Cet ouvrage propose les actes d’un colloque qui s’est tenu en 2021 au Musée de la Révolution française à Vizille. Son objet, la république et les républicanismes, a été profondément renouvelé depuis la vague du bicentenaire. Il faut donc d’emblée saluer une publication qui s’efforce d’en rendre compte. Nous verrons cependant qu’elle comporte des angles morts qui en limitent les perspectives. Ils concernent moins les vingt contributions rassemblées, qui offrent une matière souvent riche, bien que disparate, sur la période républicaine de la Révolution française (parfois la question républicaine en tant que telle est périphérique), que le cadre historiographique et théorique au sein duquel elles ont été inscrites par les curateurs du volume.

L’introduction de l’ouvrage souligne à juste titre le foisonnement des usages du terme »république«, la diversité des significations et leurs déplacements dans le temps et dans l’espace, la complexité des circulations. Elle prend acte de la fécondité d’une approche par les dynamiques sur lesquelles les historiens travaillent maintenant depuis de nombreuses années. De manière concomitante, elle met à distance la question aujourd’hui dépassée de l’»exception française« qui avait marqué les années du bicentenaire.1 L’intention est de saisir la république comme une »multiplicité, théorisée ou remémorée« (26) entre 1770 et le début du XIXe siècle qui est présentée à partir de quatre thématiques.

La première, »Penser la république par l’histoire«, questionne le rapport au temps, et notamment la prolifération des références au passé. À travers elles, les acteurs de la Révolution française construisent leurs conceptions de la république, souvent par contraste avec ce passé, comme avec l’Antiquité davantage pourvoyeuse d’exemples que de modèles politiques, ou en retravaillant des expériences issues de la Révolution anglaise, notamment par la mobilisation de théoriciens du républicanisme comme Harrington. La Révolution française est également le moment où l’on tente de fixer le sens de catégories politiques grâce auxquelles sont élaborées les identités républicaines du XIXe siècle. La deuxième section décrit des »éléments constitutifs d’un projet républicain«, que l’on suppose donc commun aux différentes conceptions de la république, puisque l’orientation problématique du volume consiste dans la »multiplicité« (il n’existe pas »un« projet républicain). Les textes, principalement centrés sur le Directoire, étudient la nature populaire du modèle juridique républicain, traitent de fiscalité, du »républicanisme chrétien«, d’éducation et des secours aux défenseurs de la patrie, question sur laquelle la République, devenue directoriale, se parjure. La troisième partie, quelque peu redondante avec la précédente, est intitulée »Quelle république fonder?«. Elle aborde la place des femmes sous le Consulat alors qu’elles sont politiquement exclues, interroge la nature »libérale« du républicanisme des girondins et les enjeux de la Constitution et des institutions républicaines chez Saint-Just; elle étudie la fondation morale du régime républicain à travers les »éléments de morale républicaine«, la manière dont les auteurs de pétitions se présentent comme de bons républicains et enfin les différents états des convictions républicaines des frères Payan. La dernière thématique concerne les »échos de la République française«, en l’occurrence, la République helvétique et sa relation à l’exemple français au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, le Directoire et »le projet populaire de République irlandaise«, le républicanisme découplé des principes du droit naturel revendiqué par les colons esclavagistes réfugiés aux États-Unis, et enfin l’adaptation (voire la reconfiguration) des pratiques françaises dans la République cisalpine.

L’introduction, qui se présente comme un état de la recherche, rappelle que la république »a fait l’objet de bien des enquêtes, de bien des travaux« (22) depuis 30 ans et qu’il »faut souligner, ici, combien la République invite aux réflexions pluridisciplinaires« (23). Il est donc surprenant de constater que tout un pan de cette réflexion pluridisciplinaire est ignoré alors qu’il a contribué, depuis le bicentenaire, à renouveler en profondeur les problématiques des républicanismes. On aurait pu attendre a minima que ces travaux soient évoqués, sinon discutés.2 En dépit des hommages à la pluridisciplinarité, la philosophie politique est quasi absente des attendus du colloque, tels que l’introduction les reflète. Les historiens n’ont pourtant cessé de dialoguer avec elle depuis trente ans pour tenter de cerner et d’ordonner cette complexité républicaine (cette »multiplicité«) que l’on rencontre dans les archives et qui interroge les modèles.3 Sinon à la marge de certaines des communications, le lecteur ne trouvera trace des débats engagés par les historiens de la Révolution française sur les thèses de John Pocock, de Philip Pettit ou de Quentin Skinner. Le concept de liberté républicaine (comme non-domination), qui est au cœur des recherches sur les républicanismes n’est pas évoqué (pas plus qu’il n’est mobilisé dans la contribution qui examine le »libéralisme« des Girondins), ni l’opposition de la vertu et du droit censée séparer la tradition républicaine et la libérale, ni celle des républicanismes »classique« et »moderne« théorisée par Keith M. Baker, sur laquelle repose une bonne part de la recherche anglo-saxonne. Les enjeux du droit naturel pour la question républicaine, auxquels se réfèrent plusieurs contributions, ne semblent pas faire sens pour les directeurs de l’ouvrage, alors que cette dimension est maintenant bien documentée. C’était un acteur de la Révolution française, Philippe Buonarroti, ami de Robespierre et de Babeuf, qui mettait en avant les »connaissances en droit naturel« pour distinguer les projets républicains en conflit.4 Il y avait là de quoi alimenter la problématique de ce colloque et travailler à cette clarification que l’introduction appelle de ses vœux.

1 Michel Vovelle (dir.), Révolution et République. L’exception française, Paris, 1994.
2 Par exemple, pour ne citer que quelques colloques pluridisciplinaires organisés en France par des historiens de la Révolution française, ou dans lesquels ils sont intervenus et qui ont donné lieu à publications: Marc Belissa, Yannick Bosc et Florence Gauthier (dir.), Républicanismes et droit naturel à l’époque moderne. Des humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris 2009; Stéphanie Roza et Pierre Crétois (dir.), Le républicanisme social: une exception française?, Paris 2014; Yannick Bosc, Rémi Dalisson, Jean-Yves Frétigné, Christopher Hamel et Carine Lounissi (dir.), Cultures des républicanismes. Pratiques – Représentations – Concepts, de la Révolution anglaise à aujourd’hui, Paris, 2015; Jean Mondot et Christophe Miqueu (dir.), Lumières et républiques. Entre crises et renouvellement, Lumières 27-28, Bordeaux 2018; Olivier Christin (dir.), Demain, la République, Lormont, Éditions le bord de l’eau, 2018; Michel Bellet et Philippe Solal (dir.), Économie, républicanisme et république, Paris 2019; Olivier Christin (dir.), Républiques et républicanismes. Les cheminements de la liberté , Lormont 2019.
3 Seul un ouvrage de Serge Audier qui date de 2004 est cité lorsqu’il s’agit de regarder, dans une note, »du côté des philosophes et pour s’en tenir aux production récentes« (note 48 p. 23). Signalons donc qu’il y a eu de nombreux travaux publiés depuis 2004, par exemple ceux de Jean-Fabien Spitz qui font autorité.
4 Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’égalité dite de Babeuf, Paris, Editions sociales, 1957, t. 1, p. 25.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Yannick Bosc, Rezension von/compte rendu de: Alain Chevalier, Jean d’Andlau, Hervé Leuwers, Comé Simien, Quelle République pour la nation?. Projets républicains et Révolution française 1770-1820, Paris (Société des études robespierristes) 2023, 279 p. (Collection études révolutionnaires, 22), ISBN 978-2-908327-79-3, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108307