Michel Boivin, professeur honoraire d’histoire contemporaine de l’université de Caen, est un spécialiste de l’histoire politique de la Normandie et plus spécialement du département de la Manche à qui on doit déjà nombre d’ouvrages et d’articles scientifiques sur la question. Il partage cette passion avec sa fille Hélène Brando, normalienne, docteure en histoire avec laquelle il travaille depuis quelques années pour réaliser des études sur la question. Ce nouvel opus n’échappe pas à la règle: table des abréviations, notes de bas-de-page, catalogue des sources, une bibliographie sélective par chapitre qui renvoie vers d’autres ouvrages ouvrant à des compléments bibliographiques. L’ouvrage comporte nombre de reproductions de documents qui, comme il se doit, se raréfient au fur et à mesure que l’on recule dans le temps. Ceci dit, le travail se décline en quatre parties : »Un essor incertain (décembre 1920‑août 1939)«, »De la clandestinité à l’apogée (septembre 1939‑1946)«, »Reculs et rebonds (1947–1980)«, »L’effondrement (1981‑2020)«.
Comme le rappellent les auteurs, le département de la Manche n’est pas vraiment un terreau favorable au communisme. Dans l’introduction, ces derniers présentent une géographie naturelle et sociale du département dans les années 1920, où domine le monde rural et qui, aujourd’hui, malgré la diminution drastique du nombre d’agriculteurs, reste, comme se plaisent à rappeler ses habitants: »violemment modéré«. Majoritairement de droite avant la guerre, gaulliste après la guerre, il est aujourd’hui politiquement plus proche du modèle national. Dans ces conditions, la création du parti communiste dans la Manche ne s’est pas faite sans difficultés.
Tout l’intérêt du travail repose sur une analyse des sources replacées dans leur contexte : implantation géographique, effectifs, catégories socioprofessionnelles, résultats électoraux, vie interne. L’histoire du PCF, dans la Manche, est passée au peigne fin pour la période considérée. Son implantation initiale est liée aux grands foyers ouvriers d’alors: Cherbourg et, dans une moindre mesure, Granville. Si Cherbourg et les plus grandes agglomérations restent le foyer principal, une certaine diversité s’introduit par la suite en fonction de l’évolution socio-économique du département. Les ouvriers sont les plus nombreux au départ et constituent toujours une part non négligeable de l’effectif mais ils sont dépassés progressivement par les cadres moyens, les employés.
La naissance du PCF, alors la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), suite au congrès de Tours de 1920, compte pour la fédération de la Manche environ 150 adhérents quasi majoritairement domiciliés à Cherbourg où se trouve le plus grand centre industriel de la région: l’arsenal. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il peine à décoller. Son engagement dans la résistance au sein du Front national et des Francs-tireurs et partisans (FTP) lui donne une reconnaissance qui accélère sa sortie de l’isolement. En 1946, la fédération compte 1800 adhérents. Malgré cela, les résultats électoraux ont toujours été globalement médiocres, largement en dessous des résultats nationaux.
Pourtant, les communistes de la Manche n’ont pas démérités. S’étant montrés favorables à la bolchevisation du parti en 1924, ils restent toujours dans la ligne du parti et les militants sont particulièrement actifs, contre vents et marées, et savent communiquer au mieux en fonction de leurs moyens. Ceci explique cela, si au départ, ils ne peuvent présenter de candidats ou des listes de candidats aux diverses échéances électorales : ils tendent à se présenter partout où ils en ont la capacité quitte à, comme dans le cas des cantonales, avoir recours à des candidats parachutés quasiment tous originaires d’un canton voisin. Ceci dit, leurs candidats, sauf cas exceptionnels liés à la personnalité de l’un d’entre eux, ne sont jamais élus sous la seule étiquette du PCF. Un seul atteint le niveau national: Jules Decaux élu au Conseil de la République par le groupe communiste de l’Assemblée nationale. De fait, les communistes sont, la plupart du temps, élus jusqu’au niveau régional que lorsqu’ils constituent des listes communes avec les autres partis de gauche. Parmi eux, on peut citer Maurice Postaire, maire-adjoint au sport de Cherbourg, dont le stade municipal porte aujourd’hui le nom.
Pourtant l’union de la gauche et l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République marque le début de l’effondrement du PCF tant au niveau national que de sa fédération de la Manche. Les membres du parti sont 1158 en 1981, 510 en 1998. L’effondrement de l’URSS et de l’idéologie communiste, dans sa globalité, provoque un immense turnover au niveau local, malgré les stratégies mises en place par l’intégration au Front de gauche. Ce dernier permet un rajeunissement de la fédération mais, au global, il lui faut renouveler son message pour assurer sa survie.
Au total, l’ouvrage se révèle être un travail rigoureux à quatre mains. Il s’inscrit dans un travail de longue haleine entrepris par Michel Boivin sur la vie politique du département de la Manche depuis 1945 auquel participe maintenant Hélène Brando. Contrairement à des études réalisées dans un cadre plus large, il s’inscrit dans les études locales s’éclairant l’une et l’autre.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Michel Boivin, Hélène Brando, Le PCF dans la Manche. 1920–2020, Marigny (Eurocibles) 2023, 647 p. (Études et Essais, 38), ISBN 978-2-35458-103-9, EUR 23,00., in: Francia-Recensio 2024/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106742