Ahlrich Meyer a été professeur de sciences politiques à l’université Carl-von-Ossietzky d’Oldenbourg. Né en 1941, il est de la génération d’Allemands qui a dû lutter contre le »silence contagieux« de l’après-guerre sur les crimes nazis et les actes de la génération des pères. C’est ce qu’il rappelle dans la courte introduction à ce petit et riche volume qui republie des essais, des critiques et des comptes-rendus d’ouvrages parus entre 1993 et 2021. Il s’agit d’une sélection de textes qui montrent la richesse de la réflexion d’Ahlrich Meyer, qui manie aussi bien l’analyse des concepts des sciences politiques que la réflexion historique.

Meyer est lui-même l’auteur de plusieurs livres importants sur la Shoah en France et en Belgique, la plupart non-traduits en français. Son livre Das Wissen um Auschwitz. Täter und Opfer der »Endlösung« in Westeuropa (Brill, 2010) interroge la connaissance que les Juifs avaient des chambres à gaz, du génocide avant leur déportation, en utilisant les récits faits à l’administration belge par les survivants juste à leur retour. La diversité des textes publiés ici montre combien, tout comme dans ses ouvrages, ce sont des voies de traverses qui ont été choisies. Ainsi du livre Täter im Verhör (wbg, 2005), qui réécrit l’histoire de la Shoah en France à travers les dépositions sous serment des bourreaux interrogés par la justice allemande dans les années 1950 et 1960.

Le titre du volume, que l’on pourrait traduire par »Sous l’emprise de l’incrédulité« reprend celui du premier texte, un extrait de l’introduction de Täter im Verhör1 qui analyse l’incrédulité difficilement dissipée d’Hannah Arendt face aux premières informations sur le génocide des Juifs. On comprend qu’Ahlrich Meyer s’identifie à ce travail sur la difficile conscience de l’immensité de la Shoah, autant pour lui-même que pour ses lecteurs. Le deuxième texte du volume traite aussi de la pensée d’Hannah Arendt, mais sous une forme plus critique. Analysant un épais manuscrit inachevé de la philosophe sur le marxisme, Meyer entend montrer le travail partial pour dépasser la pensée de Marx en dénonçant sa possible dimension totalitaire. Un troisième texte, moins original néanmoins, traite encore d’Arendt, cette fois pour interroger les manifestes erreurs historiques qu’elle fit dans son livre brûlot Eichmann à Jérusalem (1963) et son refus d’accepter les critiques. Dans la prudente conclusion de ce texte, Meyer écrit que la question de la responsabilité des Conseils juifs dans l’extermination n’est plus posée aujourd’hui d’un point de vue moral mais qu’à celle de savoir si ces Conseils ont été des organisations absolument nécessaires à la mise en œuvre de la Solution finale (comme l’a écrit Hannah Arendt), la réponse de l’historiographie est aujourd’hui négative.

Les articles sont variés, montrant la diversité des intérêts de l’auteur. S’il est cependant un trait qui domine, c’est bien le souci franco-allemand, celui de présenter à un public allemand cultivé, voire universitaire, les travaux français existant sur le national-socialisme et sur la Shoah en France. Ainsi des articles sur les ouvrages de David Rousset, de Léon Poliakov et de Serge Klarsfeld. Ahlrich Meyer a même traduit certains d’entre eux du français vers l’allemand (le livre de Léon Poliakov: Le bréviaire de la haine (Vom Hass zum Genozid. Das Dritte Reich und die Juden, Ed. Tiamat 2021), considéré comme l’un des tout premiers ouvrages sur la Shoah). Les articles sur le rôle de l’Auswärtiges Amt dans les débuts de la Solution finale ou bien sur la façon dont les procureurs de Francfort sont, dans les années 1960, passés à côté des faits incriminant les responsables de la Gestapo en France dans l’arrestation de la passeuse d’enfants et héroïne juive Marianne Cohn, montrent ce souci toujours renouvelé d’amener le public allemand et les historiens allemands à s’intéresser à la Shoah en France, Shoah trop souvent vu comme centré sur l’Allemagne ou la Pologne.

Ce volume montre la cohérence d’un itinéraire intellectuel et d’historien et aussi la dimension militante de l’écriture de la Shoah pour une génération allemande née de la guerre et dont l’héritage ne doit pas être négligé.

1 Voir le compte rendu de Gaël Eismann dans: Francia 34/3 (2007), 323–325.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Marc Dreyfus, Rezension von/compte rendu de: Ahlrich Meyer, Der Bann der Unglaubwürdigkeit. Essays und historische Studien zum Nationalsozialismus, Berlin (Edition Tiamat) 2023, 280 S. (Critica Diabolis, 323), ISBN 978-3-89320-307-9, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2024/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106713