C’est à une »énigmatique figure«, celle de gouverneur de province, qu’Antoine Rivault décide de consacrer son ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Rennes. Dans une introduction très bien menée, l’auteur montre que, depuis longtemps, les historiens ont tantôt perçu les gouverneurs comme des commissaires militaires fortunés, naturellement enclins à la révolte, défendant leur propre ambition, ou comme des gentilshommes œuvrant comme administrateurs territoriaux au service de la construction d’un »État moderne« qui serait de plus en plus centralisé. Bien évidemment, de telles interprétations du rôle des gouverneurs ne résistent pas à l’examen minutieux des sources. Antoine Rivault a décidé de consacrer un travail de recherche très approfondi à un gouverneur, Jean de Bretagne, duc d’Étampes, héritier des comtes de Penthièvre, eux-mêmes issus des ducs de Bretagne. L’étude détaillée des missions de ce gouverneur avait deux intérêts majeurs. Sa période d’exercice assez longue, de près de 22 ans, entre 1543 et 1565, permettait de bien saisir les modalités d’exercice d’un pouvoir provincial depuis la fin du règne de François Ier jusqu’au basculement du royaume dans les troubles de religion. Par ailleurs, la Bretagne, province que gouvernait le duc d’Étampes, s’offrait comme un espace politique particulièrement intéressant. Intégré dans le royaume de France dès 1532, ce territoire conservait une identité forte, tout en étant une terre de frontière maritime, en marge des lieux de résidence habituels de la cour des Valois-Angoulême. La Bretagne de la Renaissance a été confrontée à la division confessionnelle au début des années 1560: de grandes familles bretonnes, comme celles des Laval ou des Rohan, sont devenues protectrices des intérêts huguenots dans ce finis terrae, ce qui a poussé le gouverneur à agir dans le sens d’une concorde civile. Contrairement à l’image tenace que l’on a pu avoir d’une Bretagne récalcitrante aux idées réformées, le calvinisme a fait de nombreux adeptes notamment en Haute-Bretagne.
Le plus grand mérite d’Antoine Rivault est d’avoir réalisé un vrai livre d’histoire à partir de sources manuscrites émanant essentiellement des Archives nationales, de la section des manuscrits français de la Bibliothèque nationale de France et surtout des archives départementales et municipales. Tout seiziémiste sait pertinemment que ces sources sont éparses, souvent difficiles à transcrire et que les collecter constitue en soi une gageure. Ce travail a permis de sortir de l’oubli les actions du duc d’Étampes et les réalités pratiques du »métier« de gouverneur. Sans nul doute cet ouvrage contribue à améliorer nos connaissances de la construction de l’État monarchique dans la première moitié du XVIe siècle, une époque moins connue des historiens que ne l’est celle des troubles de religion ou de la Ligue.
Jean de Bretagne, comte de Penthièvre, aurait pu ne jamais exercer cette charge de gouverneur. Il est comme un miraculé de la politique. Son père, René de Penthièvre, avait soutenu les intérêts du connétable de Bourbon qui, en 1523, passa au service de Charles Quint. Exilé, il joua un rôle diplomatique essentiel en agissant comme un véritable intermédiaire entre l’Angleterre et l’Empire, afin de planifier une invasion du royaume, de quoi compromettre durablement l’honneur d’une famille auprès du roi de France.
C’est à la faveur de la paix de Cambrai de 1529 que le père du duc d’Étampes peut revenir en Bretagne. Le contexte de l’intégration politique de la Bretagne au royaume de France en 1532 et un mariage avec Anne de Pisseleu permettent à René de recouvrer une place éminente en Bretagne. Son fils Jean va se lier d’amitié avec le dauphin Henri de Valois, soucieux de s’entourer de fidèles, indépendants du réseau de son père. Henri est fait duc de Bretagne en 1540 et nomme plusieurs proches dans l’administration de son fief, dont Jean de Penthièvre qui devient gouverneur en 1543. Appartenant à une famille de la haute noblesse bretonne, Jean est bon connaisseur des particularismes locaux et dispose d’une bonne assise féodale, d’une proximité avec le milieu curial, en dépit de l’appartenance à une famille au passé trouble, dont le nom est encore marqué par le souvenir de la trahison politique. Cependant la faveur delphinale fut déterminante dans la résurrection politique des Penthièvre.
Après avoir pris le temps de décrire la nébuleuse familiale d’Étampes, Antoine Rivault aborde la grande diversité des missions du gouverneur de Bretagne.
Il faut prendre conscience que, comme le roi, le gouverneur parcourt inlassablement la Bretagne. De ce point de vue, il représente l’autorité royale. À l’image des souverains, le duc d’étampes fait un tour de Bretagne et participe à de nombreuses entrées solennelles. Il y a également, au niveau local, une dimension contractuelle du pouvoir. Les spécialistes de l’histoire politique ne peuvent que se conforter dans l’idée que l’exercice du pouvoir est résolument fondé sur le lien d’homme à homme et le réseau, entretenus par les rencontres. Le gouverneur est un grand qui va à la rencontre des sujets de la province. Antoine Rivault propose plusieurs cartes originales pour visualiser les voyages du gouverneur. Cependant, on peut regretter fortement que la mise en page du livre ait eu pour conséquence de rendre difficile au lecteur l’accès au détail de ces cartes: celles-ci sont, en effet, reproduites dans un trop petit format … Le gouverneur voyage en Bretagne et à la cour et lorsqu’il renonce à une visite, il use de ruses parfois, comme celle de la maladie de commande, pour s’en excuser.
Le gouverneur est surtout chargé des affaires militaires dans cette immense et imposante frontière maritime bretonne. Ce »gouverneur de guerre« doit s’appuyer sur deux lieutenants généraux, François de Rohan, sieur de Gyé, et Georges de Bueil, sieur de Fontaines. L’un des apports du livre est de montrer qu’en Bretagne, les lieutenants généraux sont vraiment des proches au service du gouverneur, alors qu’à la fin du XVIe siècle, au temps d’Henri III, les lieutenants généraux sont souvent des gentilshommes connaisseurs des affaires des provinces dont l’action a pour but de contrebalancer la trop grande influence politique de certains gouverneurs. Jean de Penthièvre, devenu duc, s’appuie également sur les capitaines de villes, places fortes et châteaux qui sont autant de représentants locaux du pouvoir. Le commandement de ces places fortes est confié par le roi. Il est donc difficile au gouverneur de les destituer sauf pour des raisons confessionnelles. Il existe un véritable effort de l’autorité royale et de son gouverneur pour essayer de désarmer les huguenots en Bretagne. L’usage de la force est moins efficace qu’une patiente stratégie d’attribution de charges militaires à des fidèles, restés dans le giron catholique.
Un autre apport essentiel du livre est de montrer que le duc d’Étampes est un gouverneur de frontière maritime. Sa mission est de protéger la Bretagne des attaques venues de la mer, qu’elles soient le fait des Anglais, des Flamands ou des Espagnols. Il dispose pour cela de pouvoirs étendus. Le commandement des navires de guerre est confié à la noblesse bretonne, bien intégrée dans ses réseaux. Jean de Penthièvre n’est pas plus que les autres grands de son temps un homme de la mer. Il est plus un garde-côte qu’un marin.
Outre celles déjà abordées, le gouverneur assume d’autres missions essentielles: il gère les deniers royaux, veille à l’exercice de la justice du souverain, administre à distance par l’envoi de très nombreuses lettres, arbitre les conflits … Sans nul doute, le duc d’Étampes est bien un »gouverneur aux mille visages« dont Antoine Rivault reconstitue toute l’activité, avec précision et nuance, dans un livre savant et instructif dont le riche contenu sera peut-être difficilement accessible aux non-spécialistes.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Xavier Le Person, Rezension von/compte rendu de: Antoine Rivault, Le duc d’Étampes et la Bretagne. Le métier de gouverneur de province à la Renaissance (1543–1565), Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2023, 394 p. (Histoire), ISBN 978-2-7535-8640-6, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2024/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.3.106986