La publication de ce double volume des documents diplomatiques prussiens, couvrant la période de février 1869 à mars 1871, est un petit événement. Voilà plus de quinze ans en effet que le dernier volume consacré à l’année 1866 était publié, et près de quatre-vingt ans que les recueils consacrés à la guerre franco-allemande de 1870 et à ses prémices étaient perdus, comme le rappelle l’éditeur dans son avant-propos, à l’occasion des bombardements de 1945. Si cet ouvrage est aujourd’hui entre nos mains, c’est donc grâce à la persévérance de Winfried Baumgart qui livre ici, comme il le fit en 2008 pour l’année 1866, le fruit d’un méticuleux travail de compilation. Voilà qui conclut joliment la série prussienne couvrant les années 1858–1871. Die auswärtige Politik Preussens 1858–1871 rejoint enfin, en douze volumes complets, les Origines diplomatiques de la guerre de 1870–1871, les Documenti Diplomatici Italiani ou encore le Det nordslesvigske spørsmål danois compilé, en son temps, par Aage Friis.

910 documents (allemands comme étrangers, issus de fonds d’archives publics et privés) sont ici rassemblés, et l’auteur de nous faciliter la tâche en détaillant, dans un propos introductif d’une quarantaine de pages, les »aspects les plus importants« qui se dégagent de ces deux années de documents diplomatiques (février 1869–mars 1871): le déclenchement de la guerre franco-allemande, la question de la triple alliance possible entre la France, l’Italie et l’Autriche, l’affaire de la candidature au trône d’Espagne, la conduite de la guerre, les relations entre la Prusse et la Russie, l’Autriche, la Grande-Bretagne et les États du sud de l’Allemagne, ou encore les réactions allemandes au premier concile du Vatican ainsi que la révision du traité de Paris de 1856 au sujet de la neutralisation de la mer Noire.

Que retenir, concrètement, de cette imposante compilation? D’abord, le fait qu’elle vient confirmer la qualité des efforts entrepris depuis plus de vingt ans par la recherche allemande, française et internationale pour approfondir nos connaissances sur une guerre de 1870 qu’il ne convient décidément plus de qualifier, comme on a longtemps voulu le faire, »d’oubliée«. Le fait que, malgré un tiers de documents inédits, cet ouvrage ne vienne nullement révolutionner notre compréhension de la diplomatie prussienne (ce que Winfried Baumgart admet d’ailleurs volontiers) prouve que les historiens ont en quelque sorte fait le bon choix lorsque fut adoptée, principalement au détour des années 2000, une méthode de recherche résolument internationale (lecture de titres de presse étrangers, étude de documents diplomatiques issus des cabinets neutres, confrontation des récits français et allemands avec des sources étrangères) et ne se limitant pas aux sources dites administratives et représentatives des années 1870‑1871 (avec l’utilisation de plus en plus courante d’écrits du for privé et un élargissement des recherches vers la décennie précédant la crise de juillet 1870).

Que la dépêche d’Ems ne soit, à la lecture des correspondances et notices du cabinet prussien depuis le début de l’année 1869, qu’une goutte d’eau dans un vase débordant déjà de tous les côtés n’est de fait guère surprenant; côté allemand, on se prépare à une possible guerre avec la France, plusieurs mois avant l’affaire du trône d’Espagne (documents n° 51, 136, 191). Rien de bien neuf non plus dans l’importance qu’accordent les diplomates prussiens à l’opinion publique internationale; dès les premières ruptures du mois de juillet 1870 puis tout au long de la guerre, on relaie volontiers les »sentiments« des populations russe, britannique, suisse ou encore autrichienne, hongroise ou suédoise au sujet de l’Allemagne et de la conduite du conflit (documents n° 412, 413, 436, 470, 518).

Si les révélations sont rares, certaines missives n’offrent pas moins de nouveaux détails, précisant nos connaissances au sujet, par exemple, de la réputation positive dont jouit la France au Danemark en 1870, réputation née des pressions exercées par Paris en faveur de l’exécution de l’article 5 du traité de Prague de 18661 et qui, dans le contexte de tensions croissantes en 1869 et au premier tiers de l’année 1870, suscite d’évidentes inquiétudes à Berlin (documents n° 167, 189, 397, 473, 479 ou 491).

On notera également l’importance manifeste, puisque très récurrente dans les correspondances prussiennes, de l’hypothèse redoutée d’une triple alliance entre la France, l’Autriche et l’Italie. En 1869 et jusqu’aux premières défaites françaises du mois d’août 1870, la menace d’une »agitation provoquée par la France« auprès des cabinets autrichien (documents n° 398, 430, 436) et italien (n° 413) et même dans certains États allemands (n° 218) est une constante dans les lettres que se transmettent les diplomates. Dans cette crainte d’un élargissement du conflit et, très vite, de son règlement, les documents compilés par Winfried Baumgart font de la Russie le pivot de la politique extérieure de la Prusse; c’est vers elle que se tourne Berlin pour obtenir l’assurance d’une démonstration armée en cas de mobilisation en Autriche (n° 398, 450, 461), pour calmer l’enthousiasme pro-français d’une partie du gouvernement danois (n° 100) ou pour s’assurer qu’aucune conférence internationale ne viendra contrarier les objectifs de guerre du vainqueur (n° 508, 823 ou 900).

En somme, ces 910 documents dépeignent une politique prussienne opportuniste, largement influencée par la personnalité du chancelier Bismarck (dont le rôle stratégique est visiblement prédominant) et tournée vers des alliances utiles et des stratégies d’équilibre dont les intérêts les plus évidents se manifestent auprès des États du sud de l’Allemagne, de la Russie, de l’Autriche, de la Grande Bretagne et de l’Italie. Une politique dont le succès tient tant à sa cohérence globale qu’à l’effet accélérateur des victoires militaires remportées dès le début du mois d’août 1870 sur le théâtre de guerre; une fois le Rhin résolument traversé et les lignes de défense françaises percées, la menace d’une coalition hostile s’évapore et laisse à Berlin les mains libres pour préparer ses conditions de paix et s’assurer, dans le pire des cas, de la neutralité plus ou moins bienveillante des puissances non-belligérantes.

1 Article dont la seule existence donne aux gouvernements danois successifs l’espoir de récupérer les districts du nord du Schleswig perdu en 1864 au profit de la Prusse, et qui est rédigé ainsi: »S. M. l’Empereur d’Autriche transfère à S. M. le Roi de Prusse tous les droits que la paix de Vienne du 30 octobre 1864 lui avait reconnus sur les duchés de Schleswig et de Holstein, avec cette réserve que les populations des districts du nord du Schleswig seront de nouveau réunies au Danemark si elles en expriment le désir par un vote librement émis«.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gilles Vogt, Rezension von/compte rendu de: Winfried Baumgart (Hg.), Die auswärtige Politik Preußens 1858–1871. Dritte Abteilung: Die auswärtige Politik Preußens und des Norddeutschen Bundes vom Prager Frieden bis zur Begründung des Reiches und zum Friedensschluß mit Frankreich. Februar 1869 bis März 1871, Band XI/XII, Berlin (Duncker & Humblot) 2023, 622 S. (Quellen und Forschungen zur Brandenburgischen und Preußischen Geschichte, 58), ISBN 978-3-428-18890-1, EUR 199,00., in: Francia-Recensio 2024/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108200