C’est un ouvrage de luxe que nous ont offert, pour célébrer un centième anniversaire, les éditeurs de cette nouvelle traduction anglaise du célébrissime Herfsttij der Middeleeuwen (Le Déclin du Moyen Âge, puis L’Automne du Moyen Âge dans sa traduction française), essai majeur paru pour la première fois il y a cent cinq ans et qui est traité aujourd’hui encore comme un »maître-livre«. Il est vrai que la méthode pluridisciplinaire appliquée par un savant qui se voulait à la fois historien du fait culturel, historien d’art et anthropologue, a profondément influencé la pensée de nombreux chercheurs dans leur analyse de la société de la fin du Moyen Âge et de ce qu’il est convenu d’appeler la »Renaissance«. Naturellement, il n’est pas question, dans le présent compte rendu, de revenir sur le texte de Huizinga, cent fois analysé, commenté et exploité (et on consultera, par exemple, avec profit le travail collectif dirigé par É. Lecuppre-Desjardin, L’odeur du sang et des roses. Relire Johan Huizinga aujourd’hui, 2019). Il suffit, pour écarter la tentation de la critique, de citer le parfait jugement porté par Jacques Le Goff dans l’entretien-préface qu’il accorda à Claude Mettra pour la réédition de la traduction française de l’Automne du Moyen Âge en 1980: »Relisons donc Huizinga dans une perspective d’aujourd’hui. En nous rappelant que, hier, il déchira le voile d’une histoire orgueilleusement impassible et que pour nous, s’il peut être par ses à-peu-près, son esthétisme et son dilettantisme, un maître d’erreur, il est encore un ouvreur de portes qui mènent à l’histoire à faire«.

On accordera à tous ceux qui admirent l’Automne du Moyen Âge, que la place occupée par cette œuvre dans l’historiographie est considérable. La postérité de ce livre est non seulement remarquable, mais on peut ajouter qu’elle est aussi quelque peu étonnante. Il est vrai que les pages qu’Henri Pirenne a consacrées au XVe siècle »bourguignon« dans le tome 2 de son Histoire de Belgique et qui inspirèrent le travail d’Huizinga, n’ont pas connu une destinée comparable à ce dernier. L’originalité de l’auteur fut sans nul doute d’envisager des réalités que les historiens de son temps ne prenaient en compte que secondairement: la vitalité, le corps, les sens, l’érotisme, les mentalités. Le ton général, incontestablement sous-tendu par une vision critique de la fin du Moyen Âge, a frappé les esprits et frappe encore aujourd’hui lorsqu’on »relit« Huizinga. L’auteur s’astreint à étudier une période historique pour laquelle il ne semble pas avoir de sympathie; il fait irrésistiblement penser à Arthur Piaget qui manifestait un certain mépris pour la poésie de la fin du Moyen Âge dont il était pourtant un spécialiste. Il n’est pas totalement exclu que Huizinga ait nourri une certaine prévention à l’égard de l’Église catholique et du catholicisme, jugeant la religion de la fin du Moyen Âge sous ses aspects les plus anthropologiquement exotiques, donnant à la sorcellerie, par exemple, une importance qu’elle n’avait pas. Par ailleurs, sans doute influencé par le concept nietzschéen de »décadence« et par le »déclinisme« d’un Oswald Spengler, il voit des signes de »décadence« dans certains aspects de la culture du XVe siècle: il fait ainsi de la chevalerie une institution caduque et dans son idéal un jeu dont personne n’est dupe. Il tire de ses sources des témoignages qui, certes, semblent aller à l’appui de sa thèse, mais qui ne représentent que l’écume de la réalité politique, sociale et mentale. Quoi qu’il en soit, s’il n’est pas lieu ici de revenir longuement sur le fond, il convient, en revanche, de saluer ce »beau livre«, riche d’images – certaines bien connues, mais d’autres beaucoup moins – choisies avec bonheur pour illustrer le texte traduit par Diane Webb (on me permettra, évidemment, de ne pas porter de jugement sur la qualité de la traduction, car je n’ai pas la compétence pour le faire). Il est vrai que l’œuvre de Huizinga se prête particulièrement bien à un accompagnement iconographique, tant ses références aux arts visuels, à la littérature et au thème du corps sont présentes, sous-tendant l’ensemble de son approche historienne.

Les éditeurs ne se sont toutefois pas contentés de constituer un imposant dossier iconographique pour rendre leurs couleurs aux propos du savant néerlandais, ils les ont aussi complétés par un apparat bibliographique et critique bienvenu: outre les notes des premières éditions de Herfsttij der Middeleeuwen, on trouve en fin de volume les citations originales, qui ont été traduites en anglais dans le corps du texte, une généalogie simplifiée de la maison de Bourgogne, une chronologie des événements de 1302 à 1500 – telle qu’elle figura dans l’édition de 1928 – et un index, conforme à celui que Johan Huizinga put voir et corriger avant la parution de la cinquième édition datée de 1941, mais que les éditeurs ont complété avec des termes qu’il n’y avait pas inclus. Enfin, le livre s’achève sur un épilogue (»From Herfsttij to Autumntide«), constituant la partie originale de cette nouvelle édition en langue anglaise. Cette ultime partie, due à G. Small, est une mise en contexte de la composition du travail de Huizinga et de sa réception de 1919 à nos jours. Ce développement comporte une belle réflexion sur l’élaboration de la pensée du savant néerlandais mise en perspective avec des éléments biographiques et sur l’apport que représente son œuvre »pionnière« pour les historiens de la culture, après plus d’un siècle au cours duquel se succédèrent les traductions et où s’affirma l’influence intellectuelle d’un livre et de son auteur.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bertrand Schnerb, Rezension von/compte rendu de: Johan Huizinga, Autumntide of the Middle Ages. A Study of Forms of Life and Thought of the Fourteenth and Fifteenth Centuries in France and the Low Countries, ed. Graeme Small, Anton van der Lem, trans. Diane Webb, Leiden (Leiden University Press) 2020, 603 p., fig., maps, ISBN 978-90-8728-313-1, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106296