Les nombreux écrits d’Abbon, abbé de Fleury entre 988 et 1004, sont connus de longue date pour leur diversité et leur importance dans le paysage intellectuel et politique des alentours de l’an Mil. Publié dans la collection des Sources d’histoire médiévale de l’IRHT (Institut de recherche et d’histoire des textes), ce volume a pour objet de combler une lacune en livrant une édition et une traduction scientifiques de plusieurs de ces célèbres écrits. Ces textes mêlant correspondances, traités polémiques et exégétiques d’Abbon n’avaient pas fait l’objet d’une édition depuis celle, princeps, amorcée par Pierre Pithou († 1596) et publiée par son descendant, Claude Le Peletier, en 1687, pour une partie de la correspondance, et celle fournie par la Patrologie latine en 1853 (vol. 139) qui méritaient toutes deux révision.

Après avoir rappelé brièvement les jalons qui marquèrent la carrière de cet oblat devenu une figure majeure des élites de l’Occident chrétien et un fervent défenseur des droits monastiques, les éditeurs présentent les trois entités textuelles annoncées: la correspondance, l’Apologétique et un dossier canonique constitué de la lettre 14 et de la collection canonique rassemblée par Abbon pour les souverains Hugues et Robert.

À la différence de certaines correspondances comme celle de Gerbert, le corpus épistolaire d’Abbon ne fut pas rassemblé par son auteur, ni même par ses successeurs comme le souligne son hagiographe Aimoin. Sous ce nom de correspondance d’Abbon sont traditionnellement regroupés des textes qui n’appartiennent pas tous stricto sensu au genre épistolaire. Aussi les éditeurs ont-ils pris le parti d’écarter les poèmes acrostiches ou dédicatoires à Dunstan de Cantorbéry et Otton III ainsi que certains traités canoniques ou littéraires. Ils ont, en revanche, intégré au corpus cinq missives rédigées par des correspondants d’Abbon (Grégoire V, Oybold abbé de Fleury, Bernard abbé de Beaulieu, Fulbert évêque de Chartres et Wulfric abbé de Saint-Augustin de Cantorbéry) et une lettre envoyée par l’abbé de Micy, Albert, au pape Jean XIX (1024–1032), présente dans le principal manuscrit. L’édition proposée s’appuie, en effet, sur le seul manuscrit qui garde copie d’une compilation épistolaire – par essence sélective – d’Abbon, celui de la British Library de Londres (Add. MS 10972). Le codex copié à Fleury, sans doute à la fin du premier tiers du XIe siècle, comporte quatorze lettres auxquelles sont associés deux traités, l’Apologétique, adressé aux rois francs Hugues et Robert le Pieux, et l’essai sur les questions grammaticales, sobrement intitulé avant l’édition de Migne: Très utile lettre d’Abbon sur plusieurs questions. À ce premier ensemble s’ajoutent douze unités épistolaires ayant déjà été éditées et/ou traduites dans d’autres recueils et donc ici seulement mentionnées (lettres 15 à 20 et 22 à 27). Une dernière lettre qui ne fait pas partie de la compilation du manuscrit londonien mais qui, conservée dans un manuscrit carolingien, sans doute utilisé par Abbon à Fleury (Paris, BnF, lat. 4568), en même temps que la lettre 20 du corpus épistolaire, avait été retenue dans la correspondance d’Abbon par la Patrologie latine. Cette lettre 21 est adressée à l’été 996 à Léon, abbé de Saints-Boniface-et-Alexis de Rome. Ce choix retenu par les éditeurs, tout en étant parfaitement défendable, aurait mérité une analyse et une présentation un peu plus didactique qui aurait permis de mieux comprendre pourquoi cette correspondance était créditée tantôt de 14 unités documentaires, tantôt de 23, avec une édition comportant, in fine, 27 lettres.

Même s’il n’a pas été composé par son auteur, ce corpus épistolaire est le fruit conjugué d’un choix monastique opéré par des moines de Fleury dans les deux codices utilisés et des inévitables aléas de conservation. La copie du manuscrit londonien sous l’abbatiat de Gauzlin (1004–1030) n’est pas un hasard. Elle entre en parfait écho avec les conflits qu’eut à soutenir le nouvel abbé avec le corps épiscopal et notamment l’évêque d’Orléans, en continuité certaine avec les luttes de son prédécesseur. Elle correspond aussi à l’intérêt du monastère pour la réputation de son école et la formation des frères, tant sur le fond (comput, grammaire, philosophie, droit, etc.) que sur la forme. La langue soignée, les procédés stylistiques et la rhétorique d’Abbon, souvent puisés aux modèles antiques, pouvaient être utilisés à des fins pédagogiques.

Après la figure du maître et celle du défenseur des droits et de la discipline monastiques, Abbon est abordé sous l’angle du polémiste politique à travers son plaidoyer dit Apologétique auquel les éditeurs auraient pu associer la lettre dédicatoire adressée au roi Robert (lettre 6), même si le manuscrit de la British Library en donne copie séparément. L’abbé y défend avec pugnacité les intérêts de Fleury face aux perfides accusations et sanctions de l’évêque Arnoul. Le traité, à la structure confuse et peut-être inachevée, milite pour la supériorité des moines continents dans les hiérarchies de perfection imaginées de la société chrétienne.

La lettre 14, véritable traité de défense des biens et des revenus monastiques, peut-être adressée à l’abbé de Saint-Julien de Tours, Gauzbert, fait enfin l’objet d’un traitement éditorial spécifique. Tout en la mentionnant dans l’édition de la correspondance, L. Jégou et G. Labory ont choisi avec pertinence de lui associer la Collection canonique rassemblée par Abbon, connue par un unicum de la main d’Adémar de Chabannes, sans doute composé à Saint-Cybard d’Angoulême (Paris, BnF, lat. 2400) et dédiée, tout comme l’Apologétique, aux rois Hugues et Robert, de manière à constituer un dossier spécifique et homogène d’œuvres canoniques. Après l’Apologétique, Abbon rassemble là les arguments et les textes d’autorité qui viennent étayer ses revendications monastiques, notamment sur les revenus d’églises face aux assemblées conciliaires. Dans une approche philologique, les éditeurs ont cherché à identifier les manuscrits utilisés par Abbon, présents ou non à Fleury, et ont mis en évidence la faible diffusion de cette collection de circonstance.

Cette précieuse édition critique, assortie de traductions non moins précieuses, s’achève par quatre indices forts utiles aux chercheurs: les mentions scripturaires; les auteurs et leurs œuvres; les noms de personnes et de lieux et enfin les manuscrits comportant tout ou partie des textes d’Abbon.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Noëlle Deflou-Leca, Rezension von/compte rendu de: Laurent Jégou, Gillette Labory (éd.), Abbon de Fleury. Correspondance. Apologétique. Œuvres canoniques, Paris (CNRS Éditions) 2023, 312 p. (Sources d’histoire médiévale, 47), ISBN 978-2-271-14893-3, EUR 65,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106297