Pour la précédente collection des Éditions Gallimard »Trente journées qui ont fait la France«, le journaliste puis écrivain Pierre Frédérix avait déjà écrit un livre du même titre, publié en 1966. Depuis, les études sur le dernier duc Valois de Bourgogne se sont multipliées, pensons à celles de Richard Vaughan, de Werner Paravicini, de Jean-Marie Cauchies, de Henri Dubois.1 J.-B. Santamaria s’est donc livré à un exercice difficile, mais réussi. Son but est de retracer l’onde de choc de l’événement non seulement dans les territoires bourguignons et en France, mais aussi à l’échelle européenne, et ceci en quatorze chapitres.
L’auteur retrace d’abord les opérations militaires des 4 et 5 janvier 1477 (»La déconfiture de monseigneur de Bourgogne«), puis ce qui s’est passé les jours qui ont suivi (»L’État bourguignon décapité«). Aujourd’hui, nous pouvons toujours nous interroger sur le fait que Charles le Téméraire, vu son armure et son harnachement, les hommes qui devaient l’entourer, n’ait pas été reconnu par ceux qui l’ont tué. Puis il a fallu s’assurer de son sort, son cadavre n’étant retrouvé que le 7 janvier, son corps étant identifié par des proches, dont son médecin portugais Lopo da Guarda (et non Mathieu Lupe). Il fut l’objet d’une cérémonie funéraire et d’une inhumation dans la collégiale Saint-Georges, alors qu’un charnier était réservé aux hommes d’armes tués. Le butin, assez maigre, fut partagé: artillerie (pas si importante que cela), bannières, plus symboliques.
Pour mesurer l’écho de la défaite bourguignonne à Nancy, l’auteur rappelle la formation de ce qui est devenu »l’État bourguignon« en 1474 (»Les illusions de la splendeur«), puis se tourne vers la figure du duc Charles – même s’il faut se méfier des études psychologiques à rebours: héritier ambitieux (mais son père vieillissait et il était plus proche de sa mère Isabelle de Portugal), qui se montra d’abord homme de guerre (contre Louis XI, contre Liège) (»Charles le Travaillant ou l’art difficile de gouverner«). Cependant le duc fit de plus en plus montre de tendances qui inquiétèrent son entourage: l’emploi de la violence d’État et l’obsession du complot, une surestimation de ses capacités stratégiques et tactiques (»Du Hardi au Téméraire«).
L’auteur revient ensuite sur le conflit entre Charles le Téméraire et Louis XI (dont les troupes n’ont pas participé à la bataille de Nancy), la rivalité France-Bourgogne remontant à la guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons, la paix d’Arras de 1435 n’étant finalement qu’une longue trêve (»Louis et Charles: un seul lit pour deux rêves«, celui du contrôle des grands féodaux et celui d’une souveraineté indivisible). Sous le règne du duc Charles, cette rivalité prit diplomatiquement une dimension européenne, chacun se cherchant des alliés dans toute l’Europe occidentale (»France et Bourgogne: les enjeux d’une rivalité diplomatique«). Cependant, la défaite a eu lieu contre les Lorrains, les Alsaciens, les Suisses, des sujets de l’Empire, où Charles rêvait, à la suite de son père, d’un royaume, mais il échoua lors de l’entrevue de Trèves avec l’empereur Frédéric III en 1473 (»Rêves d’empire«). Rappelons d’autre part que son désir de conquêtes »impériales« trouvait une de ses sources dans l’histoire d’Alexandre le Grand, dont le texte de Quinte-Curce fut traduit pour lui par Vasco de Lucena: après la conquête de l’Occident, Charles se lancerait à celle de l’Orient. Pour en revenir à l’étude de J.-B. Santamaria, l’année 1475, fut celle du basculement: malgré le siège de Neuss, Charles se lança à la conquête de la Lorraine (ce qui lui permettait de relier ses états »de par-deçà«, en gros les Pays-Bas bourguignons, à ceux »de par-delà«, en gros les territoires bourguignons). Aussi la défaite de la Savoie, alliée, face à l’évêque de Sion impliqua son intervention contre la Confédération helvétique. Ces entreprises (n’oublions pas que la devise de Charles était »Je l'ay emprins«, »Je l’ai entrepris«), allaient liguer une partie de l’Europe contre lui, qui, en 1476, allait être humilié à Grandson et voir son armée massacrée à Morat (»L’union contre le ›Turc de Bourgogne‹«).
Nous retournons alors à Nancy et est retracée la trame des événements militaires et diplomatiques, qui menèrent à l’automne à un siège de la ville par les Lorrains, puis par les Bourguignons affaiblis (»Nancy: le siège de trop«). C’est l’occasion pour l’auteur de présenter l’armée bourguignonne qui n’était plus que l’ombre d’elle-même malgré les renforts, mais qui souffrit de désertions, de chefs – notamment Campobasso – et d’hommes (»La dernière armée bourguignonne«). Le véritable vainqueur de Nancy fut le jeune duc de Lorraine René II (il avait vingt-six ans) qui réussit à établir une coalition avec les Suisses et les Alsaciens (»Une pour toutes: l’ennemi coalisé«, »Une pour toutes« étant la devise de René II).
Même si elle était désirée par beaucoup, la mort du duc de Bourgogne causa une onde de choc en Europe occidentale, dans l’Empire, dans les péninsules Ibérique et Italique. L’on sait que la France en profita pour envahir et annexer le duché de Bourgogne, mais elle échoua pour le comté de Bourgogne. Malgré les soulèvements dans les Pays-Bas (la duchesse Marie fut obligée d’accorder le Grand Privilège), le nouveau duc Maximilien réussit à rétablir la situation militaire en 1479 (»Une Europe recomposée«). Puis, J.-B. Santamaria s’intéresse à la mémoire de l’événement, depuis 1477 à nos jours, dans les récits historiques dans l’Empire, chez les mémorialistes français et bourguignons, au tombeau de Charles le Téméraire à Nancy, à la légende au XIXe siècle (»Une mémoire éclatée«). Dans l’épilogue, il revient sur le fait que la mort de Charles le Téméraire est une des journées qui ont fait la France, même si elle a moins d’écho que par exemple Bouvines et il conclut que »ce sont les Habsbourg qui furent les grands vainqueurs du 5 janvier 1477« (»Le grand basculement«).
Suivent en pièces justificatives deux récits de la bataille de Nancy, cinq cartes, les notes, une présentation des sources et un index: regrettons l’absence de bibliographie générale, les références complètes se trouvant dans les notes.
Jean-Baptiste Santamaria, fort de la maîtrise des sources et de l’historiographie la plus récente, nous présente une vue renouvelée de la bataille de Nancy.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Jean-Baptiste Santamaria, La mort de Charles le Téméraire. 5 janvier 1477, Paris (Éditions Gallimard) 2023, 361 p. (Les journées qui ont fait la France, 18), ISBN 978-2-07-013205-8, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108070