Ce livre, paru dans la belle collection dirigée par J.-M. Cauchies, constitue le troisième et dernier volume de l’étude que P. Gresser a consacrée à l’exploitation des eaux et forêts en Franche-Comté à la fin du Moyen Âge. Le premier volume, paru en 2004, traitait de la gruerie comtale, office apparu dans la première moitié du XIVe siècle, dans le contexte de l’union personnelle du duché et du comté de Bourgogne au temps du »duc-comte« Eudes IV. L’ouvrage décrivait l’apparition de l’institution, son développement, ses titulaires et leurs compétences, leurs subalternes, leur gestion et son contrôle. Le deuxième volume, paru en 2008, traitait de la pisciculture et de la pêche dans les cours d’eau et les étangs domaniaux. L’auteur y définissait une géographie des eaux, vives ou dormantes, appartenant au domaine comtal, en distinguant celles qui relevaient de la compétence du gruyer des autres; il décrivait ensuite les techniques d’exploitation et de pêche, établissait autant que les sources le lui permettaient, une typologie des poissons peuplant les eaux domaniales et s’intéressait à leur commercialisation, avant d’étudier la question de la surveillance des eaux comtales et de la répression des délits.
Suivant une démarche semblable à celle qui fut la sienne dans ses livres précédents, P. Gresser, dans le troisième volume de cet ensemble, centre son propos sur la question des forêts domaniales dans le comté de Bourgogne. Son étude est fondée sur un ensemble de sources parmi lesquelles les documents comptables et les terriers tiennent une place importante. L’ouvrage est divisé en trois parties, la première consacrée à une »approche globale« des forêts comtales, la deuxième à leur utilité pour le prince, la troisième à la protection institutionnelle et judiciaire du milieu forestier. La première partie s’ouvre sur un travail de localisation géographique des forêts qui donne lieu à une projection cartographique. Vient ensuite une présentation des essences d’arbres, appuyée sur les données fournies par un groupe restreint de cinq terriers (ceux d’Arbois, Monnet, Montmirey, Orgelet et Poligny). Il apparaît que, contrairement à ce qui s’observe aujourd’hui sur le terrain, les résineux étaient quasiment absents des forêts comtoises; on y trouvait, en revanche, des essences protégées car utiles pour la construction ou pour les fruits qu’elles portaient: c’étaient principalement les »quatre fontes« – chêne, hêtre, poirier, pommier. Les sources citent par ailleurs les coudres, les noisetiers, les noyers, les ormes, les saules, l’osier, les trembles et les vernes. La question du statut juridique, abordée ensuite, fait apparaître une situation complexe dans laquelle coexistent les droits seigneuriaux et les droits d’usage des communautés d’habitants, des bois réservés, des bois dont l’accès était autorisé aux habitants du domaine et des bois concédés en vertu de franchises.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur s’interroge sur l’utilité que ses forêts représentaient pour le prince. Il montre d’abord que le bois occupait une place non-négligeable dans la pratique du don, si importante et si »structurante« dans la société de la fin du Moyen Âge. Le comte (ou la comtesse) de Bourgogne concédait à des parents, des familiers et de bons serviteurs, des arbres destinés à devenir du bois de charpente. L’aspect quantitatif de cet usage des dons de bois indique clairement que la forêt était une ressource dans laquelle le prince ou la princesse pouvait puiser largement pour renforcer des liens, entretenir des fidélités ou récompenser de bons services: c’est ainsi que durant son principat, entre 1361 et 1382, la comtesse palatine Marguerite de France donna pas moins de 7 049 chênes à divers bénéficiaires. Naturellement l’utilité des forêts domaniales ne s’arrêtait pas là et l’exploitation forestière se traduisait aussi par des ventes de bois d’œuvre, et de sous-produits comme l’écorce ou les essaims d’abeilles. La forêt permettait encore le prélèvement de combustible, bois de chauffage et charbon de bois, et alimentait des activités artisanales ou préindustrielles: on sait, en particulier, que le fonctionnement des salines de Salins nécessitaient de très grandes quantités de bois. Les sources documentaires montrent que si l’administration comtale recourait en partie au régime de faire-valoir direct, le système de l’amodiation était loin d’être rare.
La gestion des forêts comtales ne concernait pas seulement la protection et l’exploitation des bois: le monde animal y tenait également sa place. En effet, la présence d’une faune sauvage abondante et diversifiée impliquait une activité de chasse révélée par les sources documentaires. D’une manière générale, le prince se réservait le droit de chasser et les chartes de franchise montrent que les concessions aux communautés d’habitants étaient rares et limitées le plus souvent aux bois communaux. Toutefois, les chasses princières ne furent pas fréquentes au comté de Bourgogne, les ducs-comtes y résidant peu, mais leurs veneurs prélevaient périodiquement du gibier ou menaient des campagnes pour la destruction des nuisibles. Par ailleurs, l’activité cynégétique n’était pas le seul aspect de la relation de l’homme et de l’animal en milieu forestier; en effet, les bois étaient également des lieux d’élevage, notamment pour les porcs. Le pesnage (droit de faire paître les porcs pour qu’ils se nourrissent de glands et de faînes) constituait un droit d’usage concédé, en Franche-Comté comme ailleurs, aux riverains des forêts seigneuriales. Il semble aussi qu’existait la »glandée«, bien que le terme n’apparaisse pas dans les sources, droit qui permettait le ramassage des glands pour nourrir les porcs en dehors du cadre forestier.
Dans la troisième et dernière partie de son livre P. Gresser traite de la protection des forêts domaniales. Le milieu était surveillé par un personnel spécialisé ayant à sa tête le gruyer, qu’ailleurs on appelle »maître des eaux et forêts«. En l’absence de titulaire de cet office, les compétences en revenaient aux lieutenants généraux ou gouverneurs nommés par le prince, cette situation s’observant surtout au XVe siècle. Sous leur autorité se trouvait tout un personnel subalterne de forestiers, receveurs, gardes et sergents. L’exercice de la juridiction du gruyer se traduisait par une surveillance des bois, des enquêtes, des poursuites et des procès pouvant donner lieu à des condamnations prononcées contre les contrevenants, appelés »mesusants«. La répression était souvent déclenchée lors d’un flagrant délit, cependant dans le cas contraire, était déclenchée une procédure appelée la »cerche«, recherche de preuves limitée dans le temps mais qui, sur le plan territorial, pouvait déborder du strict cadre forestier. La procédure judiciaire se déployait lors de »jours de justice« et d’assises tenus à une périodicité pour le moins irrégulière et dans des lieux variés, inégalement répartis dans l’espace géographique et administratif de la principauté. Les peines appliquées par cette juridiction présidée par les gruyers ou leurs lieutenants étaient surtout des amendes levées sur les mésusants, souvent riverains des forêts domaniales, le tarif allant de 3 sous pour des délits mineurs comme le ramassage de bois mort, à 60 sous pour les cas les plus graves, comme des coupes de chênes ou des »pessons« illicites.
Avec la parution de ce troisième ouvrage qui permet au lecteur d’entrer en profondeur dans la gestion d’une partie importante du domaine princier de la Franche-Comté médiévale, on dispose d’une vaste étude représentant un apport précieux à l’histoire des rapports entretenus par l’homme avec son milieu naturel.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Bertrand Schnerb, Rezension von/compte rendu de: Pierre Gresser, Les forêts princières dans le comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècle, Turnhout (Brepols) 2024, 256 p., 7 cartes en n/b (Burgundica, 36), ISBN 978-2-503-59554-2, EUR 94,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106290