Dans son introduction, Steven Vanderputten fait le point historiographique sur la notion de »réforme«; il souligne que depuis la fin du XXe siècle les chercheurs ont mis en avant la complexité des situations locales qui empêche de parler d’un esprit de réforme monolithique qui aurait secoué le monachisme occidental, au XIe siècle particulièrement. En outre le discours réformateur s’ancre dans une rhétorique carolingienne et emploie des termes comme »restauration« ou »rénovation«. Dans »The Problem(s) with the Carolingian Reform(s)« Rutger Kramer considère que l’appel à la »réforme« est une invitation à tous les grands du royaume à réfléchir à leur rôle dans l’amélioration de l’Empire et de l’Église. Il s’agissait de les inciter à prendre leurs responsabilités: ainsi l’Institutio canonicorum incite en fait tout le haut clergé à plus de rigueur morale. Sur le terrain les choses sont complexes ainsi à Fulda on peut se demander qui incarne la réforme les moines ascétiques ou l’abbé batisseur? Ces appels reflétaient aussi une profonde anxiété face à la réussite de cette mission d’amélioration de l’Église, intrinsèque à la définition du pouvoir carolingien. Steven Vanderputten rappelle que les médiévistes ont qualifié de réforme un mouvement radical de restauration du monachisme à la fin du IXe et au début du Xe siècle et dans »Deconstructing/Reconstructing Monastic Reform«, il souligne que, à la fin du XXe siècle, des critiques se sont élevées sur le contenu de ces »réformes«, souvent lues à l’aune de transformations postérieures, alors qu’il faudrait les replacer dans leur contexte économique politique et social. L’idée du déclin antérieur est à relativiser, d’ailleurs certaines communautés »réformées« étaient florissantes et les transformations imposées traumatisantes; pourtant, sur le plan idéologique, la continuité prévaut. Il ne faut pas amalgamer une profonde diversité d’expériences régionales. Quant au »nouveau monachisme« de la fin du XIe et du XIIe siècle, il est abusif de l’opposer à un »monachisme ancien«. Le mot d’ordre doit être la nuance et la prudence en fuyant idées et modèles préconçus sur la continuité de l’expérience religieuse. Dans »Deconstructing/Reconstructing Clerical Reform«, Brigitte Meijns note la complexité et l’hétérogénéité du clergé à quoi s’ajoute la difficulté de définir la réforme surtout conçue comme celle de l’Église de la fin du XIe et du début du XIIe siècle. Elle identifie trois points: la lutte contre la simonie, le nicolaïsme et l’investiture laïque – qui sont le moyen de définir une identité cléricale –, la réforme des communautés de clercs, enfin le rôle central joué par les évêques pour lesquels la recherche s’est étendue aux aspects pastoraux artistiques et symbolique de l’autorité. Enfin il conviendra de réévaluer la place des femmes – chanoinesses ou femmes de prêtres – et de la hiérarchie ecclésiastique. Dans »Deconstructing/Reconstructing Papal Reform«, Nicolangelo D’Acunto souligne que, malgré la diversité des choix politiques des papes, il y a bien une ligne de conduite »réformatrice« de la papauté. Les opposants accusent les grégoriens d’être des révolutionnaires alors que ceux-ci présentent leur idéal comme un retour aux origines. L’auteur remarque la diversité des approches de la réforme grégorienne suivant les pays. La réforme papale a été une transformation dans tous les domaines. Robert F. Berkhofer envisage la réforme de façon globale dans »The Societal Background and Impact of ›Reform‹« en s’intéressant à l’aspect économique et matériel, notamment la question de la dîme, puis à la façon dont les relations sociales avec le clergé ont été transformées, le rôle de la Paix de Dieu, le développement des immunités, et enfin la sexualité avec l’insistance sur le célibat des prêtres mais aussi la diversification des établissements féminins et le développement du culte de la Vierge. Dans »Transformations of Lay and Clerical Masculinities«, Rachel Stone rappelle que la masculinité cléricale fait l’objet d’un débat depuis l’article de Jo Ann McNamara. Les attentes concernant le comportement sexuel du clergé ainsi que le recours à la violence ont changé: que le prêtre soit un »surhomme« ou non, ou qu’il soit »asexué«, se pose la question de l’image des femmes dans l’Église. Quant à l’idéal aristocratique masculin, il repose sur la maîtrise de soi et la loyauté, quoique la guerre – particulièrement la croisade – et le mariage le définissent toujours. Catherine Cubitt remarque dans »Changes in Lay Piety and Devotion« que le rôle des laïcs est très rarement mis en avant dans les récits réformateurs mais l’utilisation des chartes a permis de revaloriser leur action. Dans le cas de l’Angleterre des Xe–XIe siècles, la réforme monastique inspirée par des modèles continentaux a consisté à promouvoir le modèle bénédictin sous la protection royale. L’impact des laïcs concerne surtout les récupérations de terres, il y a peu de fondations laïques, mais les donations de terres continuent; l’utilisation de testaments et de chartes pour étudier trois exemples précis montre que la piété laïque s’organise autour d’impératifs familiaux et militaires. Dans »Reforming Approaches and Continuous Enhancement: Penance and the Penitentials«, Ludger Körntgen rappelle que les pénitentiels en circulation furent condamnés à être brûlés au concile de Paris de 829; celui d’Halitgaire, autorisé et normatif, qui devait les remplacer, ne remporta pas un grand succès. Les pénitentiels du haut Moyen Âge résistèrent et continuèrent à être recopiés en étant souvent attribués à des autorités notablement insulaires, ou en tablant sur une présentation claire et univoque des pénitences imposées, ils apparaissent comme des instruments de réforme du clergé et de la pastorale. Cette évolution culmine avec Burchard de Worms. Dans »Continuities and Transformations in Hagiography«, Gordon Blennemann et Anne-Marie Helvétius remarquent que les récits hagiographiques ont souvent été utilisés pour reconstruire des changements idéologiques, institutionnels et sociaux sans beaucoup de considération pour les défis méthodologiques qui assaillent l’étude de ces sources. Ces défis incluent le grand nombre de textes préservés et une tendance à se concentrer uniquement sur une poignée de »célèbres«; leur typologie et diversité et les difficultés liées à la reconstruction; le but pour lequel chaque œuvre était destinée; son contexte d’origine et comment elle a été perçue et utilisée par la suite. L’hagiographie ouvre à une perception, tant positive que négative, du changement religieux qui nous serait inaccessible. Ces récits offrent un correctif à la notion »selon laquelle la réforme était un phénomène cohérent et uniforme«. Les vies des réformateurs des Xe/XIe siècles sont rétives à la relation des miracles comme l’avait noté G. Barone, elles offrent un modèle à imiter aux moines mais aussi à toute la société; parallèlement l’écriture de miracles accompagne la réorganisation du temporel et l’écriture ou la réécriture de vies permet de défendre ou de contrer les intentions réformatrices, comme à Saint-Josse. Il faut donc étudier l’hagiographie au miroir des autres sources. L’hagiographie versifiée est un témoignage de la richesse culturelle d’un établissement, l’imitation des vies anciennes étant une louange du saint en même temps qu’une prouesse intellectuelle, comme la passion de sainte Lucie de Sigebert de Gembloux. L’article de Diane Reilly, »Continuities and Transformations in Art, Manuscript Culture, and Architecture«, montre les liens entre un mouvement réformiste et le monde artistique qu’il engendre, comme on le sait pour les cisterciens, les bibles atlantiques pouvant être un symbole de la réforme grégorienne. Mais la tentative de relier la crypte hors-œuvre à la réforme de Gorze est très exagérée, d’ailleurs les mouvements de réforme ont préservé les formes artistiques et architecturales antérieures et la liturgie était partout à peu près la même. Dans son article »Vocabularies and Narratives of Reform«, Julia Barrow examine le choix des mots désignant la réforme dans les chartes, conciles et sources narratives de 900 à 1150. Ce sont les termes carolingiens de modification, correction et amélioration, qui sont employés avec, dans le cas des monastères, une référence à la vie régulière. Le changement n’est que rarement évoqué, les cisterciens privilégient des métaphores agricoles, mais au XIIe siècle le terme »réforme« se diffuse. Cet ouvrage fait le bilan historiographique de ces questions profondément renouvelées depuis quelques années et indique des pistes pour tout le travail qui reste à faire.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne Wagner, Rezension von/compte rendu de: Steven Vanderputten (ed.), Rethinking Reform in the Latin West, 10th to Early 12th Century, Boston, Massachusetts (Brill) 2023, XIII–340 p., ISBN 978-90-04-54642-4, EUR 200,45., in: Francia-Recensio 2024/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106310