrages: le De fide et legibus et le De universo, respectivement riches de 45 et 60 témoins, enfin par une riche bibliographie des éditions et traductions de Guillaume, puis sur d’autres auteurs sollicités, enfin des études sur le sujet.

Ce Reading William of Auvergne se concentre certes sur un aspect parmi d’autres de l’œuvre et de la pensée de Guillaume d’Auvergne, mais c’est un aspect majeur, celui que sans conteste l’auteur connaît le mieux pour l’avoir fréquenté depuis une bonne vingtaine d’années. Une excellente connaissance de Guillaume, des disciplines concernées, de la bibliographie, ainsi que des sources arabes, hébraïques, grecques et latines de sa pensée, lui permettent de présenter, autour de trois thèmes relevant principalement mais non exclusivement de la philosophie naturelle, un tableau d’une remarquable précision et solidité. Des notes abondantes permettent au lecteur de se référer constamment au texte latin commenté dans le texte.

Devant un ouvrage aussi accompli, on a presque honte de relever une erreur de détail, due sans doute à l’habitude de citer les auteurs sans leur prénom: à la page 18, ce n’est pas »He« mais »She« qu’il faut employer pour se référer aux travaux d’Irène Rosier-Catach sur le langage et la logique dans la liturgie des sacrements. Sur le Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor, il existe des éditions critiques qu’il convient de citer de préférence à l’obsolète édition de la Patrologia latina, telle celle de Charles H. Buttimer, Hugonis de Sancto Victore Didascalicon de studio legendi, Washington 1939, car elle améliore sensiblement le texte latin et en signale soigneusement les sources, même si Jerome Taylor, en introduction à sa traduction anglaise (19 et suiv.), a relevé depuis des allusions qui auraient intéressé l’auteur au corpus hermétique, notamment dans la prière qui conclut l’ouvrage (Didascalicon, VI, 13, éd. Buttimer, p. 130, lignes 12–14).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Dominique Poirel, Rezension von/compte rendu de: Antonella Sannino, Reading William of Auvergne, Firenze (SISMEL – Edizioni del Galluzzo) 2022, 199 p. (Micrologus Library, 113), ISBN 978-88-9290-166-7, EUR 36,00., in: Francia-Recensio 2024/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.104935