L’histoire de la Résistance en Europe sous occupation allemande (et italienne) attendait depuis longtemps une synthèse à même de lui rendre hommage sans tomber toutefois dans l’hagiographie. C’est désormais chose faite grâce à Halik Kochanski, historienne à l’université d’Oxford. Son travail titanesque s’étale sur plus de 900 pages (notes et bibliographie incluses) et retrace l’histoire de la Résistance ou des résistances, de la défaite ainsi que de ses débuts difficiles en passant par la mobilisation des communistes, la formation des maquis puis les libérations. Cette »histoire totale«, malheureusement plus narrative qu’analytique, comporte 32 chapitres et est divisée, à la française, en trois parties: »Why Resist?«; l’essor de la Résistance après l’attaque allemande contre l’Union Soviétique (»Growing the Resistance«) et enfin la »Resistsance in Action« qui traite de la période précédant immédiatement et accompagnant les libérations des différents territoires précédemment sous le joug allemand.
Se voulant plus équilibrée que d’autres grandes synthèses anglo-saxonnes sur la Seconde Guerre mondial1, l’œuvre de Kochanski souffre de faiblesses hélas de plus en plus fréquentes dans les ouvrages publiés outre-Manche et outre-Atlantique. Sans nier ses tentatives louables visant à inclure la Résistance d’en bas, la perspective du livre demeure très anglo-saxonne: une large place est faite aux différents services secrets alliés, notamment le Special Operations Executive (SOE) britannique, ainsi qu’aux réseaux qui ont travaillé directement pour ceux-ci. Donc Kochanski se penche principalement sur l’histoire de la Résistance européenne avec un grand »H«. Souvent l’autrice adopte même un peu hâtivement le point de vue du SOE – une organisation dont elle met pourtant en lumière les nombreux échecs notamment aux Pays-Bas et en France. Vu que cette œuvre vise principalement un marché anglophone, cette perspective est pardonnable et a l’avantage de tenter dans un même ouvrage d’associer l’histoire des service secrets anglo-saxons et celle de la Résistance à parts presque égales.
Plus problématique en revanche reste le choix de ses sources. Resistance semble avoir été écrite exclusivement sur la base de la littérature anglophone. Ainsi une grande partie de la littérature scientifique lui échappe. Par conséquent, les chapitres individuels sont d’une qualité inégale au regard de celle des monographies ou traductions existantes en anglais. Les synthèses de la répression allemande ou de la Résistance française par exemple sont convaincantes, parce qu’un nombre important de monographies de bonne qualité existe en langue anglaise (soit en traduction2 soit en »original«3) et Kochanski les utilise avec succès. Bien entendu, son ouvrage aurait pu profiter par exemple de la riche littérature francophone sur les maquis4 ou des ouvrages de synthèse non traduits 5afin de mieux comprendre les débats d’aujourd’hui et les enjeux de l’époque. Les inexactitudes restent toutefois acceptables et Kochanski montre une bonne vue de l’ensemble.
La partie sur la résistance italienne, à titre d’illustration, reflète par contre la faible connaissance du sujet dans les pays anglo-saxons qui n’est pas palliée par des traductions non plus.6 Les erreurs purement factuelles y sont bien nombreuses. Ainsi il n’y a pas eu de massacre de toute la population dans un village appelé »Monteangelo« au sud de Rome en avril 1944 (458), pas plus qu’il n’y a pas eu 2080 morts parmi les troupes allemandes quand elles ont investi la république des partisans à Montefiorno (633) mais très probablement à peine une dizaine7; Il n’est pas étonnant que le leader du parti communiste italien, Palmiro Togliatti, ait rejoint un »gouvernement démocratique« (628) en mars 1944 (suite à la célèbre »svolta di Salerno«) mais le fait qu’il s’agisse d’un gouvernement d’orientation monarchiste. La liste de cette sorte d’erreurs est longue et, sans surprise, l’interprétation générale proposée par Kochanski sur la résistance italienne est bien mois convaincante que celle avancée sur la Résistance française ou polonaise.
La coexistence dans l’ouvrage d’une réhabilitation avancée avec beaucoup de verve du leader des Četnici serbes, Draža Mihailović et d’un jugement très sévère des partisans sous les ordres de Tito peut également étonner (402–421; 476–489). Kochanski se montre généralement très sévère avec toute la résistance communiste en Europe; un jugement légitime mais qui manque de nuance. L’Armia Krajowa en revanche, le mouvement de résistance polonaise le plus important, profite d’une certaine indulgence dans la description des luttes extrêmement sanglantes entre celle-ci et les résistances soviétique, ukrainienne, biélorusse et juive. Kochanski quitte ici le chemin de l’impartialité qu’elle essaie pourtant de suivre dans le reste de son livre.
Malgré ces faiblesses Resistance reste un remarquable travail, et seule une histoire de la Résistance européenne écrite à plusieurs mains aura des chances de faire mieux.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Steffen Prauser, Rezension von/compte rendu de: Halik Kochanski, Resistance. The Underground War in Europe, 1939–1945, London (Allen Lane) 2022, 960 p., ISBN 978-0-14-197901-4, GBP 20,00., in: Francia-Recensio 2024/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.2.105412