Ce gros livre est la publication d’une thèse soutenue devant l’université de Picardie en 2021, dont il reprend quasiment l’intégralité. Il comprend 712 pages de texte composées d’une introduction, d’un développement en trois parties et d’une conclusion, suivis d’un répertoire des notices des seize prieurés victorins étudiés (725–888), de 38 annexes très variées présentées sous forme de tableaux (891–948) synthétisant les textes normatifs qui régissent les chanoines forains mais aussi des données sur les patrimoines des prieurés et leur gestion temporelle et spirituelle. L’ouvrage se termine par des listes récapitulatives de sources et de références bibliographiques, un index des manuscrits dépouillés, deux indices des noms et lieux et enfin, 60 planches couleur, cartes et graphiques (1039–1068) qui permettent de situer les toponymes et de synthétiser les données chiffrées. Le sujet du livre est l’étude des prieurés de l’abbaye Saint-Victor de Paris, fondée en 1113 au pied de la montagne Sainte-Geneviève par le roi Louis VI, dans un contexte favorable à l’expansion des chanoines réguliers. Il ne s’agit pas d’entrer dans l’histoire de la maison mère mais de faire la part belle à la construction d’un réseau de prieurés dans la région parisienne, rapide et structurée selon un axe nord-sud entre Senlis et Orléans, en passant par Villiers-le-Bel, Corbeil et Puiseaux. La documentation rassemblée pour la thèse, en provenance des prieurés mais aussi de l’abbaye mère, est gigantesque; en témoigne sa longue présentation, par fonds, par types puis par période chronologique dans la première partie du développement. Le propos s’organise ensuite en deux parties chronologiques: »Création et structuration du réseau prioral victorin (début du XIIe siècle–milieu du XIVe siècle)«, »Détérioration et redressement des prieurés victorins (milieu du XIVe siècle–première moitié du XVIe siècle)«. La césure est justifiée par une rupture documentaire dans les années 1350. La fondation des prieurés, leur installation bâtimentaire, leur reconstruction et surtout leur fonctionnement matériel sont les thématiques fondamentales du livre, qui apporte quantité de données économiques, enrichissant considérablement la connaissance que nous avions jusque-là du contexte social, économique et religieux de ces importantes localités du Bassin parisien, dont on comprend mieux comment et selon quels cycles elles ont traversé les difficultés de la fin du Moyen Âge. Le lecteur apprend au fil des pages que l’abbaye de Saint-Victor ne put vivre sans ses obédiences, dont les fondations furent stratégiquement suscitées auprès d’élites, surtout laïques, et qu’elle fut constamment irriguée par les revenus produits dans cet arrière-pays parisien, dans des lieux d’implantation tout aussi bien urbains que ruraux, voire isolés. Il faut aussi réaliser, et c’est l’un des mérites de l’étude, qu’il y eut plus de chanoines résidant dans les prieurés qu’à Paris, même si les allers et venues entre centre et périphérie n’ont pas cessé. Quelquefois ils ont été dénoncés, car trop fréquents, mais ils ont également généré des relations complexes entre la mère et ses fils, par exemple dans le prêt des livres parisiens aux chanoines forains. Finalement, la raison d’être des prieurés fut bien de fournir des ressources pour eux-mêmes et pour le réseau auquel ils appartenaient, mais aussi, et c’est un autre apport de ce travail, d’assurer, malgré les difficultés conjoncturelles dont les périodes étudiées n’ont pas été exemptes, la desserte paroissiale pour les communautés d’habitants qui avaient la chance de résider à côté d’un prieuré-cure (douze sur seize). La distance entre prieurs et population eut néanmoins tendance à s’installer en fin de période, quand les premiers choisirent de délaisser le prieuré pour habiter un hôtel dans la ville elle-même. L’analyse exhaustive des documents de gestion qui constituent l’écrasante majorité des sources (baux à cens, baux à rente, baux à ferme, baux à loyer) permet, outre la compréhension de la masse documentaire produite au fil des décennies, la reconstitution de dynasties d’habitants de ces localités, laboureurs et vignerons, dont la stratification sociale est finement mise en valeur. On ne doit pas s’étonner par ailleurs du fait que plusieurs prieurs, puis chanoines de l’abbaye parisienne, soient issus de ces lieux dans une limite toujours poreuse entre milieux des dépendants, milieux des bienfaiteurs et recrues canoniales. La notion de réseau employée est pertinente également dans les rapports entretenus entre prieurs, faits de relations de proximité, de solidarité mais aussi de concurrence, car les prieurés ne se valaient pas les uns les autres. Les plus saillants furent incontestablement Puiseaux, Corbeil et Villiers, notamment le premier qui fournissait à lui seul la moitié des revenus de l’abbaye. Il y avait un enjeu à devenir dans une carrière canoniale victorine prieur de Puiseaux plutôt que de Saint-Donain, prieuré par ailleurs détruit et ruiné à la fin du XIVe siècle. Grâce à ce livre, on découvre une histoire de Saint-Victor à travers ses prieurés, où se jouent de vrais enjeux de la vie canoniale régulière.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne Massoni, Rezension von/compte rendu de: Julie Colaye-Rabiant, Les prieurés de Saint-Victor de Paris (XIIIe–première moitié du XVIe siècle). Implantation et fonctionnement d’un réseau canonial entre Senlis et Orléans, Turnhout (Brepols) 2023, 1068 p., (Bibliotheca Victorina, 30), ISBN 978-2-503-60776-4, EUR 190,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108058