Ce cinquième volume de la troisième édition des Regesta pontificum Romanorum de Jaffé couvre la période 1073–1099, c’est-à-dire les pontificats de Grégoire VII (1073–1085), Victor III (1086–1087) et Urbain II (1088–1099), sans négliger celui de l’antipape Clément (III) (1080–1100). Cette révision fait passer le nombre de regestes pour cette période, qui était de 568 dans la deuxième édition, à 2165: un considérable accroissement, en partie causé cependant par le fait que désormais tous les regestes reçoivent un numéro: pas seulement ceux qui signalent une lettre pontificale, mais tous les autres, qui simplement rapportent une action du pape, ou en relation avec lui. Il n’empêche qu’il y a là beaucoup d’informations nouvelles, sans compter bien sûr la mise à jour de toutes les informations heuristiques et bibliographiques: un énorme travail, dont on peut grandement remercier K. H. et son équipe, et qui rend hommage aux qualités traditionnelles de l’érudition et de la science historique germaniques.
La période traitée correspond aux premières années de la réforme »grégorienne« proprement dite, lorsque, un quart de siècle après le lancement d’une profonde réforme de l’Église par le pape Léon IX, le moine Hildebrand, devenu pape Grégoire VII, donne à cette réforme une ampleur et un objectif nouveaux en engageant la lutte avec l’Empire. C’est une période qui a évidemment déjà fait l’objet de très nombreuses études, et il ne faut pas s’attendre à des découvertes révolutionnaires.
Mais un des grands avantages des volumes de regestes, c’est qu’ils permettent de saisir dans sa richesse et sa diversité l’action d’un personnage. À l’heure où, en France du moins, la »réforme grégorienne« est au cœur des débats entre médiévistes, certains y voyant une »révolution totale«, d’autres critiquant ce qui serait un »pangrégorianisme«, le retour aux sources s’impose. Mais pas à quelques textes choisis, même s’ils sont emblématiques, très connus et de grande importance, comme les Dictatus papae (n° 11619). Il faut regarder l’ensemble des sources, avec le sens de la durée, de l’ampleur et, autant que possible, de l’exhaustivité. On trouvera réuni dans ce volume le résumé de toutes les sources relatives à ces quatre papes. Ce ne sont donc que les sources relatives aux papes, mais toutes les sources en question, qui sont présentées ici. Cela permet un regard particulièrement dense sur l’action et le rôle de ces papes.
En ce qui concerne les sources justement, le pontificat de Grégoire VII bénéficie évidemment d’une source extraordinaire, le registre pontifical. Cette source est complétée par des actes pontificaux conservés dans les archives des destinataires, et d’autres documents, comme des chroniques et des lettres, des textes canoniques, ainsi que la littérature polémique dont l’époque était friande. Pour Victor III et Urbain II, et d’ailleurs aussi Clément (III), on ne dispose pas, on le sait, de registre.
Prenons le début du pontificat de Grégoire VII. Alexandre II meurt le 21 avril 1073, Grégoire est élu le lendemain, 22 avril. Dès le 23 avril la chancellerie pontificale envoie une lettre à l’abbé du Mont-Cassin (futur Victor III) pour lui annoncer à la fois le décès et l’élection, et une autre au prince de Salerne. Dans les jours qui suivent, d’autres lettres semblables partent vers le roi Henri IV, l’archevêque de Ravenne (futur Clément (III)!), la comtesse de Toscane, l’abbé de Cluny, l’archevêque de Reims, le roi de Danemark, l’abbé de Saint-Victor de Marseille. Ces lettres sont connues par le registre pontifical, et on imagine facilement que de nombreuses autres lettres sont parties vers d’autres destinataires, ecclésiastiques ou laïcs.
Mais dès le 29 avril Grégoire VII écrit à l’évêque de Florence au sujet d’une veuve qui se remarie avec un parent; le lendemain, au comte de Roucy pour l’encourager à conquérir des terres sur les »païens« en Espagne. Après une semaine de prise en mains de sa nouvelle fonction, la papauté reprend donc le cours des affaires ordinaires. Dans les semaines qui suivent, le pape s’occupe à la fois de ses relations très difficiles avec Henri IV, du contrôle de l’archevêché de Milan, d’affaires strictement ecclésiastiques comme la querelle entre l’archevêque de Reims et l’abbaye Saint-Rémi. Il entre en relations avec le Basileus, cherche à rassurer les chrétiens de Carthage … Dans tout cela on voit à la fois les multiples centres d’intérêt de Grégoire VII, ou les multiples impératifs qui s’imposaient à lui, et l’ambivalence de sa relation à Henri IV.
D’une manière générale, cette édition des Regesta permet de voir la grande diversité des problèmes traités par les papes: Urbain II célèbre un important concile à Melfi (n° 12520), interdit aux clercs d’Elne de s’armer et de transformer le patrimoine de leur église en propriétés personnelles (n° 12539–12560), consacre Yves comme évêque de Chartres (n° 12610), transforme l’abbaye de Catane en évêché (n° 12678), convoque l’évêque de Beauvais pour qu’il se défende des accusations portées contre lui (n° 12809), console l’abbé de Saint-Laurent de Liège expulsé par les henriciens (n° 12881), autorise le culte de saint Nicolas (n° 13230), ordonne à l’archevêque d’Aix de respecter la primatie de son confrère de Narbonne … Clément (III) n’est pas en reste, qui invite Lanfranc de Canterbury à Rome (n° 12382), confirme les possessions de l’abbaye Saint-Étienne de Padoue (n° 12627) …
Les regestes sont, cela va de soi, présentés dans l’ordre chronologique, ceux de Clément (III) étant mélangés avec ceux des trois papes légitimes: cela permet de confronter en temps réel l’action des deux papes concurrents. Le volume, malheureusement un peu déparé par de trop nombreuses erreurs typographiques, s’achève, comme de coutume, par un index initiorum, des tables de concordance avec la deuxième édition et avec les collections Pontificia (Anglia pontificia, Germania pontificia …) ainsi qu’avec les Regesta Imperii, et la bibliographie.
Les historiens disposent donc désormais grâce à ce beau volume d’une masse considérable d’informations à jour: à eux maintenant d’utiliser ce remarquable instrument de travail!
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Philippus Jaffé (ed.), Regesta pontificum Romanorum ab condita ecclesia ad annum post Christum natum MCXCVIII. Editionis tertiae emendatae et auctae iubente Academia Gottingensi sub auspiciis Nicolai Herbers tomum quintum (ab a. MLXXIII usque ad a. MXCIX), curaverunt Magdalena-Maria Berkes, Iessica Breunig et Iudith Werner cooperantibus Waldemaro Könighaus et Victoria Trenkle, Gottingae (Vandenhoeck & Ruprecht) 2024, XII–450 S., ISBN 978-3-525-30252-1, EUR 175,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106294