Le livre Reinventing French Aid de Laure Humbert, lectrice à l’université de Manchester, est issu de sa thèse portant sur l’action humanitaire de la France en zone française d’occupation (ZFO) en Allemagne, soutenue à l’université d’Exeter en 2014.

Dans l’introduction d’une trentaine de pages sont présentées deux historiographies dynamiques: d’un côté, celle de l’aide humanitaire, et plus particulièrement des personnes déplacées en Europe après 1945 et, de l’autre, celle des occupations alliées en Allemagne et en Autriche. Cette étude vise notamment à internationaliser l’histoire de la ZFO au-delà du cadre franco-allemand (14), et à éclairer conjointement les politiques intérieure et extérieure françaises concernant les DPs (displaced persons). Sur le plan méthodologique, l’autrice s’inscrit dans une démarche d’histoire quotidienne par le bas (18) combinée à une analyse à plusieurs échelles (19), et souligne l’importance de l’attention portée au prisme du genre pour son étude (18), regrettant toutefois la difficulté d’accès aux expériences des DPs eux-mêmes (17).

L'ouvrage est divisé en deux parties, intitulées respectivement »The Politics of Relief« et »Reconstructing the Body, Rehabilitating The Mind?«. Les trois premiers chapitres traitent de questions abordant les DPs sous l’angle collectif (»The Politics of Immigration«, »In the Shadow of Nazi Occupation«, the »Politics of Neutrality«), recouvrant au total 165 pages, tandis que les trois suivants se concentrent sur les expériences individuelles des DPs (»The ›Broken‹ DP«, »›Rehabilitation‹ Through Work« et »Transforming DPs into French Citizens?«) pour un total de 125 pages, aboutissant à une conclusion d’une dizaine de pages.

Le premier chapitre introduit les acteurs en présence et aborde l’impact du contexte de la guerre froide sur la situation des DPs. L’émigration vers des pays tiers constituait, pour les DPs originaires d'Europe de l’Est, un moyen d’éviter leur rapatriement (43), forcé dans certains cas par des agents soviétiques (158–159). Dans les interactions au quotidien, les »références aux allégeances du temps de la guerre étaient centrales« (83) que ce soit entre travailleurs humanitaires français au sein de la United Nations Relief and Rehabilitation Administration (UNRRA) et de la directions des personnes déplacées et réfugiées au sein du ministère des Affaires étrangères (PDR), parmi lesquels se trouvaient à la fois des ex-collaborateurs et des ex-résistants, ou par rapport aux DPs, perçues par une partie de la population française comme »[des] fascistes et [des] collaborateurs« (37). Les camps DP, en tant qu’espaces clos désignés comme »colonies« (48), ou de »sociétés parallèles« (93), étaient ainsi propices au phénomène de »nationalisme à distance« (61).

Dans le deuxième chapitre, comme c’est le cas tout au long du livre, apparaissent les continuités entre la période de Vichy et les pratiques vis-à-vis des DPs en ZFO, qui se situent à la fois aux niveaux individuel et institutionnel, mais concernent aussi les mentalités et l’influence de certains courants de pensée comme l’eugénisme, le catholicisme social ou encore l’éducation populaire. Ainsi, comme à plusieurs reprises au cours de l’argumentation, l’autrice rend compte ici de la manière dont la projection des expériences propres issues de la guerre et de l’occupation sur les DPs par rapport à des thématiques telles que l’enrôlement forcé, l’expérience des camps ou encore les catégories de collaboration et de résistance, impacta les politiques mises en place à l’égard de ces derniers.

Dans le troisième chapitre, comme dans l’ensemble de l’argumentation, les DPs sont représentés de manière nuancée en tant qu’acteurs autonomes et informés, bien que dépendants, dépassant l’opposition entre humanitaires actifs et DPs passifs, à l’instar d’autres recherches actuelles (201). Ils y apparaissent comme exerçant leur agentivité, que ce soit en organisant des protestations politiques (91), en se rebellant et en revendiquant leur appartenance à des nationalités abolies par l’URSS (155) ou encore en traversant la frontière avec la Suisse voisine pour y célébrer la fête de Pourim dans le cas de DPs juifs (94). D’autres protestèrent contre leurs conditions de vie dans les camps (192), les comparant aux camps de concentration et aux goulags (319), témoignant ainsi d’une hiérarchisation des victimes.

Le quatrième chapitre traite de l’approche française de réhabilitation des DPs par des pratiques également issues de l’armée telles que le jardinage thérapeutique (221). Ce phénomène, par ailleurs symptomatique de l’infantilisation des DPs par l’administration des camps, à la fois dans les discours et dans les pratiques (224), est mis en lien avec l’influence de courants de pensée issus des années trente tels que le naturalisme et l’éducation populaire (223), ou encore le scoutisme (229), mais aussi le »retour à la nature« prôné par le régime de Vichy (203).

Le cinquième chapitre est consacré à la »thérapie par le travail«, méthode d’abord expérimentée au sein d’asiles psychiatriques et d’hôpitaux militaires (256) ainsi que sur des terrains de conflits (257) et employée par les autorités françaises pour la réhabilitation des DPs. Celles-ci mirent en place une politique différenciée à l’égard des DPs sur la base de préjugés (248) concernant leur éthique de travail en fonction de leur nationalité et de leur genre, impactant leurs orientations professionnelles. Le travail pouvait se dérouler dans le camp ou à l’extérieur, auprès d’employeurs allemands ou militaires (260), et ses conditions étaient hétérogènes; la plupart du temps, les DPs ne percevaient pas de salaire (272). Ils ont pu être amenés à travailler pour les mêmes employeurs allemands qu’ils l’avaient été en tant que travailleurs forcés pendant la guerre; le refus de travail menait dans ces cas au retrait de la nourriture et du logis (274).

Le sixième et dernier chapitre s’intéresse à l’émigration des DPs, qui constituaient un réservoir démographique non négligeable (293) pour la France en sortie de guerre. Celle-ci cherchait, par l’intermédiaire d’une diplomatie culturelle exercée par les travailleurs sociaux en ZFO, à se présenter comme une destination attractive et un pays humaniste. Des missions parlementaires ainsi qu’une délégation de la »Mission marocaine« se rendirent en ZFO afin de recruter des DPs pour l’émigration (313). Les critères raciaux (283) appliqués témoignent d’une continuité idéologique avec le régime de Vichy (184) et le mouvement eugéniste (294). Leur capacité à se présenter comme des »migrants idéaux« (184), en concordance avec le narratif porté par les autorités françaises permit à certains individus ou groupes de DPs s’en étant emparés d’en tirer avantage. De manière générale, les DPs est-européens, et particulièrement baltiques, représentaient alors aux yeux des autorités françaises une alternative préférable aux travailleurs nord-africains.

Cet ouvrage, bien que concernant principalement la ZFO, s'inscrit de manière constante dans le contexte plus large des occupations alliées, que ce soit par des comparaisons ou en relatant des interactions entre fonctionnaires de différentes zones. Outre son intérêt pour les historiens et historiennes de l’humanitaire et de l’occupation alliée de l’Allemagne, ce livre révèle également des parallèles entre ces champs de recherche et l’histoire de l’armée, que ce soit en termes de problématiques ou de circulations de pratiques, d’idées ou d’acteurs entre institutions humanitaires et militaires. Enfin, il illustre la pertinence de l’échelle impériale pour les recherches sur la France en sortie de guerre et revient sur les liens étroits entre l’histoire de l’action humanitaire française et l’histoire de l’empire colonial français.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Élise Mazurié, Rezension von/compte rendu de: Laure Humbert, Reinventing French Aid. The Politics of Humanitarian Relief in French-Occupied Germany, 1945–1952, Cambridge (Cambridge University Press) 2023, 357 p., ISBN 978-1-108-83135-2, GBP 29,99., in: Francia-Recensio 2024/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105406