Le gigantesque travail d’analyse et d’édition des actes de Frédéric II (1194–1250), empereur et roi de Sicile, se poursuit avec ce tome XIV/7, qui concerne la période janvier 1232–août 1236, soit une phase cruciale de l’activité de Frédéric II en Italie (paix avec le pape, renforcement de l’emprise sur le royaume de Sicile, manœuvres pour contrôler le nord de la péninsule malgré l’opposition d’un faisceau de cités »lombardes«, mais aussi première partie du nouveau séjour en Allemagne qui débute en mai 1235). Il faut saluer la cadence avec laquelle l’équipe des MGH, malgré les décès et départs à la retraite, a réussi jusqu’ici à accomplir ce travail impressionnant, le tome précédent (XIV/6) étant paru en 2021. L’avant-propos (VII–X), qui revient sur ces prouesses, mérite d’être lu attentivement, car il discute la nécessité dans laquelle l’équipe s’est trouvée, en avançant dans la décennie 1230, de choisir d’intégrer ou non un certain nombre de documents qui entrent plus dans la typologie des lettres que des actes, en arrivant à une période de l’histoire de Frédéric II dans laquelle la confection de documents de propagande prend une place toujours plus importante. Il y est précisé en fonction de quels critères nombre de textes de ce genre sont traités, et quelle est leur philosophie d’édition (laquelle exclut la prise en compte de tous les témoins, dépassant souvent la centaine pour ceux de ces textes qui sont contenus dans les collections en cinq et six livres de Pierre de la Vigne sous leurs formes »ordonnées«). Étant donné que Karl Borchardt assure l’édition de la grande collection en six livres dans le cadre des MGH, la synergie, mais aussi les différences entre les deux projets, méritent en effet d’être expliquées.
La massive introduction au volume XIV/7 (XI–CXV) traite comme une unité les actes des tomes 6 et 7 (XIV/6–7), couvrant la décennie 1226–1236. La section sur la transmission des sources livre plusieurs renseignements qui donnent la mesure du renouvellement qu’apporte l’édition. L’édition des actes de Frédéric II faite par Jean Louis Alponse Huillard-Bréholles sous le Second Empire ne comprenait pour la même période que 60 % des documents édités dans ce volume, qui inclut même dix actes non répertoriés par Paul Zinsmaier (Regesta imperii V/4, 1983), tout en écartant divers faux. Sont discutées les raisons pour lesquelles la moyenne d’actes conservés est plus faible que lors des années précédentes (un fait probablement dû à l’extraordinaire intensité des voyages de Frédéric II durant certaines années de cette décennie): une cinquantaine de privilèges émis a été conservée en moyenne pour chaque année. La proportion d’originaux conservée n’est pas négligeable (plus d’un tiers de l’ensemble), mais elle est déséquilibrée en faveur des archives allemandes. La section concernant la chancellerie insiste sur notre ignorance d’un certain nombre de faits fondamentaux (division ou unité lors des déplacements, et entre les différentes grandes aires de domination des Hohenstaufen …), tout en donnant des indications prosopographiques précieuses. La mise entre parenthèses d’un certain nombre de notaires liés à des actes dont on sait maintenant qu’ils sont faux ou douteux réduit leur nombre à treize (auxquels il faut ajouter diverses mains anonymes »régulières«) pour notre période. Elle aboutit à une extrême simplification, en marginalisant les notaires ne provenant ni de la Campanie, ni de la Sicile. La longue analyse de l’évolution des caractères internes et externes est également remarquable. Elle fait notamment apparaître de grandes différences dans le traitement calligraphique des actes, en dépit de la progressive homogénéisation du style d’écriture, et une réduction relative de l’emploi des arengae, cohérent avec le degré de majesté du document (les privilèges en comportent pratiquement toujours).
Deux mots sur les quelque deux cent cinquante actes (n° 1464–1721) édités dans ce volume. Comme on l’a dit, à côté des habituels privilèges, ils contiennent un certain nombre de documents que les éditeurs hésitent souvent, dans les discussions liminaires, à classer comme des lettres ou des mandats, et dont certains sont par ailleurs inclus dans la collection »classique« (petite collection en six livres) dite de Pierre de la Vigne (PdV), comme le n° 1706, fameuse lettre sur les méfaits du duc d’Autriche Frédéric le Querelleur adressée au roi de Bohême. Les privilèges concernent l’ensemble de l’espace impérial (royaume de Bourgogne, Allemagne, Italie du Nord, royaume de Sicile) avec une extension (modeste) au royaume de Jérusalem, et une large proportion recoupant le territoire de la France actuelle (diplômes en faveur de Raimond VII de Toulouse, pion stratégique dans la diplomatie impériale, ou actes concernant la Franche-Comté; deux lettres à destination de Louis IX sont également incluses). Parmi les »tournants«, on notera l’entrée en scène d’Ezzelino da Romano et de sa famille (n° 1539‑1540) ou la lettre n° 1541 à Grégoire IX, qui voit l’apparition de Pierre de la Vigne, désormais grand-juge, en tant que diplomate. Une lettre à Grégoire IX (n° 1566) présente l'intérêt de discuter la situation de la »colonie sarrasine« de Lucera dans les Pouilles, avec des précisions sur le bilinguisme de ses habitants et sur leur conversion partielle au christianisme. La lettre n° 1597 à Grégoire IX, sur le mariage planifié avec Isabelle Plantagenêt, enregistre la montée en puissance de Pierre de la Vigne, dont les services sont soulignés. D’autres documents présentent un intérêt rhétorique particulier, comme la lettre aux habitants de Worms (n° 1609, considérée comme un mandat, car elle contient un ordre), mal datable (novembre 1233–mai 1235), où le notaire responsable utilise déjà l’image de David et Absalon, qui caractérisera le traitement des relations entre Frédéric II et Henri (VII) jusqu’à la fameuse lettre de déploration PdV IV 1 sur la mort d’Henri (VII), pour parler de la rébellion du fils contre le père. Les deux circulaires n° 1700 et 1701, l’une destinée à l’Allemagne et aux fidèles d’Italie du Nord, l’autre à la Sicile, liées à la préparation de la diète d’Augsbourg et aux projets militaires de Frédéric II contre les Lombards (le premier de ces textes est présent dans les lettres de Pierre de la Vigne, PdV III 1) présentent de manière grandiose la vision impériale de l’espace euroméditerranéen à la veille de l’affrontement militaire avec les Lombards. Frédéric y souligne en effet que le Nord (Allemagne), l’Est (royaume de Jérusalem) et le Sud (royaume de Sicile) de ses possessions étant pacifié, il ne reste plus qu’à dompter l’Italie du Nord pour parfaire l’édifice … Le travail d’analyse rhétorique de ces textes n’est d’ailleurs pas laissé au lecteur, avec une simple »préparation« diplomatique: un véritable saut qualitatif a été opéré au fil des décennies par l’équipe dans le traitement scientifique de ces textes, qui sont à présents introduits par de longues présentations initiales discutant de manière pertinente non seulement les critères d’analyse diplomatique et le contexte historique, mais aussi leur structure rhétorique, le degré de formularisme, l’intensité de la rythmisation (cursus) et son type (proportion de veloces, tardi, plani) ...
Le degré d’excellence atteint dans le maniement des critères d’analyse proprement rhétoriques (formules, cursus) se mesure notamment dans la discussion de la dizaine d’actes qualifiés de »douteux« (zweifelhaft: n° 1516, 1529, 1534, 1601, 1664 ,1683, 1718 …). Presque toutes les variations dans la rythmisation sont jaugées, de manière aussi pertinente que prudente. On peut tout de même signaler que l’acte n° 1534 apparaît particulièrement douteux, étant donné l’absence de cursus velox, planus ou tardus dans la période finale (ecclesiasticis tenetur) et dans la fin d’une période centrale (clare legimus), la question ayant déjà été soulevée par Sebastian Gleixner. Étant donné l’usage intensif de cette ornementation à la chancellerie en fin de période, une telle discrépance ne laisse la place qu’à l’hypothèse d’un notaire externe occasionnel, ou de l’inauthenticité du texte. L’étude du cursus rythmique peut d’ailleurs servir non seulement à discuter le statut (faux, douteux, authentique) des pièces éditées, mais aussi à la reconstitution du texte. Dans l’acte n° 1609 (mandat adressé à la ville de Worms) déjà mentionné, dans la période initiale où Frédéric II et Henri (VII), encore régnant, sont comparés à David et Absalon, la leçon »Noster quoque predecessor David, rex inclitus Israel, cum infatuatum esset consilium Absalon, in suis fidelibus requievit« est maintenue, parce que les deux transcriptions de la lettre-mandat donnent ce texte, mais l’apparat critique relève que Huillard-Bréholles avait en son temps corrigé »Absalonis«. Le trait fait honneur à l’érudit français du XIXe siècle, car la comparaison avec d’autres lettres mettant en scène la rébellion du fils de David suggère que le texte initial avait certainement »consílium Absalónis«, formant un cursus velox. C’est un point où l’on peut se demander si les éditeurs n’auraient pu s’aventurer à intégrer cette correction, même si on comprend pourquoi ils ne l’ont pas fait. La présentation dans l’acte n° 1494 de la séquence »constítuit sèdem nóstram« comme un cursus velox de qualité inférieure, parce que comprenant non deux mots, mais trois, est un autre exemple du raffinement d’analyse atteint, qui pour le coup est peut-être excessif, car cette combinaison 4pp+2p+2p, où l’accent médian est mis entre parenthèses, était courante et tolérée dans la pratique. L’important était qu’elle sonnât bien comme un velox. Cet exemple donne la mesure du degré de précision atteint dans ces discussions.
À un spécialiste de la rhétorique, cette évolution méthodologique désormais parachevée ne peut que procurer une grande satisfaction. On peut en effet dire que l’équipe éditant les actes de Frédéric II depuis plus de vingt ans (le tome XIV/1 a paru en 2002) a non seulement maintenu un niveau d’excellence diplomatique typique des écoles allemande et autrichienne, mais a également réussi à intégrer au plus haut niveau les exigences de l’analyse rhétorique, entendue selon des critères fonctionnels pour le XIIIe siècle. Il faut souhaiter que les difficultés inévitables créées par la tâche colossale consistant à éditer les actes (et donc, aussi, un certain nombre de lettres) des années 1236–1250 n’empêcheront pas l’équipe des MGH de continuer à publier ces volumes au rythme qu’elle a tenu jusqu’à présent. Étant donné que, par ailleurs, la connaissance de la tradition des lettres dites de Pierre de la Vigne connaît un approfondissement radical, avec l’édition de la collection en cinq livres (Pier della Vigna, Epistole in 5 libri, éd. Debora Riso, intro. Fulvio Delle Donne, Potenza 2024) et celle des volgarizzamenti toscans du XIIIe siècle (Giovanni Spalloni, I volgarizzamenti fiorentini delle lettere di Federico II e dei suoi avversari, Pise 2024), après celle de la collection extravagante du ms. Fitalia (I »dictamina« del Codice Fitalia, éd. Pietro Colletta, Fulvio Delle Donne, Benoît Grévin, Florence 2022), on peut légitimement affirmer que l’époque actuelle voit un renouvellement en profondeur de notre connaissance des cultures de l’écrit liées au monde de Frédéric II, et de leur rayonnement aux XIIIe et XIVe siècles.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît Grévin, Rezension von/compte rendu de: Christian Friedl, Katharina Gutermuth, Klaus Höflinger, Maximilian Lang, Katharina Meister, Joachim Spiegel (Bearb.), Die Urkunden Friedrichs II., Teil 7: 1232–1236. Texte und Register, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2024, CXX–1154 S. in zwei Teilen, 32 Abb. (Monumenta Germaniae Historica. Diplomata regum et imperatorum Germaniae, XIV,7), ISBN 978-3-447-11970-2, EUR 278,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108063