Que devient une résidence princière quand le souverain et sa cour la quittent? Est-elle condamnée au déclin, ou peut-elle rebondir, profiter de la conjoncture pour développer de nouvelles fonctions? Quel sort pour les bâtiments prestigieux qui avaient été le cadre de la vie de cour? C’est à ces questions que les articles du présent volume répondent en suivant le destin d’une dizaine de Residenzstädte qui toutes furent affectées par les abdications de 1918. Mais qu’est-ce qu’une ville de résidence? Elle ne se définit pas seulement par la présence suffisamment longue du prince, encore faut-il que celle-ci soit accompagnée d’organismes de gouvernement et d’administration à compétence territoriale, dans une cité dotée des structures urbaines nécessaires, parée de monuments remarquables et dont la population entretient avec le monde curial des relations permanentes et réciproques, créatrices d’un Lebenswelt spécifique partagé du sommet à la base. Ces critères, variables, peuvent peser plus ou moins au cours du temps, tout comme les fonctions de la ville peuvent se modifier.
S’il n’y a pas de définition univoque de la ville de résidence, du moins peut-on exclure les résidences temporaires d’été, les relais de chasse, un simple château hors de la cité, ou les trop petites capitales des Duodezfürstentümer. La présence des princes leur vie durant crée la ville de résidence, d’où des développements indispensables, mais parfois répétitifs, sur l’histoire dynastique des villes concernées. Mais par-delà la mort, la nécropole confère à la ville une sacralité intemporelle, comme l’attestent les Stiftkirchen des villes rivales de Stuttgart, Urach et Tübingen en Wurtemberg. Le départ du prince, de sa cour, des administrations, est toujours un traumatisme; le nombre des habitants diminue, et tous les artisans et commerçants – pas uniquement dans le domaine du luxe –, qui vivaient des dépenses d’une population riche, subissent de considérables pertes. Mannheim, qui avait remplacé Heidelberg en 1720 comme capitale du Palatinat, perdit 4500 habitants quand Charles-Théodore s’installa à Munich en 1778. Urach qui était devenue après le partage du Wurtemberg en 1442 une ville de résidence, ne se releva pas de la réunification en 1482: Stuttgart fut la capitale d’un Wurtemberg hissé au rang de duché et les allègements fiscaux de 1484-85 obtenus par Urach en compensation se révélèrent des armes à double tranchant car c’étaient les autres localités de son office (Amt) qui payaient à sa place, si bien que Münsingen et Pfullingen firent sécession. La ville de Celle, résidence des ducs de Lünebourg, passée en 1706 au Hanovre et dont l’électeur devint roi d’Angleterre, ne s’en remit jamais malgré quelques dédommagements, en 1711 »zu [s]einem soulagement« la haute cour d’appel de l’électorat, en 1721 une maison de réclusion et d’aliénés et en 1735 un haras. Coblence, deuxième ville de l’électorat de Trêves, qui avait connu sous le gouvernement éclairé de Clément-Wenceslas de Saxe un beau rayonnement culturel, puis, devenue la préfecture du Rhin‑et‑Moselle sous l’administration française une modernisation de ses institutions et une transformation de sa société où la bourgeoisie avait désormais ses chances d’ascension, stagna sous la domination prussienne avec 18 500 âmes, alors que Düsseldorf se développait deux fois plus vite et que Cologne comptait 80 000 habitants. Les séjours des souverains berlinois au château de Stolzenfeld, pompeusement rebâti en style rhéno‑romantique, ne compensaient pas l’absence d’industrialisation ou la marginalisation par rapport au réseau ferré. Gotha passa en 1826 au duc de Saxe-Cobourg, mais ce fut une union personnelle et la ville conserva son gouvernement propre, les Landtage de Cobourg et de Gotha ne fusionnèrent pas, tandis que le duc, devenu duc de Saxe-Cobourg-Gotha, passait ses hivers dans un château proche de Gotha. Les deux villes n’en éprouvaient pas moins un sentiment d’abandon. Comme partout en Thuringe, le duc demeurait le garant du bien-être et de la stabilité; la grande coupure ne fut pas 1826 mais 1918.
Ailleurs, comme à Innsbruck par exemple, la transition fut graduelle: de Sigismond à l’empereur Maximilien, puis son petit‑fils Ferdinand et son épouse Anne Jagellon, le fils de ces derniers Ferdinand et sa seconde épouse Anne de Gonzague, puis les gouverneurs-régents du Tyrol Maximilien, frère de Rodolphe II, Léopold-Guillaume, frère de Ferdinand III, Charles de Lorraine, beau-frère de Marie-Thérèse, il y eut presque continuellement la présence princière d’un collatéral; et la richesse de la vallée de l’Inn évitait tout déclassement. À Mayence, la grande césure fut le départ en 1797 pour Aschaffenbourg de l’archevêque-électeur Erthal, où il séjournait déjà fort souvent. Dans une ville devenue préfecture du Mont-Tonnerre, l’abolition du vieux système social à privilèges fut un dédommagement bienfaisant et un ersatz pour la perte des honneurs et des biens. Entre 1790 et 1800, le nombre des perruquiers, coiffeurs, friseurs, ébénistes, horlogers, orfèvres augmenta; les hôtels des nobles trouvèrent de nouvelles affectations, d’autres furent achetés par les »citoyens notables« de l’époque napoléonienne. Ce qui put rendre la rupture supportable, ce fut la conservation d’un patrimoine architectural et artistique qui rappelait un passé révolu. Weimar, à qui la résidence princière avait donné une signification politique et économique et le classicisme goethéen une aura culturelle durable, fit de son château un musée qui traversa les régimes politiques; le musée des beaux-arts et celui consacré au classicisme littéraire, longtemps rivaux, réunis au sein de la Klassik Stiftung de Weimar, occupent trois ailes du château, la quatrième étant réservée aux usages de la population: forum de discussion, séminaires, coworking.
Mais qu’en est-il quand le patrimoine est à l’état de ruine comme le château d’Heidelberg, ville délaissée par le Palatin au profit de Mannheim en 1720? Ici le lien avec le passé, c’est l’université, la plus ancienne d’Allemagne. Quant au château de Mannheim, grandiose construction de l’électeur Charles III Philippe, abandonné en 1778, résidence de la grande duchesse de Bade Stéphanie de Beauharnais, délaissé ensuite, à tel point qu’il ne fut plus éprouvé que comme un obstacle à la circulation, complètement détruit pendant la seconde guerre mondiale, reconstruit dans son enveloppe extérieure et abritant l’université, il ne rappelle que par quelques pièces restaurées la Blütezeit électorale; il demeure en marge de la ville qui par ailleurs avait fort bien résisté économiquement et financièrement au départ de la cour. Faire d’une ville un ensemble organique où les strates du temps se combinent harmonieusement n’est pas chose simple.
Le dialogue entre le palais électoral de Mayence et le nouvel hôtel de ville d’Arne Jacobsen (1973) ouvre cet ouvrage; l’annonce de cette construction rappelait que c’était le premier édifice du genre depuis 1442 »Das erste seit 1442«, date à laquelle la ville avait perdu son autonomie au profit de l’archevêque Adolphe de Nassau. Le geste architectonique contemporain voulut donc s’inscrire dans la continuité. Au terme de cette promenade dans l’Allemagne des villes de résidence – le livre est richement illustré –, non seulement l’historien moderniste est comblé, mais tout autant, le citoyen de villes, qui sont autant de palimpsestes, trouve là une riche réflexion sur les difficultés rencontrées par les urbanistes et les édiles aux prises avec les contraintes contemporaines.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Claude Michaud, Rezension von/compte rendu de: Wolfgang Dobras, Matthias Müller (Hg.), Residenzstädte in der Transformation. Konkurrenzen, Residenzverlust und kulturelles Erbe als Herausforderung: Tagungsband der 60. Jahrestagung des Südwestdeutschen Arbeitskreises für Stadtgeschichtsforschung, Göttingen (V&R) 2024, 414 S., Abb., Diag., Tafeln, Karten (Stadt in der Geschichte, 48), ISBN 978-3-525-30250-7, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108309