L’histoire de la médecine a toujours besoin de biographies savantes bien documentées. C’est le cas de la monographie que le docteur Alain Goldcher a consacrée à Jean-Noël Hallé, un praticien parisien qui a connu la Révolution puis la Restauration. Préfacée par le spécialiste Thierry Lentz, cette étude suit la vie et la carrière d’un médecin qui a connu les règnes de Louis XV et de Louis XVIII et  approché Napoléon en tant que »médecin ordinaire« de l’Empereur. Il n’existait aucune étude fouillée sur ce bourgeois né à Paris en 1754 (il se prévaut du titre de »chevalier« sous l’Empire). Ici, la présence d’une bibliographie pertinente permet d’approfondir les différents aspects abordés et des sources manuscrites, parfois détenues en main privée, ont été consultées. L’auteur a déjà publié différentes études médicales sur Napoléon et, s’il est autodidacte en histoire, sa recherche, parce qu’elle vient combler un manque, demeure tout à fait louable. La prose est claire, parfois timide du point de vue littéraire, mais exempte de tout jargon ou jugement de valeur anachronique, une qualité qui pourra rassurer n’importe quel lecteur. Quelques illustrations agrémentent le texte et rendent compte, au passage, de la bonhommie du personnage.

Hallé est-il représentatif des médecins de la fin de l’Ancien Régime en France? Issu d’une famille d’artistes, il bénéficie de l’appui de son oncle Lorry, un médecin réputé et proche de la Cour. Intéressé par la nouvelle Société royale de médecine, Hallé a le profil typique de ces médecins de la fin du XVIIIe siècle, à la fois tentés par les idées des Lumières (il rédige l’article »Hygiène« de l’Encyclopédie méthodique) et stimulés par les recherches cliniques (urines, fièvres, etc.). Dans un contexte de plein essor de la médecine appliquée à la santé publique, la carrière de Hallé s’étoffe rapidement et il devient membre de l’Institut dès 1795. Il s’intéresse à l’électricité animale, une préoccupation fort à la mode, et à la question de la salubrité des cours d’eau, néohippocratisme oblige: ce n’est donc pas un hasard s’il obtient une chaire d’hygiène, un domaine particulièrement à la mode à cette époque. La confiance du clan Bonaparte et celle de Corvisart suffisent à installer son influence sous le Consulat et l’Empire même si des affrontements personnels sont apparues entre Hallé et Napoléon. Toutefois, il sera souvent au chevet de Pauline Borghèse, la sœur de l’Empereur, pour des soucis d’ordre gynécologique. L’activité savante du praticien ne cesse alors de croître, notamment autour de la variolisation, un enjeu de première importance mais également un sujet de débats parfois très violents entre confrères. Qu’importe, il loue Jenner (malgré les relations qui se dégradent entre la France et le Royaume-Uni) et fait figure de pionnier de la médecine préventive, un concept alors très discuté. La période de la Restauration est enfin marquée par une discrétion croissante de la part de Hallé (il refuse le poste de médecin des enfants du duc de Berry), même s’il continue ses travaux à l’Institut. Des coliques néphrétiques mal opérées et une attaque de goutte ont raison de ses forces en 1822.

Le travail mené par l’auteur témoigne d’une réelle passion pour le personnage qui est décrit. L’étude se veut exhaustive et elle prend soin de revenir sur le contexte institutionnel de l’exercice et de l’enseignement de la médecine en des temps plus que troublés. Le docteur Goldcher signe dans cette biographie une étude tout à fait précieuse pour les historiens et pour les curieux de la grande transition médicale de 1780 à 1820. On regrettera toutefois l’intérêt inégal des notes et des références utilisées par l’auteur. Des citations plus amples des mémoires et publications de Hallé auraient consolidé le propos et permis de mieux situer ce savant au sein de sa corporation. Comme beaucoup de ses confrères, le »savant médecin«, ainsi que le qualifiait respectueusement Geoffroy Saint-Hilaire, s’est montré réceptif aux débats de son temps, notamment à la place des praticiens dans la réforme de la société, et pas uniquement sur le plan de la santé publique. On aurait aimé en apprendre davantage sur les idées politiques de ce médecin qui est passé d’un régime à l’autre sans voir sa considération décliner. Les liens avec des savants étrangers, qui relèvent d’une tradition très ancrée dans le milieu médical, ne sont pas assez décrits et ils auraient été autrement éclairants que les allusions à la tombe située au cimetière du Père Lachaise (le fac-simile d’une lettre d’Alain Decaux détonne un peu dans le corps de l’ouvrage…). Le catalogue de la bibliothèque de Hallé, dispersée légalement en 1823, aurait mérité un examen détaillé car ce type de source réserve très souvent de bonnes surprises, surtout lorsqu’on est en présence, comme ici, d’un esprit curieux et productif. Il n’en demeure pas moins, en l’occurrence, que c’est sans doute là un point commun de Hallé avec l’auteur de la présente biographie.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Stanis Perez, Rezension von/compte rendu de: Alain Goldcher, Jean-Noël Hallé. Médecin des pauvres, de Napoléon Ier, du Roi Louis XVIII et du futur Charles X. Professeur d’hygiène et savant, Paris (L’Harmattan) 2023, 262 p. (Historiques - Travaux), ISBN 978-2-14-033867-0, EUR 27,00., in: Francia-Recensio 2024/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2024.4.108312