Le volume présente une sélection de 272 documents, traduits en allemand, extraits d’une publication en ligne de 2019, présentant des documents de divers fonds d’archives russes sur la politique internationale de mars 1938 à novembre 1939. Il s’agit pour l’essentiel de documents soviétiques, auxquels s’ajoutent quelques documents, en partie déjà publiés, d’archives allemandes, françaises et polonaises saisies en 1945 par les troupes soviétiques. Il ne faut pas attendre de révélation de ces documents. Néanmoins, ils permettent de préciser l’évolution de la politique soviétique et, dans une moindre mesure, le processus de décision à l’œuvre en URSS. L’intérêt de la publication est de rendre accessible en langue occidentale des documents russes.

L’apport le plus intéressant est la perception de la politique des puissances européennes par les diplomates en poste, en particulier en Grande-Bretagne et en France. Leurs rapports alimentent l’inquiétude sur un isolement de l’URSS face à l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. L’ambassadeur à Londres, Maïsky, rapporte par exemple les propos du magnat de la presse, Lord Beaverbrook, affirmant que Chamberlain ne s’opposera pas à l’expansion allemande en Europe du Sud-Est et qu’il compte sur un conflit entre Hitler et l’URSS (n° 100 du 19/10/1938). L’ambassadeur à Paris, Suriz, qui souligne la dépendance à l’égard de la Grande-Bretagne, estime que la France poursuivra sa politique de concessions à Hitler tant qu’elle ne touchera pas son territoire et qu’elle lui laissera toute liberté d’action pour son »Drang nach Osten« au détriment de l’URSS (n° 105 du 11/11/1938). Leurs analyses pessimistes confirment les craintes de Staline et trouvent un écho dans son rapport au XVIIIe congrès du parti communiste, en mars 1939, où il constate l’abandon par l’Angleterre et la France de la politique de la sécurité collective au profit d’une politique de non-ingérence et de neutralité, avec l’arrière-pensée de pousser les agresseurs fascistes contre l’URSS pour pouvoir ensuite dicter leurs conditions.

Les rapports de Paris et de Londres insistent sur la persistance de la politique d’apaisement, même après la déclaration de Chamberlain aux Communes sur la Pologne, et même s’ils notent une évolution de l’opinion britannique. D’où l’accueil méfiant des propositions franco-britanniques de déclaration commune sur l’intégrité et l’indépendance des États d’Europe orientale et sud-orientale ou de traité d’assistance mutuelle en cas d’agression allemande en Europe. Les notes du Narkomindel1 montrent que l’on soupçonne les Occidentaux de vouloir faire peser sur l’URSS l’essentiel du poids d’une action contre l’agresseur, sans engagement précis de leur part, mais aussi de justifier leurs concessions à l’Allemagne par un refus russe. On veut engager l’URSS sans s’engager soi-même. Litvinov soupçonne Georges Bonnet de pousser la Pologne à une politique antisoviétique (n° 155, note à Staline du 09/04/1939). C’est dans ce contexte de méfiance qu’il faut replacer la contre-proposition russe du 17 avril d’un traité tripartite d’assistance mutuelle englobant les États limitrophes de l’URSS entre Baltique et Mer Noire.

La nomination de Molotov en mai, suivie par une purge du Narkomindel, marque une rupture de la politique sous l’impulsion de Staline. Il apparaît clairement que l’objectif principal est dorénavant un accord avec l’Allemagne. Alors que Molotov propose, le 2 juin, un traité tripartite d’assistance mutuelle offrant une garantie à la Belgique, la Grèce, la Turquie, la Roumanie, la Pologne, les États baltes et la Finlande, puis un traité d’assistance mutuelle sans garantie de tiers, mais avec un protocole secret incluant ces États, ainsi que la Suisse et la Hollande, il propose à l’Allemagne de reprendre les négociations commerciales, en posant un règlement politique comme condition à un accord. C’est le point de départ de négociations menées parallèlement avec les puissances occidentales et avec l’Allemagne, dans lesquels l’URSS adopte une attitude dilatoire dans l’espoir d’obtenir plus, mais aussi par méfiance. Maisky rapporte ainsi que Chamberlain reprend sa politique d’apaisement en faisant pression sur la Pologne et en promettant un énorme crédit pour détourner l’Allemagne d’une agression à l’Ouest et la tourner vers l’Est (n° 208 du 25/07/1939). Une étude stratégique de l’Armée rouge transmise à Staline le 19 juillet (n° 202), à la veille des négociations militaires avec les Occidentaux, témoigne de cette méfiance. Elle suggère, en l’absence de position claire de la Pologne et de la Roumanie, de ne promettre qu’un soutien militaire limité aux Puissances occidentales et de placer la moitié des forces armées en réserve.

L’envoi de la mission militaire franco-britannique à Moscou accélère les négociations sous la pression de l’Allemagne. Le chargé d’affaires à Berlin rapporte que l’Allemagne est prête à toutes les promesses pour neutraliser l’URSS en cas de guerre contre la Pologne et éviter un accord avec les Puissances occidentales. Il ajoute cependant que le respect des engagements allemands dépendra ensuite de la situation (n° 219 du 08/08/1939). Il estime que le minimum obtenable est la Bessarabie, la Pologne orientale et la renonciation au Balticum (n° 221 du 12/08/1939 ). Les instructions à Vorochilov (n° 217 du 07/08/1939) pour les négociations avec la mission militaire franco-britannique montrent que l’on privilégie l’accord avec l’Allemagne, car on insiste sur la condition du libre passage des troupes russes en Pologne, alors qu’on sait qu’elle le refuse obstinément.

La publication n’apporte rien de nouveau sur le pacte germano-soviétique et le protocole secret sur les sphères d’influence. Les documents sur les débuts de la guerre confirment l’attentisme prudent des Soviétiques, malgré l’insistance allemande pour accélérer leur intervention en Pologne. Vorochilov justifie l’intervention soviétique auprès de l’attaché militaire français (n° 252 du 23/09/1939), en soulignant que l’URSS ne pouvait attendre l’écrasement de l’armée polonaise et une agression allemande, alors que les Alliés restaient sur leurs frontières, rejetant ainsi la responsabilité sur les Occidentaux. Les représentants à Londres et à Paris soulignent pour leur part qu’elle n’a pas provoqué de réaction négative, car elle bloque l’avancée allemande vers la Roumanie et la Mer Noire.

Parmi les documents saisis en 1945, on trouve des rapports intéressants des attachés militaires français à Moscou et Varsovie. Une note du général Palasse (n° 242) avertit dès juillet de la possibilité d’un accord entre l’URSS et l’Allemagne sur la base d’un partage de la Pologne et des États baltes, tandis que l’attaché militaire à Varsovie avertit les Polonais qu’en cas de refus du passage de ses troupes, l’URSS pourrait être neutre, ou même hostile en cas d’agression allemande (n° 244).

1 Abbréviation pour Narodny komissariat inostrannych del (Народный коммиссариат иностранных дел), le commissariat du peuple aux Affaires étrangères de la RSFSR.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christian Baechler, Rezension von/compte rendu de: Thomas Kunze, Andreas Hilger, John Zimmermann (Hg.), Bis in den Krieg: Die Außenpolitik der UdSSR 1938/39. Dokumente aus russischen Archiven, Paderborn, München, Wien, Zürich (Ferdinand Schöningh) 2023, 750 S., ISBN 78-3-506-79186-3, EUR 64,49., in: Francia-Recensio 2024/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108215