Ce volume prend son origine dans les manifestations en l’honneur de Sebastian Brant, organisées en 2021 à l’occasion du 500e anniversaire de sa mort. Il représente une contribution très importante à la connaissance scientifique globale de cet homme et ses œuvres. En effet, le volume publié à Bâle, aussi en 2023, pour honorer Brant: Sebastian Brant, das ›Narrenschiff‹ und der frühe Buchdruck in Basel. Zum 500. Todestag eines humanistischen Gelehrten, édité par Lysander Büchli, Alyssa Steiner et Tina Terrahe, possède une portée moins large, tout en traitant les sujets visés de manière très riche. Il aborde peu la période strasbourgeoise de Brant et n’évoque pas directement son enseignement du droit à Bâle. Certains des contributeurs sont les mêmes.1

Le volume dont il s’agit ici comporte une courte analyse de l’encadrement de la page de titre du Virgile de Brant (1502), une brève introduction de Nikolaus Henkel, et 13 contributions. Nous les traiterons ici en suivant l'ordre donné par l'ouvrage. À la fin du livre se trouvent une liste des abréviations et un index assez complet.

N. H. exprime dans l’introduction le souhait des éditeurs de présenter Brant comme un »intellectuel« actif dans de nombreux domaines culturels et de combler certaines lacunes dans la recherche. Georges Bischoff, en décrivant le pouvoir économique, politique, militaire et culturel de Strasbourg, nous convainc aisément que Brant, en tant que chancelier de la ville, jouissait d’un certain pouvoir. Mais il était aussi un homme à l’esprit ouvert susceptible de comprendre la culture populaire pour créer une »compréhension secrète« (18–19) avec le lecteur du Narrenschiff. Bischoff aborde également son attitude devant la »folie de la danse« qui se manifesta en 1518, voyant dans la retenue de Brant, qui ne fournit pas d’explication tranchante du phénomène, un exemple de sa mesure. Il le conçoit comme un humaniste qui s’occupait de la vie quotidienne des gens, chose rare selon lui. Enfin, il met en avant la pensée »emblématique« – déjà présente dans le Narrenschiff – dans la conception du Freiheitstafel. N. H., dans sa contribution, place Brant dans l’élite au pouvoir (les nobles, les patriciens des villes et les prélats) en tant qu’intellectuel, faisant naître ainsi un 4e groupe. Il aurait pu utiliser les termes de »Gelehrter« ou de »Gebildeter« (cf. l’usage de N. Schwindt, p. 367) et il évite celui d’»Humanist«, sans doute en raison de son ambiguïté actuelle (cf. Bischoff, p. 23). On peut le comprendre parce que les »intellectuels« (comme Erasms, par ex.) participent souvent davantage au pouvoir que les »érudits« (comme Beatus Rhenanus, par ex.), bien qu’on désignât les deux à l’époque comme docti. Il s’agit pour lui de personnes dotées d’un diplôme universitaire et publiant en latin (34). Cela établi, N. H. analyse du point de vue de la piété les pièces dévotionnelles dans les Varia Carmina de 1498 (poèmes 93, 211–213, 233–234, 110, 114, 216–219 dans les KT de Wilhelmi). Il souligne deux aspects de la production pieuse poétique de Brant: l’importante utilisation de modèles »moyenâgeux« que le poète va transposer dans des mètres antiques avec beaucoup d’art. Puis, il met en avant le fait que les lecteurs intellectuels (ou érudits) devaient reconnaître ces emprunts pour apprécier – davantage – les poésies de Brant. Joachim Knape pose la question de savoir si Brant était un »humaniste conservateur«. Le risque d’introduire un anachronisme rend la discussion difficile, mais nous pouvons également en profiter pour déterminer si le contenu moral dans le Narrenschiff est »moyenâgeux« ou bien un reflet de l’intérêt pour l’éthique aux débuts de la »période moderne« ou si, au moment où Luther fait parler de lui, Brant peut être considéré comme un »conservateur« en raison de sa forte dévotion mariale. Pour Knape, il est fort difficile de trancher sur ces questions lorsqu’il s’agit d’écrivains et de poètes (62), mais il finit par dire que Brant est bien plus novateur dans de nombreux domaines (par exemple dans son utilisation des mètres antiques et dans la conception et la mise en page du Narrenschiff) qu’on n’a voulu le penser.

Thomas Wilhelmi retrace l’histoire d’un itinéraire publié par Kaspar Hedio en 1539, mais qui remonte au moins à la période strasbourgeoise de Brant. L’une des questions est de savoir comment Brant, qui était plutôt sédentaire, aurait récolté les renseignements. Peter Andersen traite de manière détaillée des armoiries de Brant à travers le temps, telles qu’elles se manifestent sur tous les supports. Ces recherches impliquent une généalogie (voir les annexes dans l’article). Jean Schillinger montre, à travers une comparaison textuelle du Narrenschiff et de la Narrenbeschwörung (1512) de Mürner, qu’en dépit de certaines apparences, la Narrenbeschwörung n’est pas une reprise servile du Narrenschiff. Mürner propose une »parodie sérieuse« (notre terme) pour faire voir que Brant, en voulant soigner les fous grâce à la raison, devait échouer, mais que son approche plus frontale, fondée en partie sur la pratique d’exorcisme (169–170), expulserait la folie.

Bien que Brant fût doctor utriusque iuris et traitât des deux dans son importante monographie personnelle, les Expositiones (1490), la contribution de Hans-Jürgen Becker décrit la place de Brant dans le droit canon et celle d’Andreas Deutsch sa place dans le droit civil. Becker nous livre l’histoire de l’enseignement du droit dans le domaine germanophone et passe en revue les publications qui influencèrent Brant et les très nombreuses qu’il édita lui-même. Deutsch examine surtout les Expositiones, leur structure, contenu et influence (50 éditions entre 1490 et 1622) et fait valoir qu’à son époque, Brant était tout aussi connu pour leur publication que pour celle du Narrenschiff.

Julia Frick utilise les ressources de l’histoire de la réception pour mettre en valeur le Narrenschiff tout en décrivant comment Josse Bade fit siens ce dernier et la Stultifera nauis (1497) de Locher en dotant ses deux reprises, les Stultiferae naues (1501) et la Nauis stultifera (1505), d’un commentaire très adapté aux étudiants des studia humanitatis. Joachim Hamm fait de même en montrant que l’imprimeur Jakob Cammerlander, après une période creuse d’environ 20 ans dans le monde de l’édition, renouvela la littérature de la folie, surtout à partir de 1540, grâce notamment à Der Narrenspiegel de 1545, qui eut un coloris protestant.

P. A. et N. H. procurent une histoire détaillée de la fortune de l’épitaphe lapidaire de Brant depuis sa mort en 1521 jusqu’à la restauration de la pierre en 2021. Ils tiennent compte des diverses copies qui en furent faites à travers le temps.

Nicole Schwindt, après une analyse de la notation musicale de l’hymne Gaudeamus omnes dans l’edition imprimée du Narrenschiff et sa reprise à Nuremberg, présente le contexte musical à Strasbourg au sein de la Sodalitas litteraria. Elle fait un sort à Luscinius, à Sixt Dietrich et à leurs productions en proposant des partitions d’époque et, chemin faisant, laisse germer une critique des poncifs relatifs à la Sodalitas et à la prédominance du latin dans ces cercles. Catarina Zimmermann-Homeyer aborde les énigmes créées par l’illustration de la Bescheidenheit de Freidank par des gravures sur bois dans l’édition de 1508 procurée par Brant et imprimée par Johann Grüninger. Sur 45 gravures seulement 17 furent taillées exprès pour l’édition. Le restant avait déjà été utilisé ailleurs et dut provenir de la réserve de Grüninger. Parmi les gravures déjà connues et très souvent utilisées dans des publications associées à Brant (11 au total), dont la couverture, on rencontre une illustration créée d’une combinaison de ces blocs connus. Ces procédés créent certaines difficultés d’interprétation, car le rapport avec le texte n’est pas toujours transparent.

Selon le recenseur le souhait des éditeurs de présenter une image plus complète de Brant a été réalisé.

1 Lysander Büchli, Alyssa Steiner, Tina Terrahe (dir), Sebastian Brant, das ›Narrenschiff‹ und der frühe Buchdruck in Basel. Zum 500. Todestag eines humanistischen Gelehrten, Basel 2023.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

James Hirstein, Rezension von/compte rendu de: Peter Andersen, Nikolaus Henkel (Hg.), Sebastian Brant (1457–1521). Europäisches Wissen in der Hand eines Intellektuellen der Frühen Neuzeit, Berlin, Boston, MA (De Gruyter) 2023, 460 S., 46 farb., 54 s/w Abb. (Kulturtopographie des alemannischen Raums, 13), ISBN 978-3-11-102325-0, DOI 10.1515/9783111040615, EUR 99,95., in: Francia-Recensio 2024/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105391