La première biographie de Robert Schuman en allemand a le mérite d’exister, même si elle ne répond pas aux critères académiques du genre. Sur la forme tout d’abord, l’ouvrage s’appuie en guise d’introduction sur un avant-propos. Mais il manque une vraie introduction, celle qui indique aux lecteurs comment cette biographie se situe par rapport aux biographies antérieures, quelles sont les problématiques nouvelles soulevées et surtout quels sont les partis pris de l’auteur. Absente également une conclusion qui nous livrerait les apports majeurs que l’auteur, à travers cette biographie, fournit aux lecteurs et à la communauté scientifique. Si l’ouvrage s’appuie sur les sources existantes et une abondante bibliographie, des titres importants n’y figurent cependant pas. Par exemple aucune mention de la biographie de François Roth sur Robert Schuman. Du Lorrain des frontières au père de l’Europe (2008)1 ou celle de Jacques Portevin, Robert Schuman à Scy-Chazelles (2008) consacrée au »père de l’Europe«. Absent également l’ouvrage de Ghislain Knepper sur Robert Schuman, la politique par vocation (2022), et ce même si ce travail a suscité des polémiques récentes. Cette biographie a cependant le mérite de s’appuyer sur plus d’une quarantaine de témoignages. La subdivision de l’ouvrage en 47 chapitres, relativement courts, pose également un problème. S’ils suivent un récit chronologique, leur regroupement en parties homogènes auraient donné une colonne vertébrale à l’ouvrage.
Sur le fond, que retenir de la biographie de Manfred Kontz? L’accent est mis sur d’abord sur la foi de Robert Schuman. C’est un fil directeur pour comprendre l’homme et son œuvre. L’éducation et les valeurs catholiques transmises par sa mère ont guidé Robert Schuman tout au long de sa vie, publique comme privée. De son engagement dans les réseaux du catholicisme allemand à sa défense des prérogatives du Concordat dans l’entre-deux-guerres, comme député français, et jusqu’à son souci de l’Europe, la foi a façonné ses prises de positions politiques. Elle explique également une vie privée proche de l’apostolat faite de méditations, de lectures, de prière et d’observation des obligations religieuses. L’auteur souligne ensuite l’importance de l’appartenance multiculturelle de Schuman, l’homme des frontières, imprégné d’identités plurielles: Lorrain, ayant vécu une enfance et une adolescence au Luxembourg, il est formé dans les universités allemandes comme citoyen allemand, puis devient homme politique français. Rien d’étonnant alors de le voir défendre les diversités culturelles, de prôner les coopérations entre les nations et donc de placer l’Europe au cœur de son projet politique après la Seconde Guerre mondiale. C’est un troisième thème majeur de l’ouvrage de M. Kontz: Schuman, l’Européen. A la fois nécessité de l’heure et projet à long terme, la construction européenne est une œuvre de pacification et de réconciliation qui correspond aux valeurs chrétiennes pour Schuman. C’est la »rédemption« pour un continent bouleversé par de nombreuses guerres au cours des siècles précédents, et qui vient de connaître l’horreur absolue au cours de la guerre déclenchée par les Nazis. Au cœur de cette construction, la réconciliation franco-allemande qui seule peut ménager un avenir aux deux peuples. Ce projet est ouvert aux non-chrétiens, et aux autres peuples, comme le soulignent les valeurs portées par la déclaration du 9 mai 1950.
D’autres aspects sont également évoqués dans l’étude de M. Kontz. Il nous fait vivre son ancrage de député de la Moselle, un département recouvré dont il défend l’identité et la double culture au palais Bourbon, quitte à ferrailler avec certains gouvernements. On suit l’ascension politique et l’audience élargie dont bénéficie de plus en plus Schuman, jusqu’à ses premières responsabilités gouvernementales au printemps 1940, comme sous-secrétaire d’Etat aux réfugiés. Le souci des populations mosellanes le ramène à l’été 1940 à Metz où les Nazis l’enferment avant de le placer en résidence surveillée dans le Palatinat. L’ouvrage insiste enfin sur la dimension plurielle de l’homme d’Etat qu’est Schuman après 1945. Sa stature est à la fois nationale et internationale, en témoignent ses nombreuses responsabilités. Tout au long de l’ouvrage, Manfred Kontz dresse ainsi le portrait d’un homme »vertueux«, épris de culture et imprégné d’une vie religieuse intense.
La biographie relève cependant par moment d’une approche hagiographique et n’interroge guère certains sujets qui méritent débat et discussion, comme le rapport de Schuman à la question des minorités. Si sur la question du retour de l’Alsace-Lorraine à la France, Schuman n’a jamais affiché de positions autonomistes, en revanche il a assez clairement défendu les autonomistes face à la politique française qu’il estimait répressive. De la même manière sa prise de position au lendemain de l’assassinat d’Alexandre de Yougoslavie à Marseille en 1934 par des Oustachis croates interroge. S’il défend le rapprochement franco-allemand au cours de l’entre-deux-guerres, il reste bien à l’écart des mouvements européistes de cette période. Comment l’expliquer pour un futur »Père de l’Europe«? Il faut également interroger son vote des pleins pouvoirs à Pétain, tout comme, après son évasion en 1942, son rapport à la Résistance. La relative discrétion de l’homme politique sur ces différents sujets n’empêche pas l’historien d’ouvrir des pistes, de suggérer des interprétations. C’est ce débat historiographique qui manque à cet ouvrage.
Si cette première biographie allemande était nécessaire, il faut cependant espérer qu’elle ouvre outre-Rhin, notamment à la lumière de sources allemandes, de nouvelles approches sur Schuman.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Sylvain Schirmann, Rezension von/compte rendu de: Manfred Kontz, Robert Schuman. Eine Biografie in Zeitzeugenberichten, Paderborn, München, Wien, Zürich (Ferdinand Schöningh) 2023, 644 S., ISBN 978-3-506-79287-7, EUR 46,64., in: Francia-Recensio 2024/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108214