Ce volume consacré au divorce et au remariage en Europe entre le XVIe et le début du XXe siècle comprend treize contributions précédées par une introduction générale. Un glossaire et des index géographique et thématique viennent très utilement compléter l’ensemble. Outre les séparations et les remariages, les questions du partage des biens entre époux et de la garde ou tutelle des enfants sont abordées dans les différents espaces envisagés. Elles sont également examinées à l’aune du genre, les femmes étant, dans beaucoup de cas, à l’origine de la demande de divorce. Les différences en matière de religion, de droit, de régime matrimonial (accords prénuptiaux ou contrats de mariage) font du divorce une procédure complexe et difficilement généralisable à l’échelle des différents États. De plus, avant même l’introduction du mariage civil et le transfert de compétence des autorités ecclésiastiques aux tribunaux civils, les époux disposent d’une certaine latitude pour se séparer, voire se remarier. C’est donc à l’échelle des États, des régions ou des cas individuels que la situation des divorcés et remariés, hommes et femmes, peut être appréhendée.
En Espagne, où la première loi sur le divorce n’entre en vigueur qu’en 1932, la séparation de corps et de biens est toutefois possible en cas d’adultère, de violences physiques et/ou de dilapidation des dots de leurs épouses par les maris. Une étude menée à partir de 28 procédures à Bilbao entre 1657 et 1796 montre l’importance revêtue par les biens dans les négociations entre époux. De la même manière, en France, des procédures de séparations s’offrent aux conjoints aux XVIe et XVIIe siècles. Les arrangements, qui peuvent être complexes quand les biens sont importants, témoignent d’une relative protection des épouses et des enfants et des garanties qui leur sont offertes.
À partir de l’exemple de Lord Edward Grey (légalement séparé de son épouse Anne Brandon pour adultère de cette dernière) qui cherche à officialiser la relation qu’il entretient avec sa maîtresse de longue date, Jane Orrell, on entrevoit la manière dont, en Angleterre au milieu du XVIe siècle, les contemporains considèrent l’union en dehors du mariage. À la mort de Grey en 1550, Anne Brandon et Jane Orrell revendiquent l’une et l’autre le droit de jouissance sur ses biens, toutes deux se prévalant du titre de »Lady«. Les procès qui se déroulent pendant près d’un demi-siècle entre les deux femmes montrent qu’en Angleterre le régime de propriété contribue à rendre très difficile le divorce avec remariage. Un factum (stampa) de 130 pages atteste d’une séparation, en 1785, à Venise, entre deux membres du haut patriciat, Marianna Valmarana et Sebastiano Mocenigo, après 18 ans de mariage et six enfants. Les documents cités dans le factum, le procès ecclésiastique, les interrogatoires des témoins (serviteurs, médecins, alliés, parents) et les aspects financiers permettent d’apprécier les stratégies mises en œuvre par les deux époux. De même, les conflits entre les conjoints sont appréhendés grâce aux dossiers du tribunal des mariages du comté de Lippe dans le nord de la Rhénanie, au tournant du XVIIIe siècle. Paradoxalement, loin de mettre fin à la mésentente, tous ces exemples montrent que la séparation les réactive en entraînant des conflits économiques et sociaux portant sur le partage des biens et l’obligation de subvenir aux besoins et à l’éducation des enfants. Ce constat perdure comme le montrent quatre procédures de divorce dans les zones rurales de Basse-Autriche dans les décennies 1920 et 1930 où sont analysés les enjeux des litiges patrimoniaux, la situation des enfants et les stratégies des parties.
Le poids des autorités religieuses est perceptible dans les procédures conservées dans les tribunaux matrimoniaux de Prague et de Trente. Elles permettent de voir comment sont mises en œuvre les décisions du Concordat, signé en 1855 entre l’empereur François Joseph et le pape Pie IX, l’Église catholique romaine retrouvant la juridiction sur les divorces par consentement mutuel. Les contributions sur l’Empire ottoman, la Grèce orthodoxe, la Bosnie-Herzégovine et les juifs en Autriche permettent d’appréhender le divorce en fonction des différentes religions. La loi islamique donne aux seuls hommes le droit de divorcer de leurs épouses pour n’importe quel motif en prononçant une simple formule de séparation. Dans ce cas, le mari verse à sa femme le montant de la dot convenu au moment du contrat de mariage; au contraire, les femmes, si elles souhaitent divorcer, doivent obtenir l’approbation de leur mari et renoncer à une partie ou à la totalité de leur dot, sans compensation. À Istanbul, à la fin du XVIIe siècle, les procédures montrent que les femmes aussi bien que les hommes tirent, chacun en leur faveur, avantage de cette législation. De même, en Bosnie-Herzégovine, après 1878, où les musulmans représentent plus d’un tiers de la population, la loi islamique s’applique. L’analyse des dossiers des tribunaux de la charia montre que la situation de dénuement des femmes pauvres abandonnées conduit les juges à réclamer des réformes juridiques pour faciliter le divorce et obliger les maris à leur verser une pension alimentaire. Le divorce dans le cadre du christianisme orthodoxe grec est une pratique ancienne qui favorise les hommes. La conquête de l’Empire byzantin par les Ottomans introduit des pratiques plus souples et une meilleure acceptation du remariage, des innovations qui persistent jusqu’à la mise en place de nouvelles restrictions au début du XXe siècle. En Autriche, deux procès en 1811–1812 et en 1826 donnent un aperçu des mariages juifs, de la conception du divorce et de la gestion des biens.
Ces études foisonnantes et extrêmement stimulantes montrent l’existence, tout au long des XVIe–XIXe siècles, de nombreuses procédures permettant aux couples de se séparer. Les études de cas révèlent l’importance des stratégies mises en place par les personnes des deux sexes pour infléchir en leur faveur les dispositions religieuses et législatives, témoignant ainsi des capacités d’adaptation des individus et de la relative souplesse des institutions.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Scarlett Beauvalet, Rezension von/compte rendu de: Andrea Griesebner, Evdoxios Doxiadis (ed.), Gender and Divorce in Europe: 1600–1900. A Praxeological Perspective, London, New York (Routledge) 2023, 250 p. (Gender and Well-Being), ISBN 978-1-03-236932-7, DOI 10.4324/9781003334552, GBP 104,00., in: Francia-Recensio 2024/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105202