L’ouvrage de Vincent Mimeur explore l’émergence des cabinets de curiosités à Lyon, l’une des principales villes de province, qui au XVIe siècle, connaît un essor économique et intellectuel important. Dans ce contexte favorable, certains Lyonnais, tels Claude Champier et Pierre Sala, manifestent un intérêt prononcé pour l’étude des inscriptions romaines, révélant à la fois un goût pour la curiosité et une volonté de redécouvrir le passé antique de la ville. De cet engouement naissent les premières collections d’antiques et de numismatique, qui vont connaître au XVIIe siècle un élargissement du champ à tout ce qui est collectionnable (livres, manuscrits, estampes, instruments scientifiques, objets d’histoire naturelle …). Le rôle de Jacob Spon, érudit et collectionneur lyonnais, auteur en 1673 d’un ouvrage intitulé Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon, est souligné par l’auteur, qui montre comment la pratique de la collection devient progressivement courante et diversifiée. Spon offre une liste des »Curieux de Lyon« avec les catégories d’objets rassemblés dans leurs cabinets.
Les parties introductives de l’ouvrage permettent de comprendre comment la constitution des cabinets lyonnais a émergé et dans quelle mesure cette pratique s’est développée à la fois dans les institutions du XVIIIe siècle (Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon; collège de la Trinité) et chez des particuliers érudits, voyageurs curieux ou amateurs d’antiquités.
Le cœur de l’ouvrage est organisé en deux grandes parties. La première s’intéresse à la constitution des cabinets et à la compréhension des motivations de ceux qui sont prêts à parcourir le monde, à dépenser des fortunes et à y consacrer une vie entière. Des éléments de réponse sont donnés par l’auteur: la soif de connaissance, la recherche de l’exotisme, l’attachement à l’histoire locale et le rayonnement de la ville. Les différents cabinets lyonnais sont énumérés et décrits ainsi que les liens que les collectionneurs ont tissés avec d’autres collectionneurs français et étrangers. Ces relations favorisent l’enrichissement par l’échange et accroissent la notoriété du cabinet par-delà la ville, notoriété qui rejaillit sur son auteur et lui confère une autorité si l’objet sert de prétexte à un discours scientifique.
Dès le début du XVIIIe siècle, on reconnaît la valeur didactique des »antiquités« pour l’historien ou le philologue. Ainsi, le Père Ménestrier conforte son Histoire civile ou consulaire de la ville de Lyon (1696) avec les objets antiques et les médailles du cabinet du collège de la Trinité. Plus généralement les curiosités attisent le »goût des sciences« du plus grand nombre, ce qui conduira plus tard à l’émergence des musées. La question des »faux« et de l’authenticité des objets est par ailleurs discutée; l’apparition de faux peut être vue comme un effet de cet engouement pour le collectionnisme.
La seconde partie s’intéresse au devenir de ces cabinets: transmission, héritage, don ou vente sont étudiés à travers quelques exemples de cabinets dont l’histoire a pu être reconstituée.
Parmi eux, les cabinets des frères Montconys, de Jean-Jérôme Pestalozzi, de Marc Antoine Louis Claret de la Tourrette et de Pierre Adamoli qui comptaient parmi les plus riches de la ville, seront agrégés et formeront le futur muséum de la ville qui est ouvert au public en 1777.
Reconstituer l’histoire des cabinets passant de mains en mains, par exemple au sein d’une même famille, et des collectionneurs qui les ont rassemblés est souvent difficile en l’absence d’éléments distinctifs (ex-libris, ex-dono, poinçons, mentions manuscrites …) ou s’ils n’ont pas été publiés en leur temps sous la forme de catalogues. Les destructions sont fréquentes et s’accentuent avec le temps; les cabinets qui subsistent sont transformés, augmentés ou dilapidés. L’histoire d’un cabinet est souvent réduite à celle de quelques objets extraordinaires qui en ont jadis fait partie et dont on reconstruit le parcours grâce à quelques indications ou caractéristiques précises.
L’ouvrage se termine avec deux annexes: dans la première figure une carte de Lyon du XVIIIe siècle avec la localisation de 29 cabinets de curiosités. Une seconde annexe offre un tableau très utile de 105 collectionneurs des XVIIe et XVIIIe siècles avec la nature des collections rassemblées.
L’auteur a su exploiter les fonds d’archives, les anciens almanachs, les sources en ligne pour restituer un tableau aussi complet que possible de l’activité de collection de curiosités à l’âge classique. Il n’existait jusqu’alors aucune synthèse sur cette thématique dans l’ancienne capitale des Gaules, ni d’ailleurs dans aucune autre ville provinciale. L’ouvrage de Vincent Mimeur vient combler utilement cette lacune en remettant en perspective la constitution de ces cabinets, et en les plaçant dans le cadre des pratiques de sociabilité.
Écrit dans un style clair, enrichi de nombreuses réflexions, l’ouvrage s’adresse tant aux amateurs des cabinets de curiosités dont l’étude est en plein développement depuis plusieurs années, qu’aux historiens et historiennes, en abordant des aspects souvent négligés.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Cédric Audibert, Rezension von/compte rendu de: Vincent Mimeur, Les Cabinets de curiosités lyonnais. Une histoire des êtres et des choses à l’âge classique, Paris (Classiques Garnier) 2023, 177 p. (Lire le XVIIe siècle, 78; 1, Le goût des savoirs), ISBN 978-2-406-14474-8, EUR 26,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106528