Derrière le titre ambitieux, le sous-titre révèle un but plus modeste: il s’agit de présenter et d’éditer le droit romain compris dans le manuscrit conservé au Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana (BAV), Reg. lat. 857. Cette publication s’inscrit dans l’attention récente apportée au droit romain durant les premiers siècles du Moyen Âge. Loin d’être délaissé ou livré à une reproduction mécanique, le droit romain, principalement connu dans le résumé établi sous l’autorité du roi wisigoth Alaric II, en 506 ou 507, était sans cesse retravaillé, à travers des résumés originaux, des compléments repris au Code théodosien ou à des constitutions impériales qu’il avait délaissées, ainsi que des ajouts interprétatifs. Il s’agissait donc, jusqu’au Xe siècle, d’un droit vivant dont l’étude ne peut reposer que sur une analyse précise des différentes variantes manuscrites.

La démarche de l’ouvrage et sa publication me semblent ainsi s’inscrire dans une perspective nécessaire et novatrice. Néanmoins, la première impression n’en est pas bonne, car plusieurs phrases et une note sont reproduites à l’identique à la première et la deuxième page (9, note 1; 10, note 3). Certaines notes portent les traces d’assemblages tardifs, ainsi p. 31, la note 26 reprend des références consacrées au Bréviaire d’Alaric de 1971 à 2003, puis ajoute une référence de 1905 et une autre de 1889. L’autrice connait la base de données de l’université de Cologne dirigée par Karl Ubl1, de même que la synthèse fondamentale de José María Coma Fort2, mais n’en fait curieusement aucun usage pour sa présentation du manuscrit. Elle affirme, p. 29, qu’»il s’agit d’un recueil composite sans unité historique«, mais retient ensuite deux hypothèses: trois lois copiées dans un recueil initial (loi salique, loi des Alamans et le Bréviaire d’Alaric transformé) ou un réassemblage médiéval. Le lecteur ne peut comprendre la raison de ces hésitations.

Le manuscrit comprend deux marques de Saint-Martial de Limoges, fol. 1r et fol. 147v, ce qui y indique sa présence au Xe siècle. Les différentes lois sont copiées par plusieurs copistes sur des cahiers différents, ce qui rend possible un assemblage postérieur. Les marques de cahier ont été coupées (on en voit encore la trace fol. 16v, fol. 24v et fol. 32v), ce qui ne permet pas de trancher. Néanmoins, la régularité de la mise en page et la datation cohérente des différentes mains dans le premier quart du IXe siècle ont poussé tous les spécialistes à considérer qu’il s’agissait d’un recueil cohérent, et non composite3. Le manuscrit a été analysé dans le cadre des discussions autour d’un scriptorium des lois, où auraient été copiés les recueils juridiques associant les lois dites barbares, des résumés de droit romain et certains capitulaires, une discussion que l’autrice ignore alors qu’elle concerne l’élaboration du recueil étudié. Si l’on retient l’hypothèse d’un assemblage initial des trois lois, les désignations des catalogues médiévaux de la bibliothèque de Limoges, rappelées dans le tableau p. 27 de Summa legum et Liber legum peuvent correspondre au manuscrit Vatican, BAV, Reg. lat. 857, contrairement à ce qu’indique l’autrice.

L’étude du droit romain dans le manuscrit considéré s’avère problématique, alors que l’introduction pose de façon pertinente la question de ses adaptations. Ni dans la présentation du manuscrit ni dans l’édition les éléments présents dans le manuscrit aux feuillets 77v et 78 ne sont reproduits ou détaillés: l’édition les saute tout simplement sans les mentionner! Il s’agit d’une interprétation du Code théodosien (IX, 1, 4), une sentence de Paul et son interprétation, et une formule de Tours (29)4. La page blanche suivante (fol. 78v) fut remplie de prières dans un deuxième temps. Seule la citation de Paul, qui illustre la »vocation pragmatique du recueil« est rappelée (32–33). Effectivement, la copie de ces compléments entre la table des titres et le corps du texte du Bréviaire transformé, au milieu d’un cahier, indique qu’il s’agit du même travail d’interprétation et de révision pragmatique du droit romain5. Pourquoi omettre, sans le dire, ces éléments de l’édition? L’introduction détaille de tels remaniements à propos d’autres manuscrits (p. 46 et suivantes, pour le manuscrit du Vatican, BAV, Reg. lat. 1050), mais n’en dit pas un mot concernant le manuscrit édité ensuite.

Concernant la rigueur de l’édition, quelques sondages effectués à partir de la reproduction numérique en ligne du manuscrit viennent confirmer les pires craintes et je ne livrerai ici que quelques erreurs relevées rapidement:

Vatican, BAV, Reg. lat. 857, fol. 74, soit édition p. 60, dans la liste des titres du livre IX:

»III Ne praeter criminem maiestatis servos domino vel patronum libertum seu familiaris accuset« (et non »IIII«)

»IIII Ad legem iuliam de adulteris« (et non »adulteriis«)

»VI De mulieribus qui servis propriis coniuncxerunt« (et non »coniunexerunt«)

»VII Ad lege iuliam de via publica et privata« vient au-dessus du titre suivant »VIII De privatis carceris custodia«, et non à la suite. […]

»XXI Ad legem iuliam repetundarum« est au-dessus et séparé du titre suivant dont le numéro a été oublié:

»XXII De his qui latrones vel in aliis criminibus reos occultaverint«.

Manuscrit fol. 74v–fol. 75r, soit édition p. 61, dans la liste des titres du livre X:

»II De locatione fundorum iuris inphetheutici et rei« (l’éditrice a oublié: »publica et templorum«)

»III De actoribus procuratoribus rei probate« (et non »publicae«)

Manuscrit fol. 81v, soit édition p. 66, Bréviaire d’Alaric II, 1:

»Femina secundum honore quam viri eorum meruerunt voluemus appellare ut ad cuius domo nupta transierit eius proficiat dignitatem et eodem foro ubi est marito secuta respondeat«. Les mots »pro negotiis suis in« présents dans l’édition ne sont pas dans le manuscrit.

L’édition cumule donc des mots omis, des mots ajoutés, des erreurs de mise en page, des erreurs de lecture et d’interprétation des abréviations. Le retour au manuscrit est constamment nécessaire. Une telle publication pose à mon avis la question du fonctionnement d’éditions universitaires, ici les éditions de la Sorbonne. Visiblement, aucune personne compétente n’a relu l’édition du texte, car le manuscrit est très lisible et disponible en ligne; aucun spécialiste n’a revu le fond de la présentation car les manques bibliographiques et les erreurs de méthode sautent aux yeux sur ce texte court; nul n’a relu le manuscrit d’auteur, car les doublons y sont évidents. Au final, l’introduction est bancale par ses omissions tandis que l’édition du texte n’est pas fiable et ne peut être utilisée. Un gâchis sur un thème pourtant passionnant et en plein renouvellement.

1 http://www.leges.uni-koeln.de, cité note 57 p. 21.
2 José M. Coma Fort, Codex Theodosianus. Historia de un texto, Madrid 2014, cité note 58 p. 21.
3 Hubert Mordek, Bibliotheca capitularium regum Francorum manuscripta. Überlieferung und Traditionszusammenhang der fränkischen Herrschererlasse, Munich 1995, 423; Coma Fort, Codex Theodosianus (voir n. 2), 266–267; Thomas Faulkner, Law and Authority in the Early Middle Ages. The Frankish leges in the Carolingian Period, Cambridge 2016, 195–196, 218, 226–228.
4 Ibid., 239–241, 243, reproduit et analyse ces passages.
5 Sur les liens entre le droit romain et les formulaires, voir Alice Rio, Les formulaires mérovingiens et carolingiens. Tradition manuscrite et réception, dans: Francia 35 (2008), 327–348, DOI 10.11588/fr.2008.0.44940.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Magali Coumert, Rezension von/compte rendu de: Laura Viaut, Les écritures du droit romain au haut Moyen Âge. Le témoignage d’un épitomé du Bréviaire d’Alaric, Paris (Publications de la Sorbonne) 2023, 215 p. (Théorie et histoire du droit, 2), ISBN 979-10-351-0864-9, EUR 20,00., in: Francia-Recensio 2024/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.104938