Dans ses mémoires, Jesko von Puttkamer (1855–1917), successivement administrateur colonial au Cameroun et au Togo allemands, décrit ainsi la maison du botaniste et collectionneur Georg August Zenker (1855–1922) dans la commune de Bipindi au sud-ouest de l’actuel Cameroun.

Son habitation spacieuse, entièrement fabriquée avec des moyens locaux, était un musée parfait, rempli de bibelots et de colifichets ethnographiques, de photographies, de croquis à l’huile et à l’aquarelle, d’herbiers, de peaux de bêtes et de crânes, d’armes, de fétiches, de peaux d’oiseaux et de choses semblables (131).

Véritable »musée«, l’habitat de Zenker est ainsi dépeint à travers divers objets entassés, allant de l’échantillon d’herbier aux fourrures d’animaux, qu’il envoie ensuite aux musées de Berlin. C’est sur l’itinéraire colonial des collections du botaniste que Katja Kaiser revient dans cet ouvrage. L’autrice est assistante de recherche au musée d’histoire naturelle de Berlin. Elle est historienne des sciences, titulaire d’une thèse sur les collections botaniques et muséographiques de Berlin à la période coloniale.1 Ses travaux participent au regain d’intérêt en Allemagne pour les origines des collections muséographiques issues des colonies.2

Le livre est le fruit de plusieurs communications qui ont été données par l’autrice sur les collections de George Zenker lors de son travail de thèse. Il se rattache également à des évènements culturels, comme une exposition de 2018 au musée botanique de Berlin, où certains objets des collections de Zenker ont été exposés. L’ouvrage est l’occasion de partager une partie des résultats de ces travaux dans un format trilingue où les versions allemande, anglaise et française se succèdent, dans l’idée d’offrir une plus grande visibilité aux travaux sur les collections de Zenker et de les mettre à disposition des Camerounais.3 Au point de vue de la recherche, il s’agit également d’entamer une discussion internationale autour de ce collectionneur allemand au parcours spécifique.

Zenker est un botaniste allemand formé au jardin botanique de Leipzig à partir de 1870. Suite à des séjours à Naples, au Congo puis au Gabon, il intègre le service colonial allemand au Cameroun comme taxidermiste en 1889. Le livre revient notamment plus en détail sur l’arrivée de Zenker dans la colonie et son rôle dans l’entreprise de collection ou de pillage d’objets, qui vont être accumulés dans les collections des musées ethnographiques, botaniques et d’histoire naturelle de Berlin. Kaiser s’interroge aussi sur le rôle de Zenker, à la fois comme pourvoyeur d’œuvres d’art et d’objets dans l’entreprise coloniale allemande, mais aussi comme acteur proche des populations de Bipindi.

L’ouvrage est structuré en trois parties, chacune correspondant à une période significative dans la vie de Georg Zenker. Dans un premier temps, Kaiser nous propose un panorama du séjour de Zenker dans la station scientifique allemande à Yaoundé (1892‑1895). Jardinier et collectionneur, Zenker y accumule une grande collection d’objets et de plantes. L’étude de Kaiser permet de se rendre compte de la quantité d’objets qui sont envoyés par un seul collectionneur durant ces deux ans, qui se compte en centaines de kilogrammes de spécimens botaniques, zoologiques ou »ethnographiques«. Dans un deuxième temps elle examine, à une échelle plus générale, les politiques impériales allemandes autour des collections muséographiques envisagées à partir de la correspondance coloniale. Kaiser montre qu’à la fin du XIXe siècle, un processus de centralisation des collections a lieu à Berlin entre le musée d’histoire naturelle, le musée d’ethnologie et le musée botanique – ces institutions tirant des bénéfices de leur coopération entre elles, mais également avec l’office impérial aux Colonies allemandes. Enfin, l’ouvrage revient sur le rôle de Zenker dans ce processus. Alors qu’il est destitué du service colonial en 1895 suite à un rapport négatif sur sa gestion de la station, Kaiser montre que Zenker reste en contact étroit avec les musées de Berlin. Loin de mettre un terme à sa carrière de collectionneur, l’autrice signale au contraire que Zenker poursuit son activité et fait d’importants bénéfices financiers à travers la vente de doublons.4

Alors que de nombreuses sources archivistiques ont disparu dans les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, l’autrice rappelle les limites de toute étude sur ces collections. D’autres éléments, comme la capacité d’action des acteurs colonisés ou encore l’histoire des expéditions militaires qui récoltent certains de ces objets, restent à préciser. Le format trilingue de l’ouvrage en fait un objet original. Il s’agit moins d’un ouvrage savant que d’un livret à vocation pédagogique dans un contexte post-colonial. Sur le fond, le lecteur peut être un peu frustré par la brièveté du propos, plus proche d’un article que d’un livre (le propos, dans chacune des trois langues, tient en réalité sur une quarantaine de pages).

L’intérêt principal repose dans la quantification des objets issus des milieux coloniaux dans les collections des musées berlinois. L’ouvrage propose des pistes de recherche pertinentes pour poursuivre l’étude des origines coloniales de ces collections et s’inscrit dans la continuité des débats qui ont animé la construction du Humboldt Forum à Berlin.5 Il rejoint ainsi un nombre important de projets de recherche décoloniaux actuellement en cours sur les collections muséographiques de Berlin.6

1 Sa thèse, soutenue à la Freie Universität de Berlin en 2019 a été publiée en 2021. Katja Kaiser, Wirtschaft, Wissenschaft und Weltgeltung. Die Botanische Zentralstelle für die deutschen Kolonien am Botanischen Garten und Museum Berlin (1891–1920), Berlin 2021.
2 Sur l’histoire des collectionneurs coloniaux allemands, nous pouvons mentionner l’étude collective: Alexandra Przyrembel, Rebekka Habermas (dir.) Von Käfern, Märkten und Menschen: Kolonialismus und Wissen in der Moderne, Göttingen 2013.
3 Une version digitale du livre est accessible sur le site de l’éditeur.
4 Pour plus de précisions, voir Katja Kaiser, Duplicate Networks: The Berlin Botanical Institutions as a »Clearing House« for Colonial Plant Material, 1891–1920, dans: The British Journal of the History of Science 55 (2022), 279–296.
5 Pour un aperçu des débats, voir Karl-Heinz Kohl, « Des ambitions déçues. Les débats autour du Humboldt Forum de Berlin et ce qu’il est advenu », trad. Béatrice Pélissier, Allemagne d’Aujourd’hui, n°242, (2022), p. 88-96.
6 Voir notamment le projet d’Eva Bischoff et Anja Schwarz, Berlin’s Australian Archive: Addressing the Colonial Legacies of Natural Histories, consulté le 8 avril 2024.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Tobias Wagemann, Rezension von/compte rendu de: Katja Kaiser, Georg Zenker: Bipindi – Berlin. Ein wissenschaftshistorischer Beitrag zur Sammelpraxis und Sammlungspolitik im deutschen Kolonialreich, Göttingen (V&R) 2023, 183 S., 7 farb. Abb. (Berliner Schriften zur Museumsforschung, 39), ISBN 978-3-412-52777-8, DOI 10.7788/9783412527778, EUR 29,00., in: Francia-Recensio 2024/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105411