Cet ouvrage bilingue allemand-français constitue le catalogue d’une exposition sur le camp de prisonniers de guerre de Lichterfelde, dans le sud de l’agglomération berlinoise, organisée par le Centre de documentation du travail forcé sous le nazisme et prenant appui sur les recherches de Barbara Schultz et de Thomas Irmer. L’exposition était structurée autour de trois axes. L’histoire du site figurait au cœur de l’exposition. Les prisonniers de guerre en constituaient le second axe, avec une volonté de donner un visage aux personnes qui l’avaient peuplé à partir de dix biographies: celles de six soldats français, d’un interné militaire italien, d’un employé de l’administration des camps, d’une habitante allemande du quartier, et d’Edith Piaf, qui effectua une visite au camp de Lichterfelde. La partie centrale de l’exposition était insérée dans le contexte historique, autour du Stalag III D, dont le premier camp fut justement créé à Lichterfelde le 14 août 1940, et de la question du traitement des prisonniers de guerre par la Wehrmacht. La partie conclusive de l’exposition traitait de la commémoration des prisonniers de guerre français, de l’histoire du site de Lichterfelde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la question des rapports présents de la société avec ce lieu de mémoire de la dictature nazie.

Cette exposition visait en fait à encourager une prise de conscience à partir de l’année 2016: il fallait préserver, au moyen de l’édification d’un mémorial, les vestiges d’un camp qui se trouvaient menacés par un projet immobilier, dont le processus de planification avait débuté en 2012. Elle fut à l’origine portée par une initiative citoyenne, dans laquelle des organisations d’histoire locale jouèrent également un rôle important.

Le camp de Lichterfelde s’inscrivit à l’origine dans le cadre des projets de rénovation architecturale de la capitale du Reich orchestrés par Albert Speer. La Reichsbahn fit ainsi construire à partir de 1938 de nombreux camps de baraques à proximité des grands chantiers à venir. C’est ainsi qu’elle érigea à Lichterfelde un camp d’ouvriers, dont la construction fut interrompue au début de la guerre. Mais au mois de septembre 1939 elle fit aussi l’acquisition de terrains privés par une »pression à l’aryanisation« exercée sur des propriétaires fonciers juifs. Le site du camp, en périphérie de l’agglomération berlinoise et à proximité d’une ligne ferroviaire, offrait des conditions idéales pour l’internement de prisonniers de guerre. Aussi, au mois de décembre 1939, la Wehrmacht exerça-t-elle une forte pression sur la Reichsbahn pour que celle-ci réaménage le site de Lichterfelde à son profit. Mais au début de l’année 1940 Lichterfelde devint d’abord un camp d’observation du bureau de liaison des Allemands ethniques, pour filtrer les Volksdeutsche de Volhynie et de Galicie qui avaient été rapatriés. Ce n’est qu’après le départ du bureau de liaison que Lichterfelde devint un camp de prisonniers de guerre à destination de Polonais, puis de Français à partir de la mi-août 1940 et de l’institution du Stalag III D.

Le camp de prisonniers était composé d’une dizaine de baraques au mois de novembre 1940, avec 250 prisonniers dans chaque baraque, surpeuplement structurel qui prévalut dès la conception du camp. Les inspecteurs de la Croix-Rouge internationale blâmèrent d’ailleurs le surpeuplement des baraques en invoquant le risque de propagation des épidémies. Le nombre des prisonniers varia fortement: on en dénombrait 2 500 au mois d’avril 1941, 1 350 à la fin du mois de mars 1943 et 750 en décembre 1944. Le camp fut touché à trois reprises par des raids aériens, la dernière fois dans la nuit du 23 au 24 mars 1944 lorsque le camp de construction en bois fut réduit en cendres et qu’il fallut reconstruire des baraques en dur au moyen de parpaings de laitier. La structure antérieure des anciennes baraques fut reprise, mais la plupart d’entre elles étaient désormais plus exiguës. Dans le traitement des prisonniers de guerre, la Wehrmacht essaya de se conformer aux conventions internationales de La Haye et de Genève. Une infrastructure de loisirs fut mise en place, de même que des compagnies disciplinaires »autogérées« commandées par des sous-officiers français, sous les ordres de l’administration allemande. Les soldats français furent répartis dans quelque 200 kommandos de travail à Berlin, dans les aéroports de Tempelhof, Marienfelde et Mariendorf, dans les exploitations agricoles de Dahlem, dans des firmes électroniques ou encore dans un grand nombre de petites et moyennes entreprises. L’Armée rouge libéra le camp de Lichterfelde le 22 avril 1945 au soir, sans combats ni victimes, et les Français rapatriés arrivèrent à la gare d’Orsay, à Paris, à la fin du mois d’avril.

Au-delà du seul camp de Lichterfelde, l’exposition documentait plus largement le système des camps de prisonniers de guerre dans le cadre de la troisième région militaire (Wehrkreis III) correspondant à la ville de Berlin et à la province prussienne du Brandebourg. Les prisonniers de guerre français et soviétiques, puis à partir de la fin de l’année 1943 les »internés militaires« italiens constituèrent les catégories de détenus les plus nombreuses, les soldats italiens étant rendus, à la fin de l’été 1944, à la vie civile sur ordre d’Hitler, les Soviétiques se trouvant par ailleurs exclus des dispositions de la convention de Genève sous prétexte que leur pays ne l’avait pas ratifiée.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michel Fabréguet, Rezension von/compte rendu de: Christine Glauning (Hg.), Vergessen und vorbei?/C’est le passé, on oublie? Das Lager Lichterfelde und die französischen Kriegsgefangenen/Le camp de Lichterfelde et les prisonniers de guerre français, Berlin (Stiftung Topographie des Terrors) 2023, 191 S., ISBN 978-3-941772-53-3, EUR 10,00., in: Francia-Recensio 2024/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105397