Issu d’une série de séminaires consacrés aux relations internationales organisés à l’université de Cologne, cet ouvrage collectif qui rend compte des débats et discussions qui ont eu lieu dans ce cadre est assurément ambitieux. Ses objectifs sont nombreux. S’il s’agit bien évidemment de définir le champ de l’histoire internationale et de le positionner par rapport aux autres domaines de la science historique, il faut également aux dires des concepteurs du projet, penser ce champ hors d’un cadre strictement national et le concevoir à travers des perspectives plurielles (archives, thèmes de recherches, analyses). Une approche d’autant plus nécessaire que la recherche des vingt dernières années a densifié apports et connaissances sur toute une série d’objets au cœur de l’histoire internationale. C’est donc à une ouverture géographique et chronologique que nous invitent les différentes contributions de l’ouvrage. Embrassant le XIXe et le XXe siècle et interrogeant les découpages chronologiques usuels, elles invitent à remettre en question les approches plus restreintes de l’histoire diplomatique pour envisager l’histoire internationale comme une histoire globale.
Cela passe par un dialogue avec les autres historiographies, même s’il est parfois asymétrique compte tenu de la production académique pléthorique dans certains États, plus restreinte dans d’autres. Cela passe également par un élargissement des approches: des acteurs étatiques aux acteurs non-étatiques; du politique au juridique en passant par l’économique, le social et le culturel; des transferts scientifiques à tout autre forme de transferts de connaissances. Dernière ambition: souligner vers quoi convergent et en quoi se différencient les différentes approches conceptuelles et méthodologiques de l’histoire internationale.
Pour y répondre, l’ouvrage s’articule autour de deux périodes chronologiques (le XIXe, puis le XXe siècle). Chacune des périodes est articulée autour de six contributions et s’achève par une mise en perspective. Les contributions centrées sur le XIXe siècle croisent plusieurs approches. À travers l’exemple des conflits liés à l’accès à la fourrure dans l’espace du Pacifique nord à la fin du siècle, on aborde à la fois les aspects diplomatiques, juridiques et »environnementaux« de cette course à la ressource (Robert Kindler). Les questions monétaires à travers le Gold Standard sont ensuite analysées dans leurs conséquences sociales, à travers l’impact des mécanismes monétaires, essentiellement transatlantiques en l’occurrence, sur les négociations salariales et le pouvoir d’achat (Sebastian Teupe). Le droit est au cœur du troisième article. En analysant la réaction des Juifs aux accusations de meurtres rituels; l’auteure souligne l’affirmation de cette communauté au sein des sociétés de l’époque (Elisabeth Gallas).
Le texte suivant étudie à la fois des transferts culturels et la diplomatie culturelle à travers l’analyse des tournées internationales des orchestres philarmoniques de Berlin et de Vienne entre 1886 et 1913 (Friedemann Pestel). Se penchant sur l’émigration outre-Atlantique des révolutionnaires de 1848, le cinquième article montre l’importance des liens personnels pour caractériser ces expériences de l’exil et explique à partir de là comment ces liens permettent de nouvelles approches de la révolution de 1848 (Sarah Panter). La dernière des études sur le XIXe siècle insiste enfin, à travers l’exemple de la Commission centrale de navigation sur le Rhin, sur les horizons intellectuels des acteurs de cette structure. L’article met en valeur l’importance des organisations internationales pour la construction d’une représentation de l’international chez les décideurs (Nils Bennemann).
Pour le XXe siècle, les productions sont tout aussi stimulantes. L’étude sur Kissinger, archétype du diplomate, déconstruit l’approche classique de l’homme d’État, dont l’art est imprégné par sa personnalité et ses dynamiques propres, aussi bien que par sa socialisation culturelle, qui influencent ses processus de négociation (Arvid Schors). L’analyse sur les réparations allemandes montre la complexité de la mise en œuvre pratique du traité de Versailles, tant cette question concerne l’ensemble du continent européen et conditionne sa reconstruction (Anna Karla). D’Europe il est question dans la contribution suivante, à travers les approches d’un ordre international fondé sur le droit, dont les gouvernements en exil caressent l’espoir pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est une manière intéressante d’aborder la question de la connaissance juridique internationale et des transferts en cette matière (Julia Eichenberg).
Les deux contributions 4 et 5 épousent les thématiques de l’heure: enfance, adoption, organisations non gouvernementales à travers les exemples de l’aide à l’enfance en Afrique (Katharina Stornig) ou des cas d’adoption consécutifs à la dernière guerre mondiale ou à celle de Corée (Silke Hackenesch). Le dernier cas étudié, quant à lui, rejoint également les préoccupations environnementales de l’heure. L’utilisation de pesticides dans les pays en développement dans les années 1970 et 1980 soulèvent bien évidemment de nombreuses questions, notamment celle de devoir penser globalement les transferts de produits chimiques, les connaissances et la production scientifique à cet effet (Sarah Ehlers).
Ces douze études de cas, riches en tant que telles, sont emblématiques de l’évolution de l’histoire internationale des dernières décennies. Si l’histoire des relations interétatiques centrée sur la problématique de la guerre et de la paix a longtemps dominé le champ des études internationales, force est de constater un renouvellement des thématiques et des approches méthodologiques sous l’effet des évolutions, notamment celles des sociétés occidentales. Le champ national, sans disparaître, s’est effacé devant des approches transnationales, plus globales. Cette évolution remet également en question les découpages chronologiques et permet de reconsidérer le temps long en histoire des relations internationales. Les études du volume consacrées au XIXe siècle montrent à ce propos très bien leur ancrage dans le temps présent et soulignent que ce siècle connaît une internationalisation bien plus proche de l’époque actuelle qu’on ne le supposait, aussi bien pour les réseaux à l’œuvre que pour les objets des relations internationales. Ce renouveau – et les études présentées le prouvent – doit également beaucoup à l’ouverture de l’histoire des relations internationales aux approches et méthodes d’autres champs disciplinaires, comme les sciences politiques, la sociologie, voire l’anthropologie.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Sylvain Schirmann, Rezension von/compte rendu de: Arvid Schors, Fabian Klose, Wie schreibt man Internationale Geschichte? Empirische Vermessungen zum 19. und 20. Jahrhundert, Frankfurt a. M. (Campus Verlag) 2023, 371 S., ISBN 978-3-593-51539-7, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2024/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108222