Dans la tradition des Regesta Imperii, le volume publié par Ulrich Schmidt et Viktoria Trenkle livre les regestes de la seconde moitié du pontificat de Célestin III, c’est-à-dire les 5e, 6e et 7e années de son règne (y compris les nombreux actes non datés, et datables seulement de son pontificat, entre 1191 et 1198). Ce sont 1447 regestes, qui s’ajoutent aux 1387 regestes du premier volume correspondant aux quatre premières années du pontificat. Un peu plus d’un regeste par jour, donc, en moyenne: c’est un recul par rapport à ses prédécesseurs, peut-être en partie explicable par la durée de son pontificat.
Le contenu des actes recensés est évidemment très divers. On y trouve le lot habituel de privilèges de concession de la protection apostolique et de confirmation générale des possessions, les conflits entre églises ou entre églises et laïcs, la prédication de la croisade, y compris la lutte contre les musulmans en Espagne. On peut aussi relever des nominations de légats (n° 1529 et 1530, par exemple, dans ce dernier cas en lien avec la prédication de la croisade), la proclamation d’un saint (n° 1561, 2147), la concession d’indulgences (n° 1829, 2020), l’autorisation de remplacer une promesse de croisade par la fondation d’une abbaye cistercienne (n° 2018), la gestion du patrimoine de saint Pierre (n° 2323), le problème du vieillissement des religieuses dans un monastère (n° 2088; à l’inverse, dans un autre monastère l’excès de chanoines impose de limiter leur nombre à 90 et d’interdire l’entrée des moins de 15 ans: n° 2094). On relève aussi que des laïcs, et même des femmes, à condition qu’elles en aient les moyens, étaient capables de porter plainte devant le pape (n° 1596, 1702). Les réticences de nombreux laïcs (voire d’ecclésiastiques) à payer la dîme sont fréquemment évoquées, de même que la nomination aux prébendes, un droit que Célestin III s’arroge (n° 1758, 2329, 2765). La grande politique est peut-être moins présente que sous Alexandre III ou Innocent III, mais la question des rapports avec l’empereur, avec le roi de France ou avec celui d’Arménie se posait malgré tout.
Célestin III, qui avait déjà une longue carrière ecclésiastique derrière lui quand il accéda au siège de saint Pierre, aimait à rappeler ses actions passées, en particulier comme légat: il avait proclamé la sainteté de l’évêque Rosendus de Dumio (n° 1561) ou était présent quand Eugène III avait dédicacé l’église d’Agaune (n° 1729).
L’activité canonique ne représente que 4 % environ des regestes (ce qui aurait mérité un index spécifique), à propos, par exemple, des motifs légitimes, pour le destinataire d’une délégation pontificale, de se soustraire à l’ordre reçu (n° 2586).
Le volume se termine par l’index des incipit, le tableau des souscriptions cardinalices, la table des concordances avec les instruments de travail classiques, tels que la Germania Pontificia, la Gallia Pontificia ou les Regesta de Jaffé (2e édition), la liste des regestes dont l’attribution à Célestin III est douteuse (généralement de simples mentions, ou des actes mentionnant une intervention d’un pape non nommé), des compléments (il s’agit souvent de mises à jour) aux regestes des années 1181–1195, l’indication des sources et de la bibliographie et l’index des noms de personnes et de lieux.
Ce livre clôture l’entreprise de publication des regestes pontificaux pour les pontificats de Lucius III, Urbain VIII, Grégoire VIII, Clément III et Célestin III, qu’avaient commencée les Regesta Imperii, à l’initiative de Klaus Herbers, en 2003. Il convient de saluer cette très importante réalisation, qui devrait permettre de mieux éclairer ces cinq papes, un peu écrasés par les fortes personnalités et les longs pontificats d’Alexandre III (1159–1181) et Innocent III (1198–1216).
On peine à imaginer l’étendue des recherches et des dépouillements nécessités par ce travail, puisque toute la chrétienté latine était concernée: la bibliographie de ce seul volume compte plus d’un millier de titres, les lieux de conservation des manuscrits sont innombrables. Ces recueils de regestes peuvent donc servir à bien plus encore qu’à la recherche des actes pontificaux: on y trouve aussi l’identification d’innombrables églises dans toute la chrétienté (avec toujours l’indication du diocèse d’appartenance) et le renvoi aux sources d’archives et aux éditions (en revanche, contrairement à ce qui est fait pour les regestes des rois et des empereurs, il n’y a pas la bibliographie exhaustive pour chaque document). Il y a là matière en fait à disposer d’une sorte de répertoire des monastères et des chapitres, que les Regesta pourraient peut-être publier.
On peut relever, il est vrai, quelques erreurs de détail: par exemple, Montreuil était dans le diocèse d’Amiens et non celui d’Arras (n° 2072), Saint-Pierre de Lille était un chapitre séculier et non régulier (n° 2795). Ces petites erreurs sont inévitables dans une entreprise d’une telle envergure. Il faut rappeler ici que les lecteurs sont invités à utiliser, dans la version numérique de ces regestes, la fonction qui permet d’ajouter des informations: http://www.regesta-imperii.de/regesten/suche.html. Car s’il est très précieux que ces regestes existent en format imprimé, il est aujourd’hui aussi essentiel de disposer d’un format numérique, qui permet entre autres de continuer à faire vivre cette impressionnante collection de données, et ainsi de rendre à l’immense et excellent travail de celles et ceux qui l’ont rassemblée un hommage amplement mérité.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: J. F. Böhmer, Regesta Imperii, IV. Lothar III. und ältere Staufer, 4: Papstregesten 1124–1198, Teil 4: 1181–1198, Lieferung 6: 1195–1198. Cölestin III. Erarbeitet von Ulrich Schmidt, Viktoria Trenkle, Köln (Böhlau) 2024, 836 S., ISBN 978-3-412-52953-6, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108136