Longtemps professeur à l’université de Liverpool, Christopher Allmand (1936–2022) était un historien très reconnu de la guerre de Cent Ans, au Royaume-Uni et en France (et partout ailleurs). Né d’un père britannique et d’une mère française (et même normande), il parlait parfaitement les deux langues. Trois monographies essentielles dominent son œuvre: Lancastrian Normandy, 1415–1450. The History of a Medieval Occupation (1983); Henry V dans la collection English Monarch Series (1992); The De Re Militari of Vegetius (2011). Parus de 1967 à 2010, les articles réunis dans le volume présenté ici préparent et complètent ces trois ouvrages majeurs. Initialement publiés en français, cinq de ces textes ont été traduits en anglais dans la perspective du recueil; ils en seront d’autant plus facilement accessibles aux lecteurs qui ne seraient pas francophones. Les quatorze articles ont été répartis en quatre sections. La première regroupe quatre textes (1998–2009) sur Végèce, un des auteurs de prédilection de Chr. Allmand. De façon un peu paradoxale, le traité écrit sur l’organisation de l’armée et la pratique de la guerre par ce haut fonctionnaire civil de l’empire romain déclinant a fasciné le Moyen Âge occidental, tout particulièrement en ses derniers siècles – quoique la Renaissance carolingienne puis Jean de Salisbury l’aient déjà mis en valeur. Plus ou moins luxueux, des exemplaires du De Re Militari se trouvent ainsi dans la bibliothèque des princes. Les chefs de guerre ambitieux, comme Charles le Téméraire, le dernier duc de Bourgogne, cherchaient à en tirer profit. De fait, dans les évolutions des armées de la fin du Moyen Âge, la professionnalisation, l’insistance sur la discipline, l’importance du commandement et les possibilités de sa délégation à des lieutenants, Végèce a été à l’évidence une source d’inspiration (article 4). On comprend que le traité ait été traduit, d’abord en français (dès le XIIIe siècle), puis dans les autres langues, notamment en anglais, même si ce n’est dans ce cas qu’au début du XVe siècle (article 3). On peut y ajouter les Strategemata d’un général romain, Fronton, actif dans la seconde moitié du premier siècle de notre ère, qui compila, à l’appui d’un traité perdu, une série de plusieurs centaines d’épisodes illustrant les circonstances de la guerre, empruntées à sa propre expérience ou aux récits dont il avait connaissance; cette compilation se trouve souvent associée dans les manuscrits conservés au texte de Végèce (article 1). Dans la deuxième partie, c’est l’armée et le combattant qui sont à l’honneur, au fil de quatre articles qui expriment une grande complicité intellectuelle avec Philippe Contamine (un des textes est d’ailleurs paru, en 2000, dans le volume de mélanges en l’honneur de celui-ci, Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge). Signalons particulièrement l’article sur le Jouvencel attribué à Jean de Bueil. La lecture qu’en tire Chr. Allmand est particulièrement éclairante, dans la mesure où se trouvent restituées les ambiguïtés d’un texte qui, sous les atours de la fiction, pose d’importantes questions sur les objectifs et les valeurs que doivent se fixer chevaliers et hommes d’armes. Revient ici l’influence patente de Végèce: dans la France du milieu du XVe siècle, si douloureusement frappée par la guerre, le service du roi doit désormais éclipser la recherche de la gloire individuelle (article 7), et l’invocation du bien commun devient un élément incontournable des réflexions menées sur les combattants (article 5) et sur l’évolution de l’armée royale française (article 6). À bien y réfléchir, les deux articles de la quatrième section (articles 13 et 14) auraient pu trouver leur place avec ceux qu’on vient d’évoquer: il y est en effet question de l’espionnage et du »non-combattant« aux prises avec la guerre; la longue étude sur les espions est particulièrement précieuse. La troisième partie est consacrée à la dernière phase de la guerre de Cent Ans. Deux articles complètent le livre sur la Normandie lancastrienne. Le texte 9 rend compte de la perception qu’avait l’opinion, en Angleterre, de la Normandie – fallait-il à toute force, comme l’avait demandé Henri V, encore sur son lit de mort, défendre jusqu’au bout le duché d’où était parti Guillaume le Conquérant en 1066? Cela en valait-il la peine? Dans le texte 11, est envisagée la panoplie des réactions des Normands face à la rapide reconquête conduite par Charles VII en 1449–1450. Domine l’impression que les nouveaux sujets du roi de France étaient surtout soucieux de préserver les privilèges qui leur avaient été accordés par le gouvernement anglais pour susciter leur adhésion. De fait, les Anglais avaient voulu faire de la Normandie une terre à part, en un sens privilégiée, et en tout cas distincte des autres territoires qu’ils contrôlaient dans le royaume de France. Des institutions propres, ressuscitant l’ancien duché d’avant la conquête capétienne de 1204, avaient été ainsi établies, auxquelles les Normands étaient très attachés, d’autant plus qu’à son habitude l’État royal français montra bien peu de tact après 1450: la cour des aides créée par les Anglais à Rouen, fut d’abord abolie, puis rétablie sur les protestations des Normands. La »réconciliation nationale«, qu’étudie l’article 12, ne fut donc pas si facile. C’est encore le sort de la Normandie qui est au cœur des négociations de 1439, dans le texte 10, le plus long et sans doute le plus passionnant de tous ceux qui forment le volume; les documents étudiés, provenant des envoyés anglais, bourguignons et français, permettent en effet de reconstituer dans le détail les rencontres et les discussions menées à Oye, près de Calais, en 1439. Les acteurs – le cardinal Beaufort, la duchesse de Bourgogne Isabelle de Portugal, le duc d’Orléans toujours prisonnier mais impliqué dans les débats, le chancelier de France Regnault de Chartres – s’efforcent de faire avancer les négociations; une délégation envoyée par le concile de Bâle est en revanche tenue à l’écart, tandis que le pape Eugène IV s’est gardé de s’en mêler. Désormais en position de faiblesse, du fait de leurs déboires militaires et d’un certain désengagement de l’opinion en Angleterre, abordé plus haut (article 9), les envoyés de Henri VI cherchent surtout à éviter la reprise de la guerre. Leur marge de manœuvre est toutefois limitée: peuvent-ils sacrifier le traité de Troyes, qui fonde selon eux la légitimité du roi d’Angleterre comme roi de France? Et comment désigner Charles VII? Continuer à l’appeler »Charles de Valois«, dans le cadre de négociations dans lesquelles les Anglais ne sont pas les plus forts, n’a guère de sens; la solution choisie, »l’adversaire de France«, n’est au fond pas beaucoup plus satisfaisante, mais marque toutefois une évolution; ce sera d’ailleurs bientôt »notre oncle de France«. Le pragmatisme commande en effet de s’adapter pour sauver ce qui peut l’être, et la conclusion d’une trêve interrompant pour trente ans les combats devient l’objectif anglais. L’idée est alors de préserver la domination sur la Normandie; l’Aquitaine, de fait, est hors du champ des préoccupations des deux parties, ce qui est très révélateur du statut particulier acquis par la Normandie.
Aspects of War in the Late Middle Ages: la modestie du titre ne laisse pas nécessairement deviner la richesse des contributions qui s’y trouvent réunies, remarquables de cohérence et de profondeur. Historien majeur de la guerre de Cent Ans et des relations franco-anglaises, Christopher Allmand montre non seulement une connaissance sans faille de la documentation, (chroniques et archives mêlées) produite par les deux ennemis, mais également une clarté et une sûreté d’exposition qui forcent l’admiration.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Xavier Hélary, Rezension von/compte rendu de: Christopher Allmand, Aspects of War in the Late Middle Ages, London, New York (Routledge) 2022, 296 p. (Variorum Collected Studies), ISBN 978-0-367-33067-5, GBP 120,00. , in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106279